Charles Péguy aux "Cahiers de la Quinzaine"
Il n’existait à ce jour aucune étude approfondie sur l’engagement des catholiques français dans la vie sociale et politique au XX° siècle. Au moment où la notion de « laïcité » revient sur le devant de la scène, un ouvrage inédit, rigoureux et novateur, rédigé par un collectif d’historiens et de chercheurs « Les catholiques dans la République (1905-2005) » vient à point nommé pour combler cette lacune.
La loi du 9 décembre 1905 met fin à un siècle de régime concordataire et fait de la séparation entre les Eglises et l’Etat une caractéristique originale du modèle républicain français. Hésitant au départ entre reconquête politique, engagement social et repli sur soi, les catholiques français ont finalement pris leur part à la construction de cette République qui avait commencé par les écarter. La plupart d’entre eux n’éprouvent aujourd’hui aucun mal à s’inscrire dans une République avec laquelle ils ont appris à composer au fil d’une histoire mouvementée.
L’ouvrage analyse les grandes étapes de cette adhésion progressive, depuis l’Affaire Dreyfus jusqu’au récent débat sur la laïcité, en passant par la condamnation « symétrique » par le magistère romain du Sillon de Marc Sangnier, en 1924, puis de l’Action française de Charles Maurras, en 1926, sans oublier la première guerre mondiale ainsi que la période de l’Occupation puis de la reconstruction du pays.
La confrontation avec la souffrance et l’absurde, l’expérience de la solidarité dans les tranchées entre « ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas », puis le combat contre une idéologie raciste, totalitaire et athée au service d’une volonté de puissance destructrice, ont été des occasions pour les catholiques français de s’ouvrir aux autres composantes de la société. Après la deuxième guerre mondiale, les catholiques se sont engagés en grand nombre dans le relèvement d’un pays exsangue et la construction d’une Europe nouvelle sur la base d’une réconciliation avec l’ennemi d’hier.
Usines, entreprises, hôpitaux, écoles, presse, intimité familiale… aucun domaine n’échappe à l’investissement « militant » des catholiques. Ce livre évoque la foisonnante diversité des engagements et la variété de ceux qui ont cherché à inscrire dans la société civile les valeurs inspirées de l’Evangile : le missionnaire, l’intellectuel catholique, le prêtre ouvrier, le résistant, le syndicaliste engagé dans le monde rural ou ouvrier, le militant jociste, le membre d’un mouvement d’action catholique, l’ingénieur, l’entrepreneur, le dirigeant ou le cadre, l’éducateur, le journaliste, le personnel soignant, les nombreuses femmes investies dans le combat en faveur des plus démunis et d’une reconnaissance au sein de l’Eglise…
On y trouve des biographies d’hommes et de femmes emblématiques comme Marc Sangnier, Charles de Foucault, Geneviève Antonioz De Gaulle, la fondatrice d’ATD Quart Monde, l’écrivain François Mauriac ou le journaliste Albert Garrigues qui dirigea le Courrier français de 1944 à 1987.
Loin de toute hagiographie, ce travail d’historiens se veut objectif et équitable. Il rend justice à toutes ces formes d’engagement pour en montrer la grandeur, mais aussi parfois les ambiguïtés. Si les catholiques sont les porteurs d’un message « pas comme les autres », ce sont pourtant des hommes et des femmes « comme les autres », avec leurs faiblesses et leurs limites.
La société française a considérablement changé en un siècle : disparition de la « classe ouvrière », raréfaction des « paysans » remplacés par les « agriculteurs », développement des villes, essor des classes moyennes et du secteur tertiaire…Si la présence des catholiques est aujourd’hui plus discrète, moins militante et moins passionnée, plus respectueuse des différences, plus soucieuse de dialogue interreligieux et « d’inculturation », elle n’en demeure pas moins réelle, par exemple dans les domaines des valeurs, de la lutte contre l’exclusion, de la bioéthique, de l’humanitaire, de la culture, de l’éducation ou du commerce équitable.
La « Parole » dont les catholiques sont porteurs reste d’actualité dans un monde « incohérent et aux multiple messages ». Après avoir contribué à nuancer et à humaniser les idées d’une Révolution française qui les avait combattus, les catholiques voient désormais dans une République fragilisée dans ses repères, son action et sa légitimité une alliée à défendre et à secourir.
« Les catholiques dans la République, 1905-2005 », sous la direction de Bruno Duriez, directeur de recherche au CNRS, Etienne Fouilloux, professeur émérite d’Histoire contemporaine à l’université Lumière-Lyon 2, Denis Pelletier, professeur d’Histoire contemporaine à l’université Lumière Lyon 2 et Nathalie Viet-Depaule, ingénieur, membre du centre d’étude des mouvements sociaux (CNRS-EHESS), avec la collaboration de Tangi Cavalin, agrégé d’Histoire - aux Editions de l’atelier - Editions ouvrières, 12, ave. Soeur Rosalie, 75013, Paris - 365 pages, 27 euros.