Écouté la réédition d'un vieux vinyl des Beatles, "Abbaye Road" qui est sorti en 1969, l'année de leur séparation, où l'on voir les Beatles en file indienne traverser une rue de Londres sur un passage protégé. Paul Mac Cartney a les pieds nus, ce qui avait beaucoup intrigué à l'époque.
Je ne l'écouterai pas en boucle (Loi d'utilité décroissante ou d'intérêt marginal qui se traduit, je crois, par une fonction mathématique : "Plus tu bois, moins tu as soif"), mais ça été comme la madeleine de Proust. Une partie de ma jeunesse m'est revenue.
On n'écoute pas les Beatles, on écoute autre chose qui s'y rapporte et qu'on serait bien en peine de définir... Le sentiment de faire partie d'une génération qui avait ses propres états d'âme (?)...
Quelqu'un me disait que les Beatles, c'était pauvre musicalement parlant. Sans doute, mais ça peut être riche affectivement, d'où le succès des chansons (au XIXe siècle, on préférait Béranger à Chateaubriand).
Je sais bien qu'il y a une hiérarchie, que les Beatles ne "valent" pas Mozart, etc. Mais ce qui m'a touché à ce moment-là, ce sont les Beatles, pas Mozart.
La transposition de la philosophie des valeurs dans le domaine de l'art est problématique. Toutes ces hiérarchies sont artificielles et nous empêchent de penser ou d'éprouver du plaisir.
La philosophie des valeurs ne tient pas compte des circonstances, de l'instant, de l'humeur. Pourtant tout ne se vaut pas.
Il n'y a pas de musique "sacrée", il y a de la musique religieuse. Emmanuel Lévinas nous mettait en garde contre la notion de "sacré". Le sacré, c'est la sacrifice, la violence, le "numineux" (Rudolf Otto). La bombe atomique relève du sacré. Il faut préférer le "saint" au "sacré". J'ai retrouvé cela chez René Girard (La violence et le sacré)
Si je place les Concertos pour piano et orchestre de Rachmaninov par-dessus tout ne signifie pas qu'ils sont "objectivement" supérieurs aux chansons des Beatles dans une sorte de "ciel intelligible", mais que je les écoute plus souvent et plus volontiers.
En quoi pourrait bien consister cette "supériorité", sinon dans la capacité des grandes œuvres à élargir l'âme. Mais je serais bien en peine de définir en quoi consiste au juste cet "élargissement".
Devant un torse d'Apollon exposé au musée du Louvre, Rilke entend une voix intérieure lui dire : "Tu dois changer ta vie, tu dois changer de vie !"... Toute grande et belle oeuvre d'art, que ce soit une sculpture, un tableau ou un morceau de musique est une invitation à élargir sa vie, à y mettre plus de bien, de noblesse, de désintéressement, de fantaisie, de folie... L'art actuel fait souvent le contraire, malheureusement.
Mes œuvres préférées : la Pavane pour une infante défunte de Ravel et le Concerto pour piano en sol majeur (l'adagio bien sûr qui suscitait l'admiration de Richard : "mais comment peut-on faire quelque chose d'aussi beau ?"), le Requiem de Fauré, les Concertos pour piano et orchestre de Rachmaninov, les Variations Goldberg de Bach, le Concerto pour clarinette de Mozart, le Concerto n° 1 pour violon et orchestre de Tchaïkovski (cette oeuvre que préférait entre toutes le général de Gaulle communique un sentiment d'exaltation épique et a, en effet, des affinités secrètes avec l'Appel du 18 Juin 40), comme du reste le Second concerto pour piano et orchestre de Rachmaninov (l'âme russe !), le concerto d'Aranjuez de Joaquin Rodrigo, l'oeuvre pour piano d'Eric Satie interprété par Marie-France Clidat, un pur bonheur...
Je reconnais volontiers que cette "liste" n'a rien d'original.
Ces œuvres exaltent ce qu'il y a de meilleur en nous. La grande musique voilà que je remets de la hiérarchie !) touche à l'éthique, le Beau touche au Bien. "Le Beau, c'est la splendeur du Bien."