Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Stendhal, Le Rouge et le Noir : portrait de M. de Rênal (travail préparatoire)

"Si, en entrant à Verrières, le voyageur demande à qui appartient cette belle fabrique de clous qui assourdit les gens qui montent la grande rue, on lui répond avec un accent traînard : Eh ! elle est à M. le maire.

Pour peu que le voyageur s'arrête quelques instants dans cette grande rue de Verrières, qui va en montant depuis la rive du Doubs jusque vers le sommet de la colline, il y a cent à parier contre un qu'il verra paraître un grand homme à l'air affairé et important.

À son aspect tous les chapeaux se lèvent rapidement. Ses cheveux sont grisonnants, et il est vêtu de gris. Il est chevalier de plusieurs ordres, il a un grand front, un nez aquilin, et au total sa figure ne manque pas d'une certaine régularité : on trouve même, au premier aspect, qu'elle réunit à la dignité du maire de village cette sorte d'agrément qui peut encore se rencontrer avec quarante-huit ou cinquante ans. Mais bientôt le voyageur parisien est choqué d'un certain air de contentement de soi et de suffisance mêlé à je ne sais quoi de borné et de peu inventif. On sent enfin que le talent de cet homme-là se borne à se faire payer bien exactement ce qu'on lui doit, et à payer lui-même le plus tard possible quand il doit.

Tel est le maire de Verrières, M. de Rênal. Après avoir traversé la rue d'un pas grave, il entre à la mairie et disparaît aux yeux du voyageur. Mais, cent pas plus haut, si celui-ci continue sa promenade, il aperçoit une maison d'assez belle apparence, et, à travers une grille de fer attenante à la maison, des jardins magnifiques. Au-delà c'est une ligne d'horizon formée par les collines de la Bourgogne, et qui semble faite à souhait pour le plaisir des yeux. Cette vue fait oublier au voyageur l'atmosphère empestée des petits intérêts d'argent dont il commence à être asphyxié.

On lui apprend que cette maison appartient à M. de Rênal. C'est aux bénéfices qu'il a faits sur sa grande fabrique de clous, que le maire de Verrières doit cette belle habitation en pierres de taille qu'il achève en ce moment. Sa famille, dit-on, est espagnole, antique, et, à ce qu'on prétend, établie dans le pays bien avant la conquête de Louis XIV.

Depuis 1815 il rougit d'être industriel : 1815 l'a fait maire de Verrières. Les murs en terrasse qui soutiennent les diverses parties de ce magnifique jardin, qui, d'étage en étage, descend jusqu'au Doubs, sont aussi la récompense de la science de M. de Rênal dans le commerce du fer."

Extrait du chapitre 1 - Le Rouge et le noir - Stendhal

L'œuvre :  

Le Rouge et le Noir, sous-titré Chronique du XIXème siècle, puis Chronique de 1830, est un roman écrit par Stendhal, publié pour la première fois à Paris chez Levasseur le 13 novembre 1830. C'est son deuxième roman, après Armance.

L'auteur : 

Henri Beyle, plus connu sous le nom de plume de Stendhal, né le 23 janvier 1783 à Grenoble et mort à Paris le 23 mars 1842, est un écrivain français, connu en particulier pour ses romans Le Rouge et le Noir et La Chartreuse de Parme.

Le thème du passage : 

Description de la grande rue de Verrières, vue par un voyageur venu de Paris, portrait contrasté de M. de Rênal, le maire de Verrière, description de sa maison, de ses jardins et du paysage environnant. Le lecteur apprend que cette maison appartient à M. de Rênal "grâce aux bénéfices qu'il a faits sur sa grande fabrique de clous", que la famille de M. de Rênal est d'origine espagnole, qu'il doit son statut de maire à la Restauration (retour de Louis XVIII après les cent jours et la défaite de Napoléon à Waterloo), qu'il aurait voulu être noble et qu'il a honte d'être un industriel.

Plan du texte (les mouvements) :

I. Du début jusqu'à "un grand homme à l'air affairé et important" : présentation du village de Verrières, de son unique fabrique, du paysage environnant et de son maire.

II. depuis "A son aspect tous les chapeaux se lèvent rapidement" jusqu'à "le plus tard possible quand il doit" : portrait physique et moral de M. de Rênal.

III. Depuis : "Tel est le maire de Verrières" jusqu'à "dont il commence à être asphyxié" : évocation de la maison, des jardins et du paysage autour de la maison de M. de Rênal.

IV. depuis : "On lui apprend que cette maison est à M. de Rênal jusqu'à la fin : renseignements complémentaires sur M. de Rênal, l'origine de sa fortune et de sa position sociale, son dépit de ne pas être un véritable aristocrate.

Noter le changement de point vue entre la partie III et la partie IV : on passe d'un point de vue interne à un point de vue omniscient puisque le narrateur semble tout savoir sur M. de Rênal, y compris ses pensées intimes.

Le genre : 

Il s'agit d'un extrait de roman.

Les registres : 

Le registre est essentiellement réaliste. Stendhal entend décrire, comme le fait Balzac, la réalité telle qu'elle est : "la vérité, l'âpre vérité" ; "un roman est un miroir que l'on promène le long du chemin".

La description des jardins autour de la maison du maire apporte une dimension lyrique et poétique. Le texte comporte également des notations relevant du registre comique, ironique, voire satirique : "on lui répond avec un accent traînard : "Eh ! elle est à M. Le maire" ; "un grand homme" (le syntagme désigne la taille de M. de Rênal, plutôt que son importance réelle) à l'air affairé et important (il se donne l'air d'être occupé et important" ; "A son aspect tous les chapeaux se lèvent rapidement" ; "un air de contentement de soi et de suffisance mêlé à je ne sais quoi de borné et de peu inventif" ; "On sent que le talent de cet homme-là se borne à faire payer exactement ce qu'on lui doit, et à payer lui-même le plus tard possible quand il doit" (M. de Rênal est dépeint comme un avare), "Cette vue fait oublier au voyageur l'atmosphère empestée des petits intérêts d'argent dont il commence à être asphyxié." (la nature, bien que "bornée" elle aussi est opposée à la société).

Le point de vue narratif : 

Le point de vue narratif est délégué à un narrateur homodiégétique anonyme (interne au récit) : "le voyageur" venu de Paris (réalisme subjectif).

Cet habile procédé permet à l'auteur de porter un jugement critique sur les notables de province et la province en général, mais de manière indirecte.

Le passage témoigne de la condescendance traditionnelle des Parisiens (et en particulier des artistes) vis-à-vis des Provinciaux, jugés moins ouverts, moins "à la mode", plus conservateurs, etc.

Les choses : la grand rue de Verrières, M. de Rênal, le maire de Verrières,  sa maison, ses jardins, le paysage environnant, sont vues à travers le regard du voyageur. 

Les informations complémentaires sur l'atmosphère "asphyxiante" de Verrières, les origines espagnoles de M. de Rênal, ses sources de revenu, le fait qu'il  "rougit d'être industriel" et qu'il aurait voulu être noble sont données par l'auteur. 

Les types de texte :

Le texte est une description itinérante (en mouvement) narrativisée. Le voyageur (fictif) remarque la "grande et assourdissante fabrique de clous (l'ouïe et la vue) et les gens du cru lui apprennent qu'elle appartient " à M. le maire".

Il fait une halte et le narrateur décrit à travers son regard la grand rue de Verrière et le paysage environnant qui la borne (la rive du Doubs, le sommet de la colline). La nature est beaucoup plus présente que dans une grande ville, notamment à Paris.

Le narrateur évoque au conditionnel ("il y a cent à parier"), ce qui confirme le statut de personnage fictif du narrateur l'apparition du maire de Verrières qu'il voit de loin : "un grand homme à l'air affairé et important".

Il évoque à travers une métonymie qui en souligne la dimension mécanique (et donc comique, le comique étant, comme le dit Bergson de la mécanique plaquée sur du vivant), la réaction des habitants de Verrières qui sont réduits à des chapeaux (la partie pour le tout) : "A son aspect tous les chapeaux se lèvent rapidement". 

Le narrateur informe ensuite le lecteur sur le statut social du personnage ("il est chevalier de plusieurs ordres"), sous-entendant qu'il doit ses décoration à son conformisme politique plutôt qu'à son mérite (M. de Rênal est légitimiste par opportunisme, il n'a en réalité aucune conviction politique et il se convertira pour la même raison au libéralisme à la fin du roman).

Nous avons ensuite un portrait "en plan rapproché" de M. de Rênal, mêlant dans un désordre voulu les notations physiques et sociales : ses cheveux, ses vêtements, ses décorations, son visage ("un grand front, un nez aquilin", c'est à dire en bec d'aigle, signes convenus de "noblesse") et l'impression qu'elle produit "au premier aspect" : "une certaine dignité du maire de village" et "une sorte d'agrément qui peut encore se rencontrer entre quarante-huit ou cinquante ans". Ce portrait restrictif est loin d'être vraiment élogieux.

Le portrait comporte ensuite des éléments psychologiques nettement dysphoriques : "un certain contentement et de suffisance mêlé à je ne sais quoi de borné et de peu inventif". Le passage suggère la vanité du personnage ainsi que son manque d'ouverture et de créativité. De plus, le portrait évoque son avarice, son côté intéressé, aux limites de la malhonnêteté : "On sent enfin que le talent de cet homme-là se borne à faire payer bien exactement ce qu'on lui doit, et à payer lui-même le plus tard possible quand il doit."

Le portrait est conforme dans l'ensemble à la théorie balzacienne du parallélisme psycho-physiologique (le physique des personnages correspond à leur caractère), ainsi qu'à la théorie de l'influence du milieu (un petit village à l'horizon borné) sur le caractère.

Le narrateur évoque ensuite, toujours à travers le regard du voyageur parisien fictif la "maison d'assez belle apparence" du maire de Verrières, ses "jardins magnifiques" et au-delà, la paysage environnant : "une ligne d'horizon formé par les collines de Bourgogne et qui semble faite à souhait pour le plaisir des yeux".

Cette vue fait oublier au voyageur l'atmosphère "empestée des petits intérêts d'argent dont il commence à être asphyxié. Le narrateur oppose donc, conformément à la sensibilité romantique, les agréments de la nature "qui semble faite à souhait pour le plaisir des yeux" et la mesquinerie de la société "empestée des petits intérêts d'argent".

La dimension descriptive du texte s'efface ensuite au profit d'une dimension explicative (didactique) Le lecteur apprend à quoi M. de Rênal doit sa "belle maison en pierres de taille", l'origine supposée de sa famille ("dit-on", "à ce qu'on prétend").

La focalisation interne (le point de vue du voyageur fictif) fait place à un point de vie omniscient qui est celui du narrateur, l'auteur lui-même : M. de Rênal rougit de la classe sociale à laquelle il appartient (c'est un bourgeois qui doit sa fortune à l'industrie et au commerce des clous et sa position sociale au retour de la monarchie et non un aristocrate).

Le texte se termine par un trait ironique : "les murs en terrasse qui soutiennent les diverses parties de ce magnifique jardin, qui, d'étage en étage, descend jusqu'au Doubs, sont aussi la récompense de la science de M. de Rênal dans le commerce du fer".

Les figures de style : 

Les principales figures de style sont l'ironie (le portrait de M. de Rênal) et l'antithèse (entre l'agrément de la nature et l'étroitesse de la vie sociale). 

Les niveaux de langue :

Courant/soutenu.

Les modes et les temps et leur valeur d'aspect :

Le texte est écrit au présent de caractérisation (de description),

Les types de phrase :

Le texte est composé d'une majorité de phrases simples (un seul verbe) en asyndète (peu ou pas de mots de liaison). 

La modalisation :

La modalisation est tantôt positive (mais avec des restrictions) : "il est chevalier de plusieurs ordres", "il a un grand front, un nez aquilin, et au total sa figure ne manque pas d'une certaine régularité", "on trouve même au premier aspect, qu'elle réunit à la dignité du maire de village cette sorte d'agrément qui peut encore se rencontrer avec quarante-huit ou cinquante ans", "jardins magnifiques",

... tantôt péjorative : "cette fabrique de clous qui assourdit les gens", "il y a cent à parier contre un qu'il verra paraître un grand homme à l'air affairé et important", "mais bientôt le voyageur parisien est choqué d'un certain air de contentement de soi et de suffisance mêlé à je ne sais quoi de borné et de peu inventif", "après avoir traversé la rue d'un pas grave" (M. de Rênal est pénétré de son importance), "Cette vue fait oublier au voyageur l'atmosphère empestée des petits intérêts d'argent dont il commence à être asphyxié", "sa famille, dit-on, est espagnole antique, et, à ce qu'on prétend, établie dans le pays bien avant la conquête de Louis XIV, "il rougit d'être industriel", "1815 l'a fait maire de Verrières" (il doit son ascension sociale à la Restauration de la monarchie après les Cent Jours et la défaite de Napoléon à Waterloo), " Les murs en terrasse sont aussi la récompense de la science de M. de Rênal dans le commerce du fer."

Le portrait physique et psychologique du personnage est donc ambigu et fortement contrasté.

Proposition d'introduction (l'œuvre, l'auteur, le thème du passage, la problématique et l'annonce du plan : 

Ce passage est extrait du Rouge et le Noir de Stendhal, de son vrai nom Henri Beyle, roman publié en 1830.

Il comporte une évocation de Verrières, un village de Franche-Comté, vu par un voyageur venu de Paris, un portrait contrasté de M. de Rênal, le maire de Verrières, une description de sa maison, de ses jardins et du paysage environnant. 

En quoi l'utilisation des points de vue (interne et omniscient) permet-elle de proposer un portrait ironique du personnage ? 

Nous étudierons la caractère progressif et réaliste de la présentation du personnage, puis la façon dont s'élabore la satire d'un riche bourgeois de province.

I. Le caractère réaliste et progressif de la présentation du personnage :

1. Un personnage indissociable de son milieu 
2. Le point de vue d'un voyageur fictif
3. Un type social : une figure d'autorité politique et financière
 
II. Le caractère satirique du passage : 
 
1. Un personnage vaniteux et avare
2. Une réussite limitée à un village de province
3. La polyphonie énonciative (le double point de vue) au service de la critique

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :