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EAF, Question de corpus (Molière, Jean Anouilh, Jean Tardieu) - Le blog de Robin Guilloux
Texte A : ARGAN, seul dans sa chambre, assis, une table devant lui, compte des parties d'apothicaire avec des jetons; il fait, parlant à lui-même, les dialogues suivants: Trois et deux font cinq, et
L'œuvre :
Il s'agit de la scène d'exposition d'une pièce de Jean Tardieu, Il y avait foule au manoir, extrait du recueil Théâtre de chambre (1966)
Jean Tardieu :
Jean Tardieu, né le 1er novembre 1903 à Saint-Germain-de-Joux, dans l'Ain et mort le 27 janvier 1995 à Créteil, dans le Val-de-Marne, est un écrivain et poète français, inventeur extrêmement fécond, qui s'est essayé à produire dans tous les genres et tous les tons : humoriste aussi bien que métaphysicien, dramaturge et poète lyrique ou formaliste, il a déployé en plus de soixante ans une créativité exceptionnelle, faisant alterner une poétique classique avec le vers libre ou les tentatives audacieuses de l'écriture informelle. Avec une inquiétude métaphysique dissimulée sous l'humour, Jean Tardieu n'a cessé de se « demander sans fin comment on peut écrire quelque chose qui ait un sens ». (source: wikipedia)
Le thème :
Le Baron de Z... organise un bal dans son manoir. Les invités viennent chacun leur tour se présenter sur scène. Le premier est Dubois-Dupont. Il s'agit de la scène d'exposition de la pièce.
Le genre :
Texte théâtral (pastiche du genre policier). L'auteur joue avec les conventions du genre : un crime va être commis, mais le policier est déjà sur les lieux, comme dans la nouvelle d'Agatha Christie Le miroir du mort. L'enquêteur est habillé comme Sherlock Holmes, le héros des romans et nouvelles d'Arthur Conan Doyle : "Il est vêtu d'un "plaid" à pèlerine et à grands carreaux et coiffé d'une casquette assortie "genre anglais"(cf. didascalie)
Le pastiche est une œuvre artistique ou littéraire dans laquelle l'auteur imite en partie ou totalement l'œuvre d'un maître ou d'un artiste en renom par exercice, par jeu ou dans une intention parodique.
La parodie est une forme d’humour qui utilise le cadre, les personnages, le style et le fonctionnement d'une œuvre ou d'une institution pour s'en moquer. Elle se fonde entre autres sur l'inversion et l'exagération des caractéristiques appartenant au sujet parodié. Selon Dominique Maingueneau, la parodie constitue une « stratégie de réinvestissement d'un texte ou d'un genre de discours dans d'autres » : il s'agit d'une stratégie de « subversion », visant à disqualifier l'auteur du texte ou du genre source, tandis que la stratégie opposée (la « captation », imitation positive) permet de « transférer sur le discours réinvestisseur l'autorité attachée au texte ou au genre source ».
Absurde : En philosophie et en littérature, l'absurde se traduit par une idée ou un concept dont l'existence paraît injustifiée. Il résulte donc de la contradiction d'un système par le fait. L'étymologie du mot absurde vient du latin absurdus qui signifie « dissonant » (cf. Cicéron, De oratore, III, définition). L'absurde, c'est ce qui est contraire et échappe à toute logique ou qui ne respecte pas les règles de la logique. C'est la difficulté de l'Homme à comprendre le monde dans lequel il vit. L'absurde peut relever du comique ou du tragique. Il signifie ce qui n'est pas en harmonie avec quelqu'un ou quelque chose ; par exemple, une conduite absurde est un comportement anormal, un raisonnement absurde est un raisonnement illogique.
Exemples dans l'extrait à étudier : "je me présente : je suis le détective privé Dubois. Surnommé Dupont, à cause de ma ressemblance avec le célèbre policier anglais Smith" ; "Dubois-Dupont, homme de confiance et de méfiance. Trouve la clé des énigmes et des coffres-forts. Brouille les ménages ou les raccommode, à la demande..." ; "Les raisons de ma présence ici sont mystérieuses autant que... mystérieuses..."Quand je me tais... (Bruits de bal)... Ça recommence... quand je commence, cela se tait. C'est merveilleux !" L'absurde repose tantôt sur le non-sens, tantôt sur l'utilisation ludique (du latin "ludus" = jeu) du langage.
Le théâtre de l'absurde : Se rattachant à la littérature de l'absurde, le théâtre de l'absurde est inauguré le 11 mai 1950 par Eugène Ionesco dans sa pièce La Cantatrice chauve, l'auteur ayant repoussé les limites de la création en baptisant son œuvre « antipièce » et en ridiculisant les codes traditionnels. Ce terme de "Théâtre de l'absurde" est utilisé pour la première fois par l'écrivain Martin Esslin au XXème siècle pour qualifier les grandes directions théâtrales, puis l'expression est reprise pour désigner les œuvres des auteurs qui voulaient rompre avec la tradition du théâtre occidental. Néanmoins, il s'agit bien d'un mouvement qui porte un regard désabusé sur l'existence et la condition humaine et sur l'absence totale de communication entre les êtres. Il tend à représenter la parole comme un objet avec une fonction purement ludique. Ce mouvement désigne principalement le théâtre de Ionesco, de Beckett, d'Arrabal ou encore de Genet.
Lyrique : "Qu'il me suffise de vous indiquer que nous nous trouvons, par un beau soir de printemps (il montre la branche), dans le manoir du baron de Z...
Comique : "Je suis le détective privé Dubois. Surnommé Dupont, à cause de ma ressemblance avec le célèbre policier anglais Smith." Rappel : il existe trois formes de comique : le comique de caractère, le comique de gestes et le comique de situation. Chercher des exemples de chacune de ces formes de comique.
Dramatique : "Je suis là pour accomplir une mission périlleuse..."
Tragique (tragi-comique) : "Le crime - car il y aura crime - n'est pas encore consommé. Et pourtant, chose étrange, moi le détective, me voici déjà sur les lieux mêmes où il doit être perpétré !... Pourquoi ? Vous le saurez plus tard.
Merveilleux : "Quand je me tais... (Bruits de bal)... ça recommence... quand je commence, cela se tait. C'est merveilleux !" L'auteur fait peut-être allusion à la scène du bal dans Cendrillon (Charles Perrault, Les frères Grimm)
La situation d'énonciation :
Où ? : dans un château - Qui ? : Dubois-Dupont, détective privé - Quand ? : "par un beau soir de printemps" - Pourquoi ? : "Je suis là pour accomplir une mission périlleuse. Quelqu'un sait qui je suis. Tous les autres ignorent mon identité..." "Le crime - car il y aura crime - n'est pas encore consommé. Et pourtant, chose étrange, moi le détective, me voici sur les lieux mêmes où il doit être perpétré !... Pourquoi ? Vous le saurez plus tard."
Il s'agit d'un monologue (aparté). Le personnage est seul en scène et s'adresse aux spectateurs : "Je me présente" ; "Les raisons de ma présence ici sont mystérieuses, autant que... mystérieuses... Mais vous les connaîtrez tout à l'heure..." ; "Qu'il me suffise de vous indiquer que nous nous trouvons..." ; "Comme vous pouvez l'entendre..." ; "Pourquoi ? Vous le saurez plus tard."
Les temps verbaux :
Présent d'énonciation : "je me présente" - Présents de caractérisation : "les raisons de ma présence ici sont mystérieuses, autant que... mystérieuses..." Futur : "mais vous les connaîtrez tout à l'heure." - "Le crime - car il y aura crime - "Vous le saurez plus tard - Présent gnomique (d'habitude) : " Quand je me tais (Bruits de bal)... ça recommence... quand je commence, cela se tait" - On me prend pour ce que je ne suis pas." Présent du conditionnel : "mais chut ! cela pourrait vous mettre sur la voie."
Connecteurs : "à cause de" - "Voici" - "Mais" - "tout à l'heure" - "par un beau soir d'été" - "soudain" - "Puis" - "Quand" (deux fois) - "Mais" - là - "c'est-à-dire" - "car" - "pas encore" - "Et pourtant" - déjà" - "sur les lieux mêmes où - "plus tard"
Structure des phrases : une majorité de phrases simples coordonnées en asyndète (absence de subordination)
Modalisation :
"genre anglais" - "célèbre" - "brouille" - "raccommode" - "modérés" - "Qu'il me suffise de..." - "charmante" (épouse) - "merveilleux" - "périlleuse" (mission) - "tellement" - "étrange" - la ponctuation expressive (quatre points d'exclamation) à la fin du texte font partie de la modalisation (présence de l'énonciateur dans l'énoncé) : Dubois-Dupont veut communiquer au spectateur un sentiment de mystère et d'étonnement.
Synthèse (extraite de la réponse à la question de corpus)
Une scène d'exposition théâtrale est destinée à donner au lecteur et au spectateur des renseignements nécessaires à la compréhension de l'intrigue : Où se passe l'action ? A quelle époque ? Quel est le personnage principal ? Quels sont les personnages secondaires ?...
Un énoncé théâtral possède la particularité d'avoir un double destinataire : un personnage A s'adresse sur la scène à un personnage B, mais ses propos sont destinés à être entendus également par les spectateurs. C'est ce qu'on appelle la "double énonciation théâtrale".
Il arrive que dans la vie courante quelqu'un parle tout seul, mais il enfreint alors la norme. On peut penser qu'il est un peu "dérangé" ou bien qu'il est ivre, alors que le monologue fait partie de conventions théâtrales parfaitement admises en vertu de la double énonciation car même s'il semble ne parler qu'à lui-même, les paroles du personnage sont destinées à être entendues par le spectateur.
Il peut arriver aussi qu'un personnage s'adresse directement aux spectateurs. Nous en avons un exemple ici.
Dubois-Dupont est un personnage de la pièce. Il explique ce qui s'est passé auparavant (les raisons de sa présence au manoir) et ce qui va se passer ensuite. Il se présente lui-même : "Je me présente : je suis le détective privé Dubois. surnommé Dupont, à cause de ma ressemblance avec le célèbre policier anglais Smith..."
Dupont-Dubois n'explique pas pourquoi il se retrouve au manoir : "Les raisons de ma présence ici sont mystérieuses autant que... mystérieuses... mais vous les connaîtrez tout à l'heure. Je n'en dis pas plus. Je me tais. Motus." Cette imprécision produit un effet de suspens.
Dupont-Dubois fournit au spectateur des indications de lieu : "dans le manoir du baron de Z., ainsi que de temps : "par un beau soir de printemps". Le spectateur apprend également par le détective privé que le baron et sa femme donnent un bal au manoir et qu'il y a foule.
Dubois-Dupont informe le spectateur sur ce qui va se passer : "Le crime - car il y aura crime - n'est pas encore consommé."
Mais le ton et le contenu humoristique du monologue de Dubois-Dupont font présager une comédie, plutôt qu'un drame.
Jean Tardieu joue avec les conventions, en accentuant le caractère nécessairement artificiel d'une scène d'exposition théâtrale, alors que d'autres préfèrent la rendre le plus naturelle possible.