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Victor Hugo, incipit du Dernier jour d'un condamné (travail préparatoire)

L'auteur : 

Victor Hugo est un poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français, né le 7 ventôse an X (26 février 1802) à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris. Il est considéré comme l'un des plus importants écrivains de langue française. Il est aussi une personnalité politique et un penseur engagé qui a eu un rôle idéologique majeur et occupe une place marquante dans l'histoire des lettres françaises au XIXe siècle, dans des genres et des domaines d’une remarquable variété.

L'oeuvre : 

Le Dernier Jour d’un condamné est un roman à thèse de Victor Hugo. Publié en 1829 chez Charles Gosselin, il constitue un plaidoyer politique pour la réforme de la justice et l'abolition de la peine de mort.  Ce roman se présente comme le journal d'un condamné à mort écrit durant les vingt-quatre dernières heures de son existence dans lequel il raconte ce qu'il a vécu depuis le début de son procès jusqu'au moment de son exécution, soit environ cinq semaines de sa vie

Le texte à expliquer : 

Le premier chapitre s'ouvre et se clôt par un cri sans appel : "Condamné à mort !". Dès l'incipit, le lecteur entre dans le monde carcéral et judiciaire à travers la conscience d'un homme anonyme, qui exprime ses pensées et ses sentiments.

"Bicêtre !

Condamné à mort ! Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids !

Autrefois, car il me semble qu’il y a plutôt des années que des semaines, j’étais un homme comme un autre homme. Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idée. Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s’amusait à me les dérouler les unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d’inépuisables arabesques cette rude et mince étoffe de la vie. C’étaient des jeunes filles, de splendides chapes d’évêque, des batailles gagnées, des théâtres pleins de bruit et de lumière, et puis encore des jeunes filles et de sombres promenades la nuit sous les larges bras des marronniers. C’était toujours fête dans mon imagination. Je pouvais penser à ce que je voulais, j’étais libre.

Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée. Une horrible, une sanglante, une implacable idée ! Je n’ai plus qu’une pensée, qu’une conviction, qu’une certitude : condamné à mort !

Quoi que je fasse, elle est toujours là, cette pensée infernale, comme un spectre de plomb à mes côtés, seule et jalouse, chassant toute distraction, face à face avec moi misérable et me secouant de ses deux mains de glace quand je veux détourner la tête ou fermer les yeux. Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir, se mêle comme un refrain horrible à toutes les paroles qu’on m’adresse, se colle avec moi aux grilles hideuses de mon cachot ; m’obsède éveillé, épie mon sommeil convulsif, et reparaît dans mes rêves sous la forme d’un couteau.

Je viens de m’éveiller en sursaut, poursuivi par elle et me disant : – Ah ! ce n’est qu’un rêve ! – Hé bien ! avant même que mes yeux lourds aient eu le temps de s’entr’ouvrir assez pour voir cette fatale pensée écrite dans l’horrible réalité qui m’entoure, sur la dalle mouillée et suante de ma cellule, dans les rayons pâles de ma lampe de nuit, dans la trame grossière de la toile de mes vêtements, sur la sombre figure du soldat de garde dont la giberne reluit à travers la grille du cachot, il me semble que déjà une voix a murmuré à mon oreille : – Condamné à mort !"

Victor Hugo, Le Dernier jour d’un condamné, chapitre I, 1829.

Travail préparatoire au commentaire : 

L'oeuvre et l'auteur :

Ce texte est extrait du Dernier jour d'un  condamné, roman à thèse de Victor Hugo, poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français, personnalité politique et penseur engagé, né le 26 février 1802 à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris. Publié en 1829, il constitue un plaidoyer indirect pour la réforme des pénalités et contre la peine de mort.  

Le thème du passage : 

Le texte évoque, sous la forme d'un discours narrativisé (récit de parole traité comme un récit d'événements), à la première personne du singulier les pensées, les sentiments et les émotions d'un condamné à mort à la veille de son exécution.

La situation du passage dans le roman :

Il s'agit de l'incipit (début) du roman.

La situation d'énonciation : 

Qui ? : un prisonnier dont on ignore le nom et la raison exacte pour laquelle il a été condamné à mort. Il appartient à un milieu social relativement privilégié. Il sait lire et écrire, ce qui n'est pas si courant à l'époque. Il a une petite fille âgée de 4 ans.

A travers lui, c'est l'auteur, Victor Hugo, écrivain engagé contre la peine de mort, qui s'exprime. Hugo a 24 ans quand il écrit ce livre. Sa propre fille Léopoldine a le même âge que la fille du condamné auquel il prête certains de ses traits.

Deux voix se confondent, celle de l'auteur et celle du narrateur, l'auteur s'exprimant à travers le narrateur. On ne peut pas vraiment parler de "polyphonie énonciative" (comme par exemple dans Madame Bovary de Flaubert) dans la mesure où la voix de l'auteur est indiscernable de celle du narrateur.

Tout se passe comme si Hugo confiait qu'il aurait pu être cet homme. Dans la préface du 15 février 1832 (la deuxième), Victor Hugo laisse planer le doute en proposant deux hypothèses pour rendre vraisemblable l'existence du texte : une liasse de feuillets laissés sur la table du condamné ou bien  l'oeuvre d'un poète.

A qui ? : à lui même, au lecteur et, de l'aveu du condamné lui-même, aux juges.

Où ? : l'hôpital prison de Bicêtre à Paris, dans la cellule des condamnés à mort.

Quand ? : En 1831, Dans la première moitié du XIXe siècle, à la fin de la Restauration, sous le roi Charles X. Le condamné écrit son journal (sans dates) durant la dernière journée qui lui reste à vivre en remontant du présent au passé (le chapitre suivant s'intitule "Le procès"). 

Comment ? : par l'écriture (Journal sans dates)

Pourquoi ? : Pour le condamné, l'écriture est un moyen de ne pas subir passivement son sort, une manière de ne pas sombrer dans la folie, une forme de résistance et de mise à distance d'une réalité qui, sans elle, serait encore plus insupportable. Pour l'auteur, le roman, sous la forme du discours narrativisé d'un condamné à mort, est un plaidoyer indirect, un apologue, pour la réforme de la justice (pénalités) et contre la peine de mort, mais à aucun moment, contrairement au roman écrit sur le même thème, Claude Gueux,  ni l'auteur, ni le prisonnier ne prennent la parole pour exposer des arguments rationnels. il s'agit avant tout d'exprimer  l'expérience d'un homme et de montrer la mécanique inhumaine qui se cache derrière la Loi.

Comme le dit Agnès Spitzel, l'écriture, pour Hugo, est une manière de dire l'humain, de faire exister une expérience humaine avec des mots, de montrer aussi qu'il y a encore de l'humain dans les marges et de l'inhumanité virtuelle dans l'humanité moyenne.

Le genre du texte :

Il s'agit d'un "roman à thèse", d'un plaidoyer pour la réforme des pénalités comme le bagne et contre la peine de mort.

Les registres : 

Réaliste : " (...) cette fatale pensée écrite dans l’horrible réalité qui m’entoure, sur la dalle mouillée et suante de ma cellule, dans les rayons pâles de ma lampe de nuit, dans la trame grossière de la toile de mes vêtements, sur la sombre figure du soldat de garde dont la giberne reluit à travers la grille du cachot..."

Lyrique : le locuteur évoque des sentiments personnels à la première personne du singulier (relever les marques de la personne dans le passage)

Argumentatif : le roman dans son ensemble et ce passage en particulier constitue un plaidoyer contre la peine de mort. On ne sait pas exactement qui est le personnage qui parle et ce qu'il a fait pour mériter cette peine. Il représente tous ceux qui sont dans la même situation que lui, quoi qu'ils aient fait (ce manque de précision sera reproché à Victor Hugo qui s'en défendra dans les préfaces aux éditions successives du roman).

Le passage est destiné à produire un effet sur le lecteur, en vertu de la fonction "pragmatique" du langage, sa capacité de produire un effet sur le destinataire, à le persuader de l'inhumanité de la peine de mort.

Fantastique : Le fantastique est l'irruption du surnaturel dans la réalité. Le registre fantastique se développe dans le paragraphe quatre  sous la forme d'une personnification (métaphore filée) :  "Quoi que je fasse, elle est toujours là, cette pensée infernale, comme un spectre de plomb à mes côtés, seule et jalouse, chassant toute distraction, face à face avec moi misérable et me secouant de ses deux mains de glace quand je veux détourner la tête ou fermer les yeux. Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir, se mêle comme un refrain horrible à toutes les paroles qu’on m’adresse, se colle avec moi aux grilles hideuses de mon cachot ; m’obsède éveillé, épie mon sommeil convulsif, et reparaît dans mes rêves sous la forme d’un couteau."

Il n'y a pas d'hésitation herméneutique possible (Todorov). Le "spectre" n'existe que dans l'imagination du personnage sous la forme d'un cauchemar quand il dort ou d'une hallucination quand il est éveillé.

Pathétique : Le passage est destiné à émouvoir le lecteur, à susciter sa compassion.

Tragique : Le registre tragique met en avant le thème du destin, de l'anankè, du fatum. Le sort du personnage est pour ainsi dire écrit d'avance dans la mesure où le roi n'a pas répondu à sa demande de grâce. Il a la certitude qu'il va être exécuté.

Le point de vue narratif : 

Point de vue ou focalisation interne. Les choses sont vues à travers la subjectivité du narrateur. Ce point de vue, associé à l'emploi de la première personne, favorise l'identification du lecteur au narrateur.

Les types de textes :

Le passage est essentiellement descriptif, mais comporte également des éléments narratifs (discours, monologue narrativisé).

Les champs lexicaux : 

Premier paragraphe : la fatalité, le malheur (chercher des exemples de chaque champ lexical dans les cinq paragraphes)

Second paragraphe :  la joie, la réussite, le divertissement

Troisième paragraphe : la captivité

Quatrième paragraphe : aux champs lexicaux du malheur et de la fatalité, s'ajoute celui du harcèlement, de la persécution (le spectre de la mort persécute, harcèle le prisonnier)

Cinquième paragraphe : le sordide (en relation avec le registre réaliste), le harcèlement (le spectre de la mort continue à harceler le prisonnier) ; le registre réaliste se mélange au registre fantastique (épouvante) dont il renforce l'effet dysphorique, le fantastique n'étant pas de l'ordre du surnaturel (fantastique objectif = le spectre n'est pas présenté comme réel), mais résidant dans l'imagination du prisonnier (fantastique subjectif), sous la forme du cauchemar et de l'hallucination.

Les figures de style :

Anaphores : "condamné à mort !" (3 fois) - "toujours seul avec elle, toujours glacé par sa présence, toujours courbé sous son poids" - "chaque jour, chaque heure, chaque minute"

Personnification (allégorie) : cette figure parcourt la totalité du passage qui s'ouvre et se clôt sur le syntagme nominal : "Condamné à mort !". Le narrateur extériorise (objective) cette unique pensée et lui prête des traits humains. - "sous les larges bras des marronniers" (contraste entre la pensée persécutrice : "Condamné à mort !" et les bras protecteurs des marronniers.)

Comparaisons : "Cette pensée infernale, comme un spectre de plomb"

Antithèses : "autrefois" (au début du deuxième paragraphe), "maintenant" (au début du troisième paragraphe) ; "libre"/"captif" 

Métaphores : "Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s’amusait à me les dérouler les unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d’inépuisables arabesques cette rude et mince étoffe de la vie." : le narrateur compare son esprit (son imagination ) à un brodeur" et sa vie à un tissu.

Énumérations : "C’étaient des jeunes filles, de splendides chapes d’évêque, des batailles gagnées, des théâtres pleins de bruit et de lumière, et puis encore des jeunes filles et de sombres promenades la nuit sous les larges bras des marronniers."

Gradations : "une horrible, une sanglante, une implacable idée !" - "Je n'ai qu'une pensée, qu'une conviction, qu'une certitude..."

Chiasmes : "Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée."

Hyperboles : chercher des exemples. L'emploi d'hyperboles caractérise la modalisation.

Les niveaux de langue : Le niveau de langue, lexical et syntaxique est soutenu. L'auteur (Victor Hugo) s'exprime à travers le narrateur.

Les temps et les modes et leur valeur d'aspect : les paragraphes 1,3,4,5 sont rédigés au présent d'énonciation, le paragraphe 2 à l'imparfait itératif (d'habitude). On trouve un verbe au conditionnel modal dans le paragraphe 4 : "voudrait" : "Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir."... Le conditionnel modal évoque une action dont les conditions de réalisation sont absentes (impossibles). 

Les connecteurs : l'extrait est structuré par deux connecteurs temporels antithétiques : "autrefois" au début du second paragraphe et "maintenant" au début du troisième.

Les types de phrases : l'extrait comporte une majorité de propositions indépendantes en asyndète (absence de coordination ou de subordination) ou coordonnées. La syntaxe traduit la succession désordonnée des pensées, des sentiments et des émotions du personnage au fur et à mesure qu'ils surgissent.

La ponctuation : Présence de nombreux points d'exclamation (ponctuation expressive) qui expriment la violence des sentiments et des émotions du narrateur (lyrisme passionné).

Les modélisateurs : Le narrateur (et, à travers lui, l'auteur) sont intensément présent dans l'énoncé (jugements mélioratifs et dépréciatifs, euphoriques et dysphoriques, hyperboles)

Proposition de problématique : 

Comment l'auteur suscite-t-il la compassion du lecteur ?

Axes d'étude : 

I. Le condamné évoque sa vie passée  :

a) Rappel de la situation d'énonciation (qui parle, où, quand, comment et pourquoi), le point de vue narratif, la relation auteur/narrateur, le temps de l'écriture et le temps du récit.

b) Une pensée heureuse,  libre et riche de tous les possibles (la dimension lyrique du texte)

c) Le contraste entre le passé et le présent (la dimension pathétique du texte)

II. Le condamné évoque sa vie présente :

a) Une pensée emprisonnée, tragique, obsessionnelle (la dimension tragique du texte)

b) Un environnement sordide (la dimension réaliste du texte)

c) L'allégorie du spectre et le thème de la persécution (la dimension fantastique du texte)

Conclusion : reprendre les conclusions partielles auxquelles vous avez abouti (bilan) et faites une ouverture.

Introduction possible :

Choqué par le spectacle de plusieurs exécutions publiques à Paris, Victor Hugo, chef de file du mouvement romantique, écrit en quelques semaines Le dernier jour d'un condamné,  plaidoyer indirect pour la réforme des pénalités comme le bagne et contre la peine de mort, paru en février 1829.

Dans cet extrait situé au début du livre, un prisonnier dont on ignore le nom et la raison exacte pour laquelle il a été condamné, exprime sa nostalgie d'un passé où il était encore libre, décrit la réalité sordide qui l'entoure et crie son épouvante devant le destin qui l'attend : "Condamné à mort !"

Comment l'auteur suscite-t-il l'horreur et la pitié du lecteur ?

Après avoir précisé la situation d'énonciation, nous étudierons dans une première partie l'évocation de sa vie d'avant son emprisonnement par le condamné, puis celle de sa vie présente.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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