Jean-Louis Vieillard-Baron, professeur à l'université de Poitiers, Bergson, Presses universitaires de France, collection "Que Sais-je ?", 1991
Table des matières :
Introduction - Une oeuvre mal comprise
Chapitre I. - Bergson en son temps : I. Une vie de philosophe - II. L'homme et l'écrivain - Chapitre II. Bergson selon l'ordre des raisons : I. Bergson avant Bergson - II. L'Essai sur les données immédiates de la conscience - III. Matière et mémoire (1896) - IV. Du Rire à L'Evolution créatrice - V. L'Evolution créatrice ou le bergsonisme triomphant - VI. Les deux sources de la morale et de la religion - Chapitre III - Méthode et thèmes récurrents : I. Aspects négatifs de la méthode - II. L'intuition - III. La création comme miracle - IV. L'optimisme et la joie - V. L'individuel - VI. Le Langage - VII. Les deux corps - VIII. L'âme - IX. L'inconscient psychologique - Conclusion - L'héritage bergsonien- Bibliographie
L'auteur :
Jean-Louis Vieillard-Baron est professeur émérite de philosophie à l'Université de Poitiers. Membre de l'Académie catholique de France, il est actuellement chargé de cours à l'Institut catholique de Paris. Ancien élève de l'École normale supérieure de Saint-Cloud (1965), agrégé de philosophie (1969) et docteur d’État (1976), il a enseigné à l'université de Tours de 1973 à 1989 puis à l’université de Poitiers. Il est en 1991 directeur du Centre de recherche sur Hegel et Marx (CRDHM) devenu en 1997 Centre de recherche sur Hegel et l'idéalisme allemand (CRHIA). Il accepte aussi, en 1989, de créer et de présider l'Association Louis Lavelle, en vue de rééditer les œuvres de ce philosophe injustement méconnu, et de maintenir vivante sa pensée en la reliant au champ de la philosophie française du XXe siècle d'inspiration spiritualiste. Intéressé très tôt par la philosophie de la religion, connu pour ses travaux sur l'idéalisme allemand (Novalis, Hölderlin, Hegel, Fichte), il a beaucoup contribué au renouveau des études sur Henri Bergson et sur Louis Lavelle. (source : wikipedia et babelio)
"Une oeuvre mal comprise :
L'objet du présent ouvrag e est de présenter l'oeuvre de Bergson, telle que nous pouvons l'interpréter aujourd'hui, avec un siècle de recul par rapport à son premier acte, le célèbre Essai sur les données immédiates de la conscience (1889)
Il faut écarter le bergsonisme pour comprendre Bergson ; en effet, l'exceptionnelle célébrité du philosophe, en particulier à partir de L'évolution créatrice (1907), a contribué à vulgariser sa pensée en la dénaturant complètement. L'intuition est le modèle de ces notions mal comprises ; mais il en va de même de l'opposition entre moi superficiel et moi profond, ou celle de l'élan vital et de l'intertie de la matière, par exemple. Le contresens sur l'intuition en fait une aptitude spontanée, affective, qui permet de trouver la vérité sans effort et s'oppose à la démarche laborieuse de l'intelligence. L'intuition bergsonienne est au contraire le fruit de longs efforts ; nul n'a été plus conscient que Bergson de la valeur de l'effort intellectuel ; sa pensée n'a rien d'irrationaliste. Le contresens sur le moi consiste à croire que le moi superficiel est intrinsèquement mauvais et doit être éliminé ; or Bergson n'a aucune considération éthique en la matière, le superficiel désigne la surface du moi. Et il ne nie pas cette dernière au nom d'une profondeur obscure et insondable ; la société est utile et nécessaire, même si nous devons éviter de ne tout comprendre que sous l'aspect social. Quant à l'opposition entre l'élan vital et la matière, il vient de ce qu'on a souvent manqué la nature dialectique du réel selon Bergson. Il est nécessaire à l'effort créateur qui traverse le courant et l'évolution de la vie de rencontrer des obstacles, pour s'exercer comme effort, et c'est pourquoi il se crée à lui-même ses propres obstacles, ses propres fruits une fois abandonnés à leur propre fixité.
Bien des reproches ont été adressés à Bergson, qui font que le lecteur actuel n'aborde pas son oeuvre sans préjugés. Ces reproches sont contradictoires entre eux : insensibilité au tragique et sensibilité mystique excessive. Or, pour Bergson, le rôle du philosophe n'est pas de s'émouvoir, mais de chercher la raison de toute chose, y compris du mal - les hécatombes de la guerre de 1914 lui en ont rappelé l'évidence - et de l'expérience mystique, qu'il ne partage pas, mais qu'il comprend par sympathie, dès les premières années du siècle, avant d'en faire le suprême don du génie humain dans Les deux sources de la morale et de la religion. C'est avec plus de pertinence qu'on peut reprocher à Bergson d'avoir tenu trop grand compte des courants philosophiques de son temps, et de discuter trop longuement des thèses philosophiques aujourd'hui périmées, ou secondaires, en particulier l'évolutionisme d'Herbert Spencer ou la psychologie associationiste. Mais on pourrait faire le même reproche à Leibniz. Le lecteur actuel doit faire l'effort de reconstituer le climat intellectuel des années 1870 à 1890, environ, pour comprendre comment s'est élaborée l'oeuvre de Bergson dans son élan initial. Et il faut avouer que ce climat nous est devenu complètement étranger.
Il n'en reste pas moins que cette oeuvre prestigieuse est la clef pour comprendre l'évolution de la philosophie, surtout en France, au XXème siècle. Les auteurs qui l'ont le plus critiqué, comme Sartre et Merleau-Ponty (dans ses premiers ouvrages), lui sont très largement redevables des cadres mêmes de leur réflexion. Dès lors, une réévaluation de l'importance du spiritualisme positiviste français s'impose ; Bergson peut être dit le chef de fil de ce courant, qui démontre la réalité de l'esprit à partir de l'impossibilité d'expliquer l'homme par la matière, mais en ayant le souci fondamental de s'appuyer toujours sur des faits rationnellement analysés, et non sur des concepts pris à tort pour des réalités indépendantes, alors qu'ils ne sont que des instruments de réflexion. Sa profonde originalité a été de répondre aux problèmes de son temps, en créant son propre langage et ses propres concepts, pour exprimer des idées dont la fécondité, parfois inaperçue, a été énorme et reste vivante aujourd'hui encore."