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André Malraux, incipit de La Condition humaine (l'oeuvre, l'auteur et le texte)

L'auteur :

Né à Paris le 3 novembre 1901, décédé à Créteil le 23 novembre 1976, André Malraux (Georges André Malraux) est un écrivain et un homme politique français. Il devient célèbre en 1933 pour La Condition humaine (Prix Goncourt 1933) un roman d'aventure et d'engagement qui s'inspire des soubresauts de la Chine.

L'oeuvre : 

La Condition humaine relate le parcours d'un groupe de révolutionnaires communistes préparant le soulèvement de la ville de Shanghai. Au moment où commence le récit, le 21 mars 1927, communistes et nationalistes préparent une insurrection contre le gouvernement.

Première partie : 21 mars 1927 : Afin de mener à bien l'insurrection, le groupe de Kyo et Katow est à la recherche d'armes. Pour s'emparer d'une cargaison, Tchen poignarde un trafiquant d'armes. Les informations qu'il récupère sur le cadavre permettent à Kyo et Katow, soutenus par le baron Clappique de récupérer les armes sur un cargo dans le port. Ils peuvent alors distribuer le fret aux combattants clandestins...

Le texte à étudier :

"PREMIÈRE PARTIE 21 MARS 1927 Minuit et demi.

Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? L’angoisse lui tordait l’estomac ; il connaissait sa propre fermeté, mais n’était capable en cet instant que d’y songer avec hébétude, fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps moins visible qu’une ombre, et d’où sortait seulement ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand même — de la chair d’homme.

La seule lumière venait du building voisin : un grand rectangle d’électricité pâle, coupé par les barreaux de la fenêtre dont l’un rayait le lit juste au-dessous du pied comme pour en accentuer le volume et la vie. Quatre ou cinq klaxons grincèrent à la fois.

Découvert ? Combattre, combattre des ennemis qui se défendent, des ennemis éveillés  !    La vague de vacarme retomba : quelque embarras de voitures (il y avait encore des embarras de voitures, là-bas, dans le monde des hommes…).

Il se retrouva en face de la tache molle de la mousseline et du rectangle de lumière, immobiles dans cette nuit où le temps n’existait plus.    Il se répétait que cet homme devait mourir. Bêtement : car il savait qu’il le tuerait. Pris ou non, exécuté ou non, peu importait. Rien n’existait que ce pied, cet homme qu’il devait frapper sans qu’il se défendît, — car, s’il se défendait, il appellerait.    

Les paupières battantes, Tchen découvrait en lui, jusqu’à la nausée, non le combattant qu’il attendait, mais un sacrificateur. Et pas seulement aux dieux qu’il avait choisis : sous son sacrifice à la révolution grouillait un monde de profondeurs auprès de quoi cette nuit écrasée d’angoisse n’était que clarté. « Assassiner n’est pas seulement tuer… »

Dans ses poches, ses mains hésitantes tenaient, la droite un rasoir fermé, la gauche un court poignard. Il les enfonçait le plus possible, comme si la nuit n’eût pas suffi à cacher ses gestes. Le rasoir était plus sûr, mais Tchen sentait qu’il ne pourrait jamais s’en servir ; le poignard lui répugnait moins. Il lâcha le rasoir dont le dos pénétrait dans ses doigts crispés ; le poignard était nu dans sa poche, sans gaine. Il le fit passer dans sa main droite, la gauche retombant sur la laine de son chandail et y restant collée. Il éleva légèrement le bras droit, stupéfait du silence qui continuait à l’entourer, comme si son geste eût dû déclencher quelque chute. Mais non, il ne se passait rien : c’était toujours à lui d’agir."

 

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