Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues, suivi du Catalogue des idées chics, commentaires d'Anne Herschberg Pierrot, Le Livre de Poche, 1997
Gustave Flaubert est un écrivain français né à Rouen le 12 décembre 18211 et mort à Croisset, lieu-dit de la commune de Canteleu, le 8 mai 1880. Prosateur de premier plan de la seconde moitié du xixe siècle, Gustave Flaubert a marqué la littérature universelle par la profondeur de ses analyses psychologiques, son souci de réalisme, son regard lucide sur les comportements des individus et de la société, et par la force de son style dans de grands romans comme Madame Bovary (1857), Salammbô (1862), L'Éducation sentimentale (1869), ou le recueil de nouvelles Trois contes (1877).
Le Dictionnaire des idées reçues :
"Le Dictionnaire des idées reçues n'est pas un dictionnaire. Flaubert souhaitait "qu'une fois qu'on l'aurait lu on n'osât plus parler, de peur de dire naturellement une des phrases qui s'y trouvent". Le Dictionnaire n'expose pas seulement des idées reçues mais les expressions convenues d'idées reçues. Et, de cette oeuvre d'une vie, Flaubert se voulait absent : " Il faudrait que, dans tout le cours du livre, il n'y eût pas un mot de mon cru. "Or rien de plus présent, rien de plus tangible ici que la formidable ironie de l'auteur pour la première fois mise en pleine lumière grâce à une édition fondée sur le manuscrit de travail de Flaubert, avec ses ratures et ses repentirs. Des notes nombreuses et riches restituent les références auxquelles s'en prend le Dictionnaire, complété comme il se doit par Le Catalogue des idées chic, celles-là mêmes qu'il est indispensable de posséder si l'on veut goûter toute la saveur de cette charge."
"Flaubert travailla une grande partie de sa vie à cet ouvrage qui demeure inachevé. En effet, il commence à mettre en forme ses aphorismes et les clichés de la société française de son époque à partir de 18501 à la suite d'une discussion tenue avec Louis Bouilhet. Il n'est cependant pas clairement établi si Flaubert souhaitait publier ce recueil ou simplement l'adjoindre en appendice de son roman lui aussi inachevé Bouvard et Pécuchet. Le Dictionnaire des idées reçues fut publié par Louis Conard de manière posthume en 1913 après le travail d'édition scientifique d'Étienne-Louis Ferrère. Il comporte environ 1 000 définitions se rapportant à des noms communs ou des noms propres qu'il traite souvent avec humour noir. Les thèmes sont des plus variés, mais certains sont récurrents comme ceux de l'hygiène et de la santé, la pudibonderie, les lieux communs et les poncifs esthétiques, ainsi que des sujets d'indignation futiles. Flaubert utilise souvent l'infinitif à valeur d'impératif impersonnel, ce qui donne à son Dictionnaire des allures de parodie de manuel de bonne conduite en société."
Citations :
ABÉLARD : Inutile d'avoir la moindre idée de sa philosophie, ni même de connaître le titre de ses ouvrages. Faire une allusion discrète à la mutilation opérée sur lui par Fulbert. Tombeau d'Héloïse et d'Abélard : si l'on vous prouve qu'il est faux, s'écrier : « Vous m'ôtez mes illusions. »
ABRICOTS : Nous n'en aurons pas encore cette année.
ABSALON : S'il eût porté perruque, Joab n'aurait pu le tuer. Nom facétieux à donner à un ami chauve.
ABSINTHE : Poison extra-violent : un verre et vous êtes mort. Les journalistes en boivent pendant qu'ils écrivent leurs articles. A tué plus de soldats que les Bédouins.
ACADÉMIE FRANÇAISE : La dénigrer, mais tâcher d'en faire partie si on peut.
ACCIDENT : Toujours déplorable ou fâcheux (comme si on devait jamais trouver un malheur une chose réjouissante…).
ACCOUCHEMENT : Mot à éviter ; le remplacer par événement. « Pour quelle époque attendez-vous l'événement ? »
ACHILLE : Ajouter « aux pieds légers » ; cela donne à croire qu'on a lu Homère.
ACTRICES : La perte des fils de famille. Sont d'une lubricité effrayante, se livrent à des orgies, avalent des millions, finissent à l'hôpital. Pardon ! il y en a qui sont bonnes mères de famille !
ADIEUX : Mettre des larmes dans sa voix en parlant des adieux de Fontainebleau.
ADOLESCENT : Ne jamais commencer un discours de distribution des prix autrement que par « Jeunes adolescents » (ce qui est un pléonasme).
AFFAIRES (Les) : Passent avant tout. Une femme doit éviter de parler des siennes. Sont dans la vie ce qu'il y a de plus important. Tout est là.
AGENT : Terme lubrique.
AGRICULTURE : Une des mamelles de l'État (l'État est du genre masculin, mais ça ne fait rien). On devrait l'encourager. Manque de bras.
AIL : Tue les vers intestinaux et dispose aux combats de l'amour. On en frotta les lèvres de Henri IV au moment où il vint au monde.
AIR : Il faut toujours se méfier des courants d'air. Invariablement le fond de l'air est en contradiction avec la température ; si elle est chaude, il est froid, et l'inverse.
AIRAIN : Proverbe : les injures s'écrivent [dessus].
Métal de l'antiquité.
ALBÂTRE : Sert à décrire les plus belles parties du corps de la femme.
ALBION : Toujours précédé de blanche, perfide, positive. Il s'en est fallu de bien peu que Napoléon en fît la conquête. En faire l'éloge : la libre Angleterre.
ALCIBIADE : Célèbre par la queue de son chien. Type de débauché. Fréquentait Aspasie.
ALCOOLISME : Cause de toute les maladies modernes (voir absinthe et tabac ).
ALLEMAGNE : Toujours précédé de blonde, rêveuse. Mais quelle organisation militaire.
ALLEMANDS : Ce n'est pas étonnant qu'ils nous aient battus, nous n'étions pas prêts !
Peuple de rêveurs ( vieux ).
AMBITIEUX : En province, tout homme qui fait parler de lui. « Je ne suis pas ambitieux, moi ! » veut dire égoïste ou incapable.
AMBITION : Toujours précédé de folle quand elle n'est pas noble.
AMÉRIQUE : Bel exemple d'injustice : C'est Colomb qui la découvrit et elle tire son nom d'Améric Vespuce. Sans la découverte de l'Amérique, nous n'aurions pas la syphilis et le phylloxéra. L'exalter quand même, surtout quand on n'y a pas été. Faire une tirade sur le self-government.
AMIRAL : Toujours brave. Ne jure que par « mille sabords ! »
ANDROCLÈS : Citer le lion d'Androclès à propos de dompteurs.
ANGE : Fait bien en amour et en littérature.
ANGLAIS : Tous riches.
ANGLAISES : S'étonner de ce qu'elles ont de jolis enfants.
ANTÉCHRIST : Voltaire, Renan…
ANTIQUITÉ et tout ce qui s'y rapporte : Poncif, embêtant.
ANTIQUITÉS (les) : Sont toujours de fabrication moderne.
APLOMB : Toujours suivi de infernal ou précédé de rude.
APPARTEMENT de garçon : Toujours en désordre, avec des colifichets de femme traînant ça et là. Odeur de cigarettes. On doit y trouver des choses extraordinaires.
ARBALÈTE : Belle occasion pour raconter l'histoire de Guillaume Tell.
ARCHIMÈDE : Dire à son nom : « Euréka ! Donnez-moi un point d'appui et je soulèverai le monde. » Il y a encore la vis d'Archimède, mais on n'est pas tenu de savoir en quoi elle consiste.
ARCHITECTES : Tous imbéciles. Oublient toujours l'escalier des maisons.
ARCHITECTURE : Il n'y a que quatre ordre d'architecture. Bien entendu qu'on ne compte pas l'égyptien, le cyclopéen, l'assyrien, l'indien, le chinois, le gothique, le roman, etc.
ARGENT : Cause de tout le mal. Auri sacra fames . Le dieu du jour (ne pas confondre avec Apollon). Les ministres le nomment traitement, les notaires émoluments, les médecins honoraires, les employés appointements, les ouvriers salaires, les domestiques gages. L'argent ne fait pas le bonheur.
ARMÉE : Le rempart de la Société.
ARSENIC : Se trouve partout (rappeler Mme Lafarge). Cependant, il y a des peuples qui en mangent.
ART : Ça mène à l'hôpital. À quoi ça sert, puisqu'on le remplace par la mécanique qui fait mieux et plus vite.
ARTISTES : Tous farceurs. Vanter leur désintéressement (vieux). S'étonner de ce qu'ils sont habillés comme tout le monde (vieux). Gagnent des sommes folles, mais les jettent par les fenêtres. Souvent invités à dîner en ville. Femme artiste ne peut être qu'une catin. Ce qu'ils font ne peut s'appeler travailler.
ASPIC : Animal connu par le panier de figues de Cléopâtre.
ASSASSIN : Toujours lâche, même quand il a été intrépide et audacieux. Moins coupable qu'un incendiaire.
ASTRONOMIE : Belle science. N'est utile que pour la marine. À ce propos, rire de l'astrologie.
ATHÉE : Un peuple d'athée ne saurait subsister.
AUTEUR : On doit « connaître des auteurs » ; inutile de savoir leur nom (et d'avoir lu leurs oeuvres)
AUTRUCHE : Digère les pierres.
AVOCATS : Trop d'avocats à la Chambre. Ont le jugement faussé. Dire d'un avocat qui parle mal : « Oui, mais il est fort en droit. »