Ce blog a pour ambition de faire connaître et apprécier la région Centre et en particulier la ville de Bourges. Je souhaite y faire partager mes goûts pour la poésie, la littérature, la peinture, le cinéma... J'y aborde également des questions qui me tiennent à cœur, souvent liées à l'actualité, en particulier le système scolaire (je suis enseignant), mais aussi la politique au sens large du terme et les problèmes de société.
Une collègue professeur agrégée de Lettres classiques en CPGE à Aix-en-Provence, Françoise
Guichard, a eu la bonne idée de reproduire sur le blog Bonnet d'âne de Jean-Paul Brighelli le paragraphe final de Tristes Tropiques, en hommage à Claude Levi-Strauss,
décédé dans la nuit de vendredi à samedi 31 octobre, dans sa cent unième année.
Le coeur empli de nostalgie, d'admiration et de reconnaissance, je donne à lire et à méditer à mon tour ce texte, éloge admirable de la contemplation,
de ce "prince de l'esprit" que fut Claude Levi-Strauss :
« Pas plus que l’individu n’est seul dans le groupe et que chaque société n’est seule parmi les autres, l’homme n’est seul dans l’univers. Lorsque l’arc-en-ciel des cultures humaines aura fini
de s’abîmer dans le vide creusé par notre fureur ; tant que nous serons là et qu’il existera un monde, cette arche ténue qui nous relie à l’inaccessible demeurera, montrant la voie inverse de
celle de notre esclavage et dont, à défaut de la parcourir, la contemplation procure à l’homme l’unique faveur qu’il sache mériter : suspendre la marche, retenir l’impulsion qui l’astreint à
obturer l’une après l’autre les fissures ouvertes au mur de la nécessité et à parachever son oeuvre en même temps qu’il clôt sa prison ; cette faveur que toute société convoite, quels que
soient ses croyances, son régime politique et son niveau de civilisation, où elle place son loisir, son plaisir, son repos et sa liberté ; chance, vitale pour la vie, de se déprendre et qui
consiste - adieu sauvages! adieu voyages! - pendant les brefs intervalles où notre espèce supporte d’interrompre son labeur de ruche, à saisir l’essence de ce qu’elle fut et continue d’être, en
deçà de la pensée et au delà de la société : dans la contemplation d’un minéral plus beau que toutes nos oeuvres, dans le parfum, plus savant que nos livres, respiré au creux d’un lis ou dans
le clin d’oeil alourdi de patience, de sérénité et de pardon réciproque, qu’une entente involontaire permet parfois d’échanger avec un chat. »
Le début de " Tristes tropiques " intitulé "la fin des voyages" ; du grand style. Eblouissant. Je ne me souvenais pas qu'il y avait autant d'humour et
d'ironie et une critique de la "civilisation" occidentale "aussi acerbe, digne du Céline du " Voyage au bout de la nuit ". Nous sommes au début de la guerre et l'auteur fuit la
France occupée où il risque la déportation ; on peut penser aussi aux tribulations de Candide, sauf que Claude Levi-Strauss est tout sauf "candide" ! Il parle d'André Breton qui était sur le
même "rafiot". Il dit qu'il ressemblait à un "grand ours bleu".
L'arc-en-ciel des cultures humaines : l'arc-en-ciel survient après le Déluge qui symbolise la confusion, l'indifférenciation. Il symbolise l'union sans confusion
des différences. "Le divers décroît, là est le danger" prophétisait Victor Segalen. Nous assistons jour après jour à la disparition de centaines d'espèces végétales et animales et de cultures
humaines. Le rêve des constucteurs de la Tour de Babel : l'unification de l'humanité dans une "pensée unique", le disparition des différences se réalise puis s'écroule. Hier le communisme et le
nazisme, aujourd'hui la "mondialisation" et le nivellement par le "marché".
"Signe de l'alliance, écrit la psychanalyste Marie Balmary dans "Le sacrifice interdit, Freud et la Bible" (Grasset), l'arc-en-ciel va de la terre au
ciel et revient sur la terre : il est entre l'homme et Dieu et l'autre homme ; composé de sept couleurs, avec toute l'infinité de leurs nuances, pouvait-on trouver mieux pour dire de quelle
façon le divin et la conscience la plus profonde de l'homme conçoivent la véritable alliance, la véritable unitié ?
Il y a des idéologies qui sont pour l'humanité l'équivalent d'un déluge, noyant l'être parlant dans la parole indifférenciée. Quelque arche pourtant, toujours,
s'est construite et une force a été dispersée, tôt ou tard, la fourmilière avant que ne meure la parole et avec elle, les hommes en tant qu'ils sont humains.
Une harmonie apparente derrière laquelle se découvre une dé-différenciation ; cet indifférencié s'il n'est pas arrêté, envahira tout car le propre de
l'indifférencié c'est qu'il ne répond plus à aucune loi d'arrêt, ne reconnaissant plus d'autre que lui. Ceci est la description d'un processus de mort : aussi bien pour le verbe que pour la
chair.
Mort de la parole, donc de ce qui fait le propre de l'humain, ceci correspond aussi à la description d'un processus de mort pour le biologique car la cellule
vivante vit elle aussi comme la langue par différenciation et meurt d'indifférence. Le récit de Babel n'est pas sans parler (...) la langue du corps vivant."
Le coeur empli de nostalgie, d'admiration et de reconnaissance, je donne à lire et à méditer à mon tour ce texte, éloge admirable de la contemplation, de ce "prince de l'esprit" que fut Claude Levi-Strauss :
« Pas plus que l’individu n’est seul dans le groupe et que chaque société n’est seule parmi les autres, l’homme n’est seul dans l’univers. Lorsque l’arc-en-ciel des cultures humaines aura fini de s’abîmer dans le vide creusé par notre fureur ; tant que nous serons là et qu’il existera un monde, cette arche ténue qui nous relie à l’inaccessible demeurera, montrant la voie inverse de celle de notre esclavage et dont, à défaut de la parcourir, la contemplation procure à l’homme l’unique faveur qu’il sache mériter : suspendre la marche, retenir l’impulsion qui l’astreint à obturer l’une après l’autre les fissures ouvertes au mur de la nécessité et à parachever son oeuvre en même temps qu’il clôt sa prison ; cette faveur que toute société convoite, quels que soient ses croyances, son régime politique et son niveau de civilisation, où elle place son loisir, son plaisir, son repos et sa liberté ; chance, vitale pour la vie, de se déprendre et qui consiste - adieu sauvages! adieu voyages! - pendant les brefs intervalles où notre espèce supporte d’interrompre son labeur de ruche, à saisir l’essence de ce qu’elle fut et continue d’être, en deçà de la pensée et au delà de la société : dans la contemplation d’un minéral plus beau que toutes nos oeuvres, dans le parfum, plus savant que nos livres, respiré au creux d’un lis ou dans le clin d’oeil alourdi de patience, de sérénité et de pardon réciproque, qu’une entente involontaire permet parfois d’échanger avec un chat. »
Le début de " Tristes tropiques " intitulé "la fin des voyages" ; du grand style. Eblouissant. Je ne me souvenais pas qu'il y avait autant d'humour et d'ironie et une critique de la "civilisation" occidentale "aussi acerbe, digne du Céline du " Voyage au bout de la nuit ". Nous sommes au début de la guerre et l'auteur fuit la France occupée où il risque la déportation ; on peut penser aussi aux tribulations de Candide, sauf que Claude Levi-Strauss est tout sauf "candide" ! Il parle d'André Breton qui était sur le même "rafiot". Il dit qu'il ressemblait à un "grand ours bleu".
L'arc-en-ciel des cultures humaines : l'arc-en-ciel survient après le Déluge qui symbolise la confusion, l'indifférenciation. Il symbolise l'union sans confusion des différences. "Le divers décroît, là est le danger" prophétisait Victor Segalen. Nous assistons jour après jour à la disparition de centaines d'espèces végétales et animales et de cultures humaines. Le rêve des constucteurs de la Tour de Babel : l'unification de l'humanité dans une "pensée unique", le disparition des différences se réalise puis s'écroule. Hier le communisme et le nazisme, aujourd'hui la "mondialisation" et le nivellement par le "marché".
"Signe de l'alliance, écrit la psychanalyste Marie Balmary dans "Le sacrifice interdit, Freud et la Bible" (Grasset), l'arc-en-ciel va de la terre au ciel et revient sur la terre : il est entre l'homme et Dieu et l'autre homme ; composé de sept couleurs, avec toute l'infinité de leurs nuances, pouvait-on trouver mieux pour dire de quelle façon le divin et la conscience la plus profonde de l'homme conçoivent la véritable alliance, la véritable unitié ?
Il y a des idéologies qui sont pour l'humanité l'équivalent d'un déluge, noyant l'être parlant dans la parole indifférenciée. Quelque arche pourtant, toujours, s'est construite et une force a été dispersée, tôt ou tard, la fourmilière avant que ne meure la parole et avec elle, les hommes en tant qu'ils sont humains.
Une harmonie apparente derrière laquelle se découvre une dé-différenciation ; cet indifférencié s'il n'est pas arrêté, envahira tout car le propre de l'indifférencié c'est qu'il ne répond plus à aucune loi d'arrêt, ne reconnaissant plus d'autre que lui. Ceci est la description d'un processus de mort : aussi bien pour le verbe que pour la chair.
Mort de la parole, donc de ce qui fait le propre de l'humain, ceci correspond aussi à la description d'un processus de mort pour le biologique car la cellule vivante vit elle aussi comme la langue par différenciation et meurt d'indifférence. Le récit de Babel n'est pas sans parler (...) la langue du corps vivant."