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Gérard Haddad, A l'origine de la violence - Le blog de Robin Guilloux
Une présentation par Myriam Illouz, Gabriel Veyret et Paulo Queiroz du livre " À l'origine de la violence, d'Œdipe à Caïn, une erreur de Freud ? " Ed. Salva... Gérard Haddad, A l'origine de l...
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"Freud a bâti la psychanalyse précisément sur le modèle patriarcal, sur une théorie du Père, gardien de l'ordre symbolique et modérateur de conflits. Ce schéma ma paraît aujourd'hui insuffisant.
Pourquoi cet accent porté sur le Père ? Bien sûr, celui-ci est, ou devait être, l'agent de séparation du sujet et de sa mère, sans quoi ce sujet s'engloutirait dans la psychose. Ce rôle de Père ne va pas disparaître, et on peut même regretter amèrement son affaiblissement. L'autorité paternelle, jusqu'ici "de droit divin", est à réélaborer, à reconstruire, dans le contexte de la révolution féminine. Sur ce point aussi, la Tunisie joue son rôle de laboratoire.
Mais il y a aussi, dans la rivalité au Père, quelque chose de relativement simple, d'optimiste. En effet, le conflit œdipien possède sa résolution, à savoir le meurtre symbolique du père et le renoncement à la mère comme objet de désir, sinon d'amour. Une fois le père mort, le conflit cesse.
En va-t-il de même dans la rivalité conflictuelle entre frères ? Car la fraternité n'est pas ce lieu d'amour que l'on imagine. Le meurtre du frère, son élimination, résout-il ce conflit ? Nullement, les frères sont comme les têtes de l'Hydre. Plus vous en coupez, plus il en repousse. Transposé sur la scène politique, on sait ce que cela donne. Qu'attend-on de son frère (ou de sa sœur) ? Essentiellement qu'il vous ressemble le plus possible, qu'il partage les mêmes idées, les mêmes valeurs, les mêmes croyances, la même foi. Si cette ressemblance est insuffisante, vous allez rompre avec lui. Cela peut conduire à ce que l'on appelle la purification ethnique. Seulement, une fois cette purification opérée, une fois éliminés les gens différents de vous, vous ne tardez pas à découvrir parmi ceux qui paraissent si semblables à vous, des gens très différents, insupportables même, que vous allez souhaiter combattre, éliminer, etc. Cette rivalité à l'autre du miroir (le double) est sans fin. Elle peut conduire au toboggan de la barbarie, ces tobogans que l'on voit proliférer ici et là.
Je pense que la psychanalyse devrait développer davantage sa réflexion sur cette question de la fraternité, non comme lieu d'amour, mais comme ressort de tous les conflits.
On a parfois reproché à Freud une inspiration religieuse, biblique, camouflée. Est-ce bien sûr ? Sans vouloir choquer personne, permettez-moi un instant de considérer les textes sacrés, les textes fondateurs, non comme des météorites tombés du ciel, mais comme le dépôt d'une sagesse millénaire. Prenons le cas de la Bible. De quoi nous parle-t-elle dès les premiers chapitres ? Du Père sous la forme de Dieu ? Peut-être. Mais dès le chapitre 4, voilà le premier meurtre, celui d'Abel, par son frère aîné Caïn. Et ça continue, ça rabâche pour les sourds : rivalité des fils de Noé, rivalité d'Ismaël et d'Isaac, rivalité au bord du meurtre de Jacob et d'Esaü, puis des fils de David qui s'entretuent, bref ça n'arrête pas.
De cette multiplication de récits de conflits entre frères, il ressort quand même une leçon, à savoir que la relation fraternelle est à la source de toutes les violences sociales. Elle paraît inépuisable. Serait-elle sans issue ?
Et voilà que la Bible nous présente soudain une figure merveilleuse, au physique comme au moral, Joseph, Yosef Ha Saddik. Si cette figure mythique de Joseph tient une place si importante dans le Coran, c'est pour d'importantes raisons. Dans la modernité, cette même figure a inspiré au grand écrivain allemand Thomas Mann, son chef-d'œuvre en quatre volumes Joseph et ses frères.
Pourquoi ce personnage a-t-il une telle aura ? Justement parce qu'il représente le frère persécuté, presque mis à mort, puis vendu comme esclave par ses propres frères. Lacan le dira un jour, sans doute en allusion à son propre destin : "A quoi sert un frère ? A être vendu comme esclave en Egypte." Voilà que dans un deuxième temps, ce Joseph est en posture de se venger de ceux qui lui ont fait tant de mal. Et pourtant, il n'en fait rien. Il surmonte ses pulsions et son agressivité, et il embrasse ses frères et les invite à suivre son exemple. Ce chemin idéal est celui de la sainteté et de la justice. Puissions-nous nous en inspirer !
Peut-être en définitive, ce grand congrès s'est-il tenu sous le signe de Joseph, c'est-à-dire celui de rivalités fraternelles surmontées."