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Brève présentation de la théorie mimétique de René Girard - Le blog de Robin Guilloux
Brève présentation de la théorie mimétique par René Girard, au cours de l'émission Océaniques( émission de Alain Joubert, Michel Cazenave et Jean-Daniel Verhaeghe). L'Association Recherches...
5) Psychologie interdividuelle :
Dans la partie "Psychologie "interdividuelle" (un néologisme qu'il a crée), Girard analyse le rôle fondamental de l'imitation dans les relations intersubjectives. Il distingue entre deux formes de mimesis : la médiation externe et la médiation interne.
a) La médiation externe :
C'est le processus qui permet par exemple à l'enfant d'apprendre à parler et à s'orienter dans le monde à travers la médiation des adultes qu'il imite. On le retrouve dans toutes les situations d'apprentissage ultérieures. Il est en général positif (bénéfique). La médiation externe suppose une certaine distance entre l'imitateur et son modèle. Girard donne l'exemple de don Quichotte et de son modèle, Amadis de Gaule avec lequel il n'y a pas de rivalité possible.
b) La médiation interne :
Elle se produit lorsque le médiateur et son imitateur désirent la même chose et rivalisent pour l'obtenir ou la conserver. Girard donne l'exemple tragi-comique du disciple préféré qui, à force d'imiter le maître, finit par le dépasser et par s'attirer sa haine.
D'après René Girard (Mensonge romantique et vérité romanesque), ce sont les écrivains : Cervantès, Shakespeare, Proust, Flaubert, Stendhal, Dostoïevski, plutôt que les théoriciens qui ont le mieux perçu le passage de la médiation externe à la médiation interne et les "ravages" de la médiation interne.
René Girard n'exclut pas l'existence d'une "bonne" médiation interne : c'est ainsi que l'économie oriente et canalise les désirs antagonistes vers la création de richesses et l'innovation technologique. C'est pourquoi le commerce est considéré comme une alternative à la guerre, mais aussi son autre visage.
Dans la médiation interne, l'objet a pratiquement disparu et a été remplacé par la fascination pour le rival. Ce n'est plus "l'avoir" de l'autre que l'on désire, mais son être, la plénitude ontologique qu'il est supposée détenir.
Note : Dans les sociétés animales, les effets de la mimesis d'appropriation et de rivalité (pour l'eau, la nourriture, les femelles...) sont régulés par l'établissement de hiérarchies "naturelles" fondées sur des "réseaux de dominance" et dans les sociétés humaines traditionnelles, par la mise en place d'une organisation sociale hiérarchique et cloisonnée (les castes en Inde, les trois Ordres de l'Ancien Régime). René Girard montre que le processus "démocratique" à l'oeuvre dans les sociétés "modernes" a considérablement aggravé les effets de la médiation interne qui se produit non pas seulement "entre pairs", mais avec "n'importe qui". C'est toute la distance qui sépare le "chevalier à la triste figure" de don Quichotte de "l'homme du souterrain" de Dostoïevski.
c) Le passage de la médiation externe à la médiation interne :
"Le sujet qui ne peut pas décider par lui-même de l'objet qu'il doit désirer, s'appuie sur le désir d'un autre et il transforme automatiquement le désir modèle en un désir qui contrecarre le sien. Parce qu'il ne comprend pas le caractère automatique de la rivalité, le fait d'être contrecarré, repoussé et rejeté devient pour l'imitateur l'excitant majeur de son désir. Sous une forme ou sous une autre, il va incorporer toujours plus de violence à son désir. reconnaître cette tendance, c'est reconnaître que le désir, à la limite, tend vers la mort, celle de l'autre, du modèle-obstacle, et celle du sujet lui-même." (Des choses cachées, p. 436)
Ce mouvement du désir mimétique ne se laisse pas seulement repérer chez les malades, chez ceux qui poussent le processus mimétique trop loin pour fonctionner normalement, mais aussi chez les gens dits "normaux" (il n'y a donc pas de différence de nature, mais de degré entre les malades et les "gens normaux".)
La théorie mimétique permet de saisir le dynamisme du désir individuel et de mieux comprendre des phénomènes comme la structure psychotique (la "folie" de Nietzsche par exemple, étroitement liée à la rivalité avec Wagner) et le sado-masochisme, incompréhensible à la lumière du seul "principe de plaisir" freudien.
Il est à l'oeuvre dans les aspects majeurs de la culture contemporaine et se concrétise de façon particulière dans la rivalité nucléaire.
"Tout converge vers la mort, y compris les pensées qui notent cette convergence, comme celle de Freud, ou celle des éthologistes, qui croient, eux aussi, reconnaître là quelque chose comme un instinct (...)"
6) Vers une éthique de la liberté :
Sachant que les menaces qui pèsent sur nous ne sont nullement, comme le pensait Freud, dans Au-delà du principe de plaisir et dans Malaise dans la Civilisation, le fait d'un "instinct", mais de l'hypermimétisme de l'être humain, notre destin n'est nullement "immaîtrisable".
L'anthropologie girardienne débouche donc sur une éthique de la liberté ("la vérité vous rendra libres.") au sein de laquelle personne n'occupe de position de "surplomb" (pas plus les "croyants" que les "incroyants"), où nul ne doit se croire exempt de "rivalité mimétique" (le caractère mimétique du désir est le "péché originel" de l'humanité.) et où chacun essaye de "résister à la tentation de rivaliser", non par lâcheté ou esprit de "ressentiment", comme le pensait Nietzsche, mais pour laisser une chance à la liberté et au bonheur. il ne suffit pas pour autant de "connaître" la théorie mimétique : la théorie mimétique n'est pas un "Evangile gnostique".
Une telle éthique ne serait pas spécifiquement "judéo-chrétienne", même si elle se manifeste de façon éminente chez les prophètes de l'Ancien Testament et dans les Evangiles (Le sermon sur la montagne, "Tu aimeras ton prochain comme toi-même.", "Celui qui hait son frère demeure dans les Ténèbres"...), on la trouve aussi dans l'antiquité greco-romaine, chez Socrate ou Epictète et dans le bouddhisme (bien qu'elle n'implique pas forcément le renoncement au monde considéré comme un illusion). Elle n'a rien à voir avec "l'ascèse pour le pouvoir" ou "l'empoisonnement de l'éros" (Nietzsche). Mais si l'on traduit "éros" par désir, elle nous invite à discerner un désir qui conduit à la mort, celle du prochain et la nôtre et un désir qui conduit vers la vie.