Romantisme et critique de la civilisation, traduit de l'allemand par Christophe David et Alexandra Richter, textes choisis et présentés par Michael Löwy, Editions Payot&Rivages (Petite bibliothèque Payot), Paris 2010 et 2022
L'auteur : Walter Walter Benjamin (nom complet : Walter Bendix Schönflies Benjamin) est un philosophe, historien de l'art, critique littéraire, critique d'art et traducteur allemand né le 15 juillet 1892 à Berlin (Allemagne) et mort le 26 septembre 1940 à Portbou en Catalogne, dans l'Espagne franquiste.
Présentation :
"Ces hommes se libéreront-ils ?
Qu'ils traitent des armes chimiques ou de la condition ouvrière, de la conquête espagnole des Amériques ou du cosmopolitisme, les textes peu connus de Walter Benjamin rassemblés ici, écrits entre 1913 et 1939, sont porteurs d'une critique radicale de notre monde "civilisé" qui peut prendre des formes littéraires, théologiques ou philosophiques et qui puise à trois sources principales : le messianisme juif, le romantisme allemand et le marxisme. Par romantisme, il faut entendre une protestation culturelle contre la civilisation moderne au nom de certaines valeurs du passé. Sur cette base, Benjamin ne cesse de construire d'un texte à l'autre, ses propres figues subversives pour luttant contre la réification marchande et le désenchantement du monde, ouvrir un chemin d'émancipation."
Extrait de la préface : Walter Benjamin, critique de la civilisation par Michael Löwy
"Walter Benjamin occupe une place singulière dans l'histoire de la pensée critique moderne : il est le premier partisan du matérialisme historique à rompre radivcalement avec l'idéologie du progrès linéaire. Cette particularité n'est pas sans rapport avec sa capacité à intégrer dans la théorie critique des éléments de la Zivilisationskritik romantique.
Par leur critique radicale de la civilisation bourgeoise moderne, par leur déconstruction de l'idéologie du progrès - le Grand Récit des temps modernes, commun aussi bien aux libéraux qu'aux socialistes - , les écrits de Benjamin semblent un bloc erratique en marge des principaux courants de la culture moderne.
Les recueils des écrits de Walter Benjamin parus en français sont loin d'être exhaustifs. Parmi les textes oubliés figurent de nombreuses richesses et, dans certains cas, de véritables mines d'or. Nous avons retenu pour cette anthologie des textes inédits en français ou introuvables (car publiés dans des revues confidentielles ou difficiles à consulter), qui sont porteurs, à des degrés divers, d'une critique radicale de la civilisation capitaliste-industrielle moderne.
Que ce soit à propos des armes chimiques des guerres futures ou de la condition des ouvriers dans l'Allemagne nazie, la plupart de ces écrits portent un regard lucide, ironique ou tragique sur le monde "civilisé" du XXème siècle (et parfois sur ses origines dans les guerres de conquête du XVIème siècle).
Cette critique, qui peut prendre des formes littéraires, théologiques ou philosophiques, puise à trois sources principales : le messianisme juif, le romantisme allemand et - à partir de 1925 - le marxisme.
Chargée de "temps d'à présent" (Jetztzeit) en ce début du XXIème siècle, elle ne relève pas moins de ce que Freud désignait comme "l'inquiétante étrangeté"..
La référence au romantisme est présente tout au long de cet itinéraire et n'a pas été effacée par les découvertes de Marx ou de Lukacs.
Depuis le texte de jeunesse intitulé 'Romantisme" jusqu'au compte rendu du livre d'Albert Bégin, L'âme romantique et le rêve (1939), en passant par les textes sur Johann Jakob Bachofen, Ernst Theodor Amadeus Hoffmann et Franz von Baader, Benjamin ne cesse de construire, avec des pièces du kaléidoscope romantique, ses propres figures de la subversion culturelle.
Le romantisme n'est pas seulement une école littéraire du XIXème siècle ou une réaction traditionnaliste à la Révolution française - deux propositions qu'on retrouve dans un nombre incalculable d'ouvrages d'éminents spécialistes d'histoire littéraire ou d'histoire des idées politiques. Il est plutôt une forme de sensibilité irriguant tous les champs de la culture, une vision du monde qui s'étend de la seconde moitié du XVIIIème siècle (de Rousseau !) jusqu'à nos jours, une comète dont le noyaux incandescent est la révolte contre la civilisation industrielle-capitaliste moderne au nom de certaines valeurs sociales ou culturelles du passé.
Nostalgique d'un paradis perdu - réel ou imaginaire - , le romantisme s'oppose, avec l'énergie mélancolique du désespoir, à l'esprit quantificateur de l'univers bourgeois, à la réification marchande, à la platitude utilitariste et, surtout, au désenchantement du monde. Il peut prendre des formes régressives, réactionnaires, restauratrices visant un retour au passé, mais également des formes révolutionnaires intégrant les conquêtes de 1789 (liberté, démocratie, égalité) pour lesquelles le but n'est pas un retour en arrière mais un détour par le passé communautaire pour aller vers l'avenir utopique.
C'est évidemment à cette dernière sensibilité qu'appartient Walter Benjamin.
essayons de répérer, en suivant l'ordre chronologique, certains aspects de la "critique de la civilisation" romantique-révolutionnaire de Walter Benjamin à travers quelques-uns des écrits ici rassemblés.
Il ne s'agit nullement d'un parcours systématique, mais plutôt de notes marginales (au sens de Randglossen) sur tel ou tel texte qui nous semble particulièrement frappant. Il s'agit, bien entendu, d'une lecture "orientée", d'une interprétation personnelle qui ne prétend à aucun privilège épistémologique.
D'autres approches possibles et légitimes de ces textes ne manqueront pas de se déveopper à la suite de la publication de ce recueil..."