Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée, Essai, NRF Gallimard (1987)
Né à Paris, le 30 juin 1949, Alain Finkielkraut est un écrivain, philosophe et essayiste français. Auteur de nombreux ouvrages sur la littérature, l'amour, la modernité, la judaïté, le nationalisme, la colonisation, il défend la notion d'identité, l'idée de transmission, d'héritage, de tradition, ainsi que l'esprit des humanités et la redécouverte du sens du tragique. Il s'est exprimé sur l'antisémitisme et le racisme, sur le multiculturalisme, sur les failles du système éducatif français qui conduisent à la marginalisation des enfants issus de l'immigration, ou encore sur les guerres de Yougoslavie.
Première partie : l'enracinement de l'esprit
En 1926, écrit Alain Finkielkraut, Julien Benda publie La trahison des clercs. Son sujet : "le cataclysme des notions morales chez ceux qui éduquent le monde". Benda s'inquiète de l'enthousiasme que l'Europe pensante professe depuis quelques temps pour les profondeurs mystérieuses de l'âme collective. Il dénonce l'allégresse avec laquelle les desservants de l'activité intellectuelle, à l'encontre de leur vocation millénaire, flétrissent le sentiment universel et glorifient les particularismes. Avec une stupeur indignée, il constate que les clercs de son temps abandonnent le souci des valeurs immuables, pour exhorter leur nation à s'étreindre, à s'adorer elle-même, et à se poser "contre les autres, dans sa langue, dans son art, dans sa philosophie, dans sa civilisation, dans sa "culture". Cette transmutation de la culture en ma culture est pour Benda la marque de l'âge moderne, sa contribution irremplaçable et fatidique à l'Histoire morale de l'Humanité."
Deux conceptions s'affrontent depuis la fin du XVIIIème siècle : celle des Droits de l'Homme qui suppose l'idée d'un homme abstrait, universel, soustrait aux particularismes de sa caste, de sa culture, de sa nation et celle du Volkgeist selon laquelle l'humanité se décline au pluriel (Herder).
Alain Fienkielkraut évoque le combat historial de ces deux conceptions, depuis la Révolution française jusqu'à aujourd'hui : si la notion de Volkgeist est une arme contre l'occupation napoléonienne, elle se dresse aussi contre les idéaux de la Révolution française. Goethe est l'un des seuls, contre Herder et le Volkgeist, à affirmer l'universalité de l'esprit humain à travers le temps et l'espace.
En France, Louis de Bonald et Joseph de Maistre s'attaquent à la conception universaliste de l'homme au nom d'une conception "organique" et hiérarchique de la société dans laquelle les coutumes, les habitudes, les préjugés, les traditions et les croyances ancestrales occupent la place que Bossuet assignait à la Providence divine. La même logique explique que Charles Maurras, devenu agnostique, maintient la nécessité de l'existence de l'Eglise catholique en tant qu'institution, "même si Dieu n'existe pas".
La situation s'inverse après la défaite de Sedan et l'annexion de l'Alsace-Lorraine et l'on voit des hommes comme Ernest Renan, attachés jusque là à une définition culturelle de la nation, opter pour une définition contractuelle : même en admettant que les Alsaciens sont de culture allemande, étant donné qu'ils refusent leur rattachement à l'Empire allemand, ils demeurent français.
Renan qui voit désormais, et à juste titre, dans le Volkgeist "l'explosif le plus dangereux des temps modernes", pas plus que Goethe en son temps, ne sera suivi ; l'annexion de l'Alsace-Lorraine va susciter du côté français les mêmes réactions nationalistes que l'occupation des principautés allemandes par les troupes napoléoniennes. Barrès, le plus illustre d'entre ses représentants oppose l'homme enraciné dans sa terre, dans sa culture, y compris dans ses préjugés, au déracinement que lui fait subir la pensée des Lumières.
L'affrontement va se cristalliser autour de l'affaire Dreyfus : Dreyfus est forcément coupable, puisqu'il est juif, Dreyfus est innocent ou coupable, mais il ne doit être jugé qu'en en tant qu'homme. En réhabilitant le capitaine Dreyfus, la France opte in extremis pour la conception des Lumières et les valeurs fondatrices de la République : la défense de la justice et la vérité sont au-dessus des intérêts de l'armée française... Il appartient au Droit de corriger la tendance des peuples (et des gouvernants) à assurer la cohésion des communautés autour d'un "bouc émissaire"...
"L'affaire Dreyfus, écrit Julien Benda, a joué un rôle capital dans l'histoire de mon esprit par la netteté avec laquelle elle m'a permis d'apercevoir, comme dans un éclair, la hiérarchie de valeurs qui fait le fond de mon être et ma haine organique pour le système adverse." (J. Benda, La jeunesse d'un clerc)
Deuxième partie : La trahison généreuse
Alain Finkielkraut s'attache, dans la deuxième partie de l'ouvrage, à suivre avatars et les paradoxes du conflit entre l'universalité et l'enracinement au lendemain de la deuxième guerre mondiale.
Les déclarations fondatrices de l'UNESCO récusent, à juste titre, la suprématie de l'occident et son droit à coloniser les autres peuples au nom de la supériorité de sa "civilisation" et concluent à l'égalité de toutes les cultures.
Mais cette conclusion, étayée "scientifiquement" par des anthropologues comme Claude Levi-Strauss (Race et Histoire), renforce l'idéologie de l'enracinement et du refus de l'universalité que dénonçait Julien Benda dans La Trahison des clercs et qui avait abouti précisément au désastre dont les intellectuels bien intentionnés voulaient écarter définitivement les causes à la fin de la deuxième guerre mondiale.
Il y a donc un "double langage" contradictoire de l'Unesco qui d'un côté exige le respect des Droits de l'Homme et nie, d'un autre côté, l'unicité de l'espèce humaine et renvoie chaque homme à "sa" culture.
"La colonisation s'était opérée au nom des Lumières. La philosophie de la décolonisation renoue avec Herder et le Volkgeist.", écrit Alain Finkielkraut qui admet que cette référence du colonisé à sa culture (et uniquement à sa culture contre celle de l'autre) est inévitable et sans doute, comme du temps de Herder, salutaire du point de vue du combat qu'il mène pour son émancipation, mais qu'elle a ses limites et qu'elle explique en particulier la raison pour laquelle la décolonisation n'a jamais abouti jusqu'à présent à l'instauration de la démocratie dans les anciens pays colonisés et à leur émancipation réelle.
Troisième partie : Vers une société pluriculturelle ?
Cette troisième et dernière partie de l'ouvrage d'Alain Finkielkraut, sans doute la plus "dérangeante" (mais quelle est l'intérêt d'une pensée "qui ne dérange pas" ?) traite de la situation de la culture dans la société post-moderne.
La position de thèse d'Alain Fienkielkraut est que la pluralité, la relativité et l'égale valeur des cultures constituent, plutôt pour le pire que pour le meilleur, l'idéologie dominante (et le credo obligatoire) de la société occidentale et en particulier de la société française.
"A chaque peuple sa personnalité culturelle ; à chaque culture ses valeurs morales, ses traditions politiques, ses règles de comportement. Depuis peu, cette conception n'est plus l'apanage des peuples du Tiers-Monde en lutte contre la suprématie occidentale. Y souscrit également la fraction de l'opinion publique qui dénonce "l'invasion" progressive de l'Europe par les ressortissants des pays sous-développés"...(p. 109)
... "Herder est donc présent partout. Maintenant que sont levés les tabous de l'après-guerre, il triomphe sans partage : c'est lui qui inspire à la fois la glorification de l'égoïsme sacré et sa dénonciation la plus véhémente, la crispation sur le moi collectif et la forme que prend le respect de l'étranger, l'agressivité des xénophobes et la bonté des xénophiles, l'invitation frileuse au repli et le beau risque de l'ouverture aux autres..."(p. 112)
"Contre la "vérité française" et la raison d'Etat, les dreyfusards en appelaient jadis à des normes inconditionnelles ou à des valeurs universelles. De nos jours, tandis que resurgit la philosophie de l'antidreyfusisme, ses adversaires - nombreux, déterminés et animés d'une furieuse éloquence - fondent leur combat sur le fait que tous les goûts sont dans la culture. Il n'y a plus de dreyfusards." (p. 113)
La fin du chapitre "la disparition des dreyfusard" met le doigt sur les contradictions d'un certain discours sur "l'intégration des immigrés" et explique à l'avance le dialogue de sourds auquel a abouti le récent débat sur "l'identité nationale" : "Il faut choisir, en effet : on ne peut célébrer simultanément la communication universelle et la différence dans ce qu'elle a d'intransmissible ; on ne peut, après avoir rattaché les Français à leur pays par les seuls liens de la mémoire affective (comme le fait Régis Debray), peupler la France de gens qui n'ont pas accès à cette mémoire, et qui n'ont même rien d'autre en commun que d'en être exclus. Il y a une contradiction insurmontable à vouloir fonder l'hospitalité sur l'enracinement."
Remarque personnelle :
Dans une interview télévisée, dans les années 70, Hannah Arendt répondait à la question de savoir "ce qu'était qu'être américain", que l'Amérique n'étant pas un "Etat-Nation", la citoyenneté américaine n'était fondée ni sur la langue, ni sur la religion, ni sur les habitudes culturelles, mais uniquement sur l'adhésion à la Constitution des Etats-Unis, si bien qu'un Juif, par exemple, pouvait se sentir à la fois pleinement américain et pleinement juif.
Dans la mesure où l'exemple des Etats-Unis est transférable dans des pays comme la France où la Constitution n'a pas de caractère "sacré", il ne s'agirait donc pas de "fonder l'hospitalité sur l'enracinement' en exigeant des émigrés qu'ils renoncent à leur identité, à leur mémoire, à leur religion, etc., mais qu'ils adhèrent aux Lois de la République, ce qui supposerait de renouer avec la définition contractuelle (et non pas culturelle) de la nation (cf. Renan : "qu'est-ce qu'une nation ?")
Ceci dit, sans vouloir "fonder l'hospitalité sur l'enracinement", il me semble que ceux qui offrent l'hospitalité, volontairement ou non, sont en droit de demander autre chose qu'une simple adhésion à des principes. Comme me le fait remarquer un commentateur, Alain Finkielkraut s'est récemment contredit en parlant de la nécessité de respecter les règles de la "courtoisie française", notamment dans les rapport entre hommes et femmes "dans les banlieues".
La frontière entre l'universalisme et l'enracinement ne peut pas être aussi tranchée. On peut et on doit s'ouvrir, sur l'universel, mais on ne peut le faire qu'à partir d'une histoire personnelle et collective et donc d'une forme d'enracinement. Les idéaux des Lumières et de la Révolution française, les Droits de l'Homme, etc. sont eux-mêmes les produits d'une Histoire, ce sont les plus beaux surgeons d'un arbre enraciné, qu'on le veuille ou non, dans le christianisme. C'est en ce point que nous sommes renvoyés à la vie de la pensée : contrairement à ce que prétend l'anti-racisme naïf, l'ouverture à l'universel, la relation à autrui n'est ni facile, ni "obligatoire", ni définitivement acquise.
En demandant aux jeunes des banlieues de se montrer "courtois" envers les femmes, Alain Fienkelkraut a délibérément choisi une notion, "l'amour courtois" qui est à la charnière du culturel "enraciné" (dans la civilisation languedocienne et, selon Denis de Rougemont, dans L'Amour et l'Occident, chez les Cathares) et du juridique. L'essence de l'amour courtois réside dans la renonciation à dominer la femme ; ce fait culturel et littéraire (la poésie des trouvères et des troubadours) plonge ses racines dans le christianisme (le culte de la Vierge Marie et l'importance des figures féminines dans l’Évangile, comme Anne, Elisabeth ou Marie-Madeleine).
Dans Le chevalier à la charrette de Chrétien de Troyes, sa "dame" demande à Lancelot de lui sacrifier son honneur : l'amour courtois, chez Chrétien de Troyes, surpasse même les valeurs de la chevalerie. Mais il s'agit ici d'un texte littéraire mettant l'accent sur la particularité. Si l'amour courtois a influencé les rapports entre les hommes et les femmes, il ne les a jamais vraiment "structurés".
On voit bien cependant, à travers cet exemple que le principe (l'égalité juridique entre hommes et femmes) est intriqué dans le culturel et qu'à vrai dire, il en provient.
Dans la première partie de L'ingratitude (NRF Gallimard, 1999), dialogue avec un ami québécois, Antoine Robitaille, Alain Fienkielkraut semble soutenir la thèse exactement inverse à celle de La défaite de la pensée : l'attachement au "Volkgeist" est une question de survie pour les "petites nations" perpétuellement menacées de disparition, comme la Bosnie, la Croatie, le Montenegro, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Pologne, les Républiques baltes...
Mais pourquoi y aurait-il une contradiction insurmontable entre la nécessité vitale ou du moins la légitimité de l'enracinement - pour les "petites nations", mais la France, par rapport aux Etats-Unis, à l'Allemagne réunifiée ou à l'Union européenne qui s'est fixée pour objectif à plus ou moins long terme de l'absorber dans une entité supra-nationale, n'est-elle pas une "petite nation" ? - et la nécessité, tout ausi vitale, de s'ouvrir à l'universel, de ne pas s'identifier à sa famille, à son clan, à sa tribu, à sa culture?
"Une pédagogie de la relativité" (p. 115) s'en prend au préambule d'un rapport du Collège de France, intitulé "Propositions pour l'enseignement de l'avenir", remis au Président de la République en 1985 et en particulier du premier des dix principes, "L'unité de la science et la pluralité des cultures" : Un enseignement harmonieux doit pouvoir concilier l'universalisme inhérent à la pensée scientifique et le relativisme qu'enseignement les sciences humaines attentives à la pluralité des modes de vie, des sagesses, des sensibilités culturelles."
"Ainsi, écrit Alain Finkielkraut, c'est pour extirper, comme Goethe, le chauvinisme de la culture, qu'il est demandé à l'enseignement de l'avenir de convertir, comme Herder, la littérature en folklore. Rappelé à l'ordre de la différence, moi Ernest, Hippolyte ou Jules, je ne m'étale plus, j'occupe sans déborder le lieu qui m'est alloué dans le monde. Conscient que mes jugements ont une histoire et un territoire, accédant par le savoir à la variété des patrimoines, je me contente d'être ce que je suis. Ce qui donne, du même coup, à Milan, à Julio, à Djamila, à Boris et à Rachel la place d'exister en dehors de moi ou même, quand la conjoncture l'exige, à mes côtés...
Les sages du Collège de France restent fidèles à l'esprit de la décolonisation. A l'encontre de Régis Debray, ils ne flattent pas le nationalisme français ou le particularisme européen, ils le stigmatisent. Comme lui, cependant, ils brisent la continuité culturelle de l'humanité, dans l'unique et noble dessein de favoriser le rapprochement entre les hommes."
Les recommandations du Collège de France sont pour le moins symptomatique d'un climat général et traduisent bien le fond de l'air du temps : le climat de relativisme, l'effacement des distinctions et "l'engloutissement du cultivé dans le culturel", la culture de prestige n'étant que l'expression fragmentaire d'un domaine plus vaste qui comprend la nourriture, le vêtement, le travail, les jeux, bref, comme le dit Claude Lévi-Strauss "toutes les habitudes ou aptitudes apprises par l'homme en tant que membre d'une société."
"Dès lors, il n'y a plus de différence entre une oeuvre et un document, c'est dans la science et seulement dans la science que l'homme se hausse au niveau des schémas perceptifs déposés en lui par la collectivité dont il est membre... "avec cet effacement, c'en est fait du rêve goethéen de littérature universelle". (p. 119)
Or, insiste Alain Finkielkraut (il y consacrera plus tard un livre entier : Un coeur intelligent), "la science n'a pas le monopole de la vérité ; ce qui distingue les grands romans des simples archives, c'est qu'ils ne sont pas seulement des matériaux pour les historiens, mais des formes d'investigation du monde et de l'existence."
Et de constater avec tristesse que l'idéal d'universalité de la culture française qui suscita l’admiration de Gombrowicz, fatigué par la "polonité" et incita Emmanuel Lévinas à quitter sa Lituanie natale, en 1923, pour faire ses études à l'université de Strasbourg, est en voie de disparition.
"La France ne se réduit pas à la francité, son patrimoine n'est pas composé, pour l'essentiel, de déterminations inconscientes ou de modes d'être typiques et héréditaires, mais de valeurs offertes à l'intelligence des hommes, et Lévinas lui-même est devenu français par amour pour Molière, pour Descartes, pour Pascal, pour Malebranche - pour des œuvres qui ne témoignent d'aucun pittoresque, mais qui, prenant en considération autre chose que la France, sont des contributions originales à la littérature universelle ou à la philosophie."
Quatrième partie : Nous sommes le monde, nous sommes les enfants.
("We are the world, we are the children !")
Dans la dernière partie, placée sous l'égide du slogan des populistes russes du XIXème siècle "Une paire de bottes vaut Shakespeare", Alain Finkielkraut analyse les comportements de l'individu post-moderne au sein de la société de consommation et de loisirs et l'idéologie dont ils relèvent : l'effacement tendanciel du geste créateur, la banalisation des œuvres d'art, "l'absorption vengeresse ou masochiste du cultivé (la vie de l'esprit) dans le culturel (l'existence coutumière)", la "liberté de faire ce que l'on veut", le refus de distinguer entre la vérité et le mensonge, la beauté et la laideur, en deux mots, la "confusion mentale".
"La "pensée calculante", explique Finkielkraut, en se référant à Martin Heidegger surmonte ses anciennes exclusives, découvre l'utilité de l'inutile, investit méthodiquement le monde des appétits et des plaisirs, et, après avoir ravalé la culture au rang des dépenses improductives, élève maintenant toute distraction à la dignité culturelle : nulle valeur transcendante ne doit pouvoir freiner ou même conditionner l'exploitation des loisirs et le développement de la consommation."
"Au moment même où la technique, par télévision ou par ordinateurs interposés, semble pouvoir faire entrer tous les savoirs dans tous les foyers, la logique de la consommation détruit la culture."
Un autre aspect frappant de la société post-moderne est la glorification permanente de l'adolescent, la promotion d'une "culture adolescente" devenue la norme d'une "société enfin devenue adolescente", caractérisée par le jeu, le "feeling", la sensation, le "climat", toutes valeurs étrangères aux critères traditionnels de la communication occidentale fondée sur les mots.
Que s'est-il donc passé demande Finkielkraut, citant Fellini "pour que nous en soyons venus à considérer comme des maîtres dépositaires de toutes les vérités des garçons de quinze ans" ?
Cette glorification du "jeune" se fait au détriment des individus qu'elle enferme dans le conformisme de leur "bio-classe"... "autrefois niés en tant que peuple, les jeunes le sont désormais en tant qu'individus."
Alain Finkielkraut montre que l'argument d'efficacité pour justifier les grands concerts humanitaires et les voyages du pape Jean-Paul II (le livre est paru en 1987) ne tient pas : "Les grands concerts pour l'Ethiopie ont subventionné la déportation des populations qu'ils devaient aider à nourrir."... "Le succès de Jean-Paul II tient à sa manière et non à la substance de ses propos. Son spectacle, comme celui des autres super-stars, vide les têtes pour mieux en mettre plein la vue et ne véhicule aucun message, mais les engloutit dans une grandiose profusion de son et de lumière."
Le zombie et le fanatique
"La barbarie a donc fini par s'emparer de la culture. A l'ombre de ce grand mot, l'intolérance croît, en même temps que l'infantilisme. Quand ce n'est pas l'identité culturelle qui enferme l'individu dans son appartenance et qui, sous peine de haute trahison, lui refuse l'accès au doute, à l'ironie, à la raison - à tout ce qui pourrait le détacher de la matrice collective, c'est l'industrie du loisir, cette création de l'age technique qui réduit les œuvres de l'esprit à l'état de pacotille (ou comme on dit en Amérique, d'entertainment). Et la vie avec la pensée cède doucement la place au face-à-face terrible et dérisoire du fanatique et du zombie."