"... Dans tout coeur de Français digne de ce nom, je puis vous dire que le nom seul du Liban fait remuer quelque chose de très particulier. Et j'ajoute que c'est d'autant plus justifié que les Libanais, libres et fiers, ont été le seul peuple dans l'Histoire du monde qui, à travers les siècles, quelles qu'aient été les péripéties, les malheurs , les bonheurs, les destins, le seul peuple dont jamais, aucun jour, le coeur n'a cessé de battre au rythme du coeur de la France." (Charles de Gaulle, extrait d'un discours prononcé à Beyrouth, le 27 juillet 1941)
Par sa vie, ses activités et ses écrits, Camille Aboussouan, symbolise à lui seul ces relations privilégiées, tout à fait particulières, cette incessante et indéfectible union des coeurs entre la France et le Liban, évoquée par le général de Gaulle.
Au soir d'une existence passionnante, riche en voyages, en importantes responsabilités et en rencontres avec les grands artistes et les grands hommes d'Etat du XXème siècle, Camille Aboussouan, écrivain humaniste, poète, avocat, journaliste, éditorialiste, bibliophile, ambassadeur du Liban auprès de l'UNESCO, nous ouvre avec sa générosité et son aménité coutumières la malle aux trésors d'une vie infatigablement consacrée à faire connaître la beauté, la culture, la spiritualité, les richesses "pérennes et immémoriales", et souvent hélàs, aussi, les blessures et les tragédies, de son pays natal, le "pays du cèdre".
"Mon cher Camille, J'ai lu avec un extrême intérêt ce monumental ouvrage, cette somme visuelle, verbale, sonore qui tient du concert, de l'exposition, du musée, du livre enfin... Bravo ! Cette entreprise qui noue et harmonise siècles et continents, familles et patries, est d'un intérêt mieux que culturel, je dirais "civisationnel" écrit Jean Lacouture à l'auteur à propos du dernier ouvrage de Camille Aboussouan : "De la montagne du Liban à la Bastide royale de Fleurance", Mémoires et Souvenirs, paru aux Cahiers de l'Est en 2008.
... Ce qui fait la rareté, on dirait même l'étrangeté de votre ouvrage, c'est l'entrecroisement des thèmes entre témoignages, confidences, aperçus personnels, et grande histoire ou épopée à travers les siècles.
Il fallait oser associer la nourrice et le conquérant, le glaive et le scapulaire. Vous l'avez fait."
L'auteur évoque l'arrivée au XVIIème siècle de ses ancêtres venant du Liban à Jérusalem où huit générations de ses aïeux assumèrent les fonctions de drogmans du couvent du Saint-Sépulcre, de la Custodie de Terre-Sainte, enfin, avec son grand-père, de drogman du patriarche latin de Jérusalem.
Un Drogman est le terme utilisé en Orient pour désigner un interprète. Il en existait plusieurs classes, mais tous servent aux relations entre le monde occidental et le Moyen-Orient. Ils assument des fonctions de traduction mais aussi de guides et d'intermédiaires. Ce mot, utilisé entre les XIIème et XXème siècles, vient de l'arabe tourdjmân (ترجمان, traducteur) , qui a aussi donné en français truchement. Cette fonction a son origine historique dans les croisades et les besoins des états latins de Palestine.
Eloquent et singulier symbole que cette lignée d'interprètres se succédant depuis le XVIIème siècle pour aboutir à l'auteur de ce livre,
infatigable "passeur" de la mémoire et de la culture libanaise, premier traducteur en français du Prophète de Khalil Gibran.
Le mariage de son père, Nagib Bey Aboussouan, étudiant en droit à Constantinople, avec la fille d'un viticulteur gascon, Laure Lary, élève de Gounod, premier prix de piano du conservatoire, fondatrice à l'Union française de la capitale ottomane du premier institut de musique, apporta dans la lignée des Aboussouan une composante française.
Nagib Bey Aboussouan jouera un rôle clé en fondant la magistrature libanaise moderne ; ce livre lui rend un hommage particulier.
"La Bastide Royale de Fleurance", dans le Gers, abrite une maison datant du XIIIème siècle (1272 exactement) qui fut une Hôtellerie jusqu'à la Révolution française, accueillant les pélerins de Saint-Jacques de Compostelle. Le roi Henri III de Navarre, futur Henri IV de France y logea à plusieurs reprises de 1576 à 1580. Cette maison est dans la branche maternelle de sa famille depuis trente générations.
Entrecroisant, comme le fait remarquer Jean Lacouture son aventure personnelle, la saga familiale et la "grande Histoire", Camille Aboussouan brosse à grands traits l'Histoire du Proche-Orient depuis Charlemagne et souligne le rôle historique en Méditerranée, en Toscane et au Liban de l'émir Fakhreddin II Maan, créateur du Liban moderne.
Ce monumental ouvrage comporte de nombreuses reproductions de tapisseries, de peintures, de dessins, de documents politiques et militaires, ainsi que des inédits, notamment le texte intégral du voyage que fit en 1836 au Liban-Nord le prince de Joinville, fils du roi Louis-Philippe.
Il met en lumière l'oeuvre politique et administrative du Mandat français jusqu'en 1943, évoquant la situation nouvelle que l'Angleterre créa au Proche-Orient par l'établissement de l'Etat d'Israël qui en bouleversa toutes les données politiques, militaires et sociologiques.
Le destin du Liban en est tellement affecté que son avenir proche ou lointain doit être considéré à partir des normes nouvelles liées à la vocation économique du Moyen-Orient, autant qu'aux différents profils militaires qui s'y dessinent.
Abordant les problèmes politiques et géopolitiques incontournables, la dernière partie du livre contient de riches réflexions sur le présent et l'avenir du Liban et sur les problèmes auxquels ce pays est actuellement confronté : indépendance et liberté du Liban, obstacles à la mise en place d'une véritable démocratie, coexistence des différentes communautés religieuses chrétiennes et musulmanes (maronites, chiites et sunites), laïcité, rapports avec Israël et la Syrie.
On retiendra en particulier le cri de douleur et d'indignation d'Alia el-Solh qui milita tout au long de sa vie pour la promotion d'un pacte national basé sur la
convivialité entre les différentes communautés libanaises, "Le Liban qu'on assassine" (Le Monde, 25 avril 1989) : "La malchance du Liban est que sa liberté était encore jeune,
sa démocratie encore maladroite quand deux faits historiques ont eu lieu dans la région : la naissance de l'Etat d'Israël en 1948, et le premier coup d'Etat militaire dans un pays arabe, la
Syrie. L'exemple de la convivialité libanaise était la réfutation vivante de la thèse sioniste sectaire. Le Liban était devenu pour Israël le pays à dépecer pour mieux faire disparaître le gênant
témoin. Quand aux militaires au pouvoir en Syrie, ils décidèrent de détruire le Liban.
Il est dédié à Kamal Joumblat, Michel Jabre, Béchir Gemayel, René Moawab, Gebrane Tueni et Pierre Gemayel "qui furent mes amis dès leur enfance et lâchement assassinés pour la défense d'un Liban libre et souverain... "et en la personne du Président Rafic Hariri, ils est naturellement dédié aussi aux autres sacrifiés pour la liberté, civils et militaires."
Camille Aboussouan est né le 30 août 1919 à Bayrouth. Après des études de droit, il exerce la profession d'avocat, tout en se consacrant à la littérature et à la culture.
En 1943, il participe à la recherche et à la diffusion des découvertes archéologiques du Liban et oeuvre à regrouper les richesses artistiques du pays des Cèdres.
En 1945, il publie son premier recueil "Tes cheveux dans le vent". Il fonde, la même année, une revue culturelle "Les cahiers de l'Est", promise à un brillant avenir et qui lui vaut le prix de l'académie française.
En tant que fondateur du Pen Club du Liban, en 1948, il reçoit en terre libanaise d'éminents écrivains : André Gide, Louis Aragon, Pierre Benoit, Roger Caillois, Roger Vercors...
En 1960, Camille Aboussouan devient membre du comité du festival de Baalbek qu'il a contribué à fonder et collabore avec le Théâtre français.
En 1978, il est nommé ambassadeur du Liban à l'UNESCO à Paris., puis, en 1983, membre et vice-président du conseil exécutif de l'UNESCO. En 1982, Camille Aboussouan réalise, au siège de l'UNESCO, une exposition sur "Le Livre et le Liban".
Camille Aboussouan a publié chez Castermann en 1956, une traduction de l'oeuvre du célèbre poète libanais Khalil Gibran : "Le Prophète".
Bouleversé par la tragédie de la deuxième guerre mondiale et le sort du peuple juif, il assista à de nombreuses séances du procès de Nuremberg, se rendit à la chancellerie du Reich jusqu'au bunker de Hitler, puis dans les camps allemands d'extermination.
Passionné de politique internationale, il eut deux entretiens avec le président Mao Tsé Toung et le maréchal Chen Yi.
Camille Aboussouan est Officier de l'Ordre du Cèdre, Commandeur de la Légion d'Honneur et Commandeur de l'Ordre de la Pléiade.
Il a passé sa vie à jeter des ponts entre les hommes, entre l'orient et l'occident, entre les confessions religieuses, entre les peuples, pour tenter de les rapprocher sur l'essentiel, au-delà de tout ce qui les divise.
"Le Liban, Porte de l'Orient, a depuis des millénaires suscité une personnalité singulière. Il est lui-même et ne peut être comparé à aucune autre formation sociologique. Son climat, son relief, sa nature physique déterminent, avec la mer, l'attachement de ses fils à la liberté et au refus de la soumission. Ceux-ci sont venus de tous les horizons pour fuir la terreur, l'ostracisme, l'arbitraire, les pseudo-vérités d'Etat. Ils y ont trouvé dans le labeur, la douceur de vivre et la dignité en un compagnonnage islamo-chrétien unique et exemplaire.
La guerre n'aura qu'un temps. La solidarité et le réalisme dans la Ligue Arabe et chez les grandes nations amies finiront par écarter un sort funeste.
Reviendront les jours heureux des universités de la ferveur, reviendront les grandes manifestations culturelles, les innombrables thèses de doctorat, les expositions, les publications dans toutes les langues, les concerts symphoniques, les conférences, les festivals de théâtre et de chorégraphie, les célébrations religieuses auquelles toutes les confessions participaient ensemble. Reviendront les analyses juridiques des hommes de Loi héritiers d'Ulpien et de Papinien qui donnaient à tous la sécurité du Droit. Reviendra l'ordre dans la Cité et notre disposition à reprendre dans la sérénité retrouvée les construction sociales et la distribution de la justice pour tous depuis longtemps entreprises et réalisées.
La renaissance miraculeuse de l'Economie est perpétuelle et immédiate chez un peuple dont le nom lointain procède de Phénix et que les dieux, au temps qu'ils figuraient sur ses proues, lançaient déjà vers toutes les mers.
Sur les bords de la Seine, Jean Mocquet, Garde du Cabinet des singularités du Roy, aux Tuileries, de retour de Terre Sainte, plantait en 1612, sous les fenêtres des appartements de Sa Majesté, des fleurs dont il avait rapporté les racines des environs de Beyrouth et de Tripoli, dans la montagne libanaise.
Aujourd'hui peut-être, dans les jardins du Louvre auprès des belles de Maillol, des fleurs venues jadis du Liban continuent d'éclore et de perpétuer le beau texte
de Nicolas le Huen, poète de la Renaissance française :
« c'est un mont de beauté et d'aménité : les cèdres très hauts et autres arbres verdoyants, en très grande multitude et merveilleuse procérité (du latin "procerus", "proceritas" : de haute taille) des herbes la continuelle viridité (verdoyance), des oiseaux le chant amoureux par différentes curiosités, favorise »... Le mont Liban « est de grande dignité et magnificence car entre les monts d'Arabie, Phénicie et Syrie, le mont du Liban, la sublimité en fécondité, en aménité, et de très bon air la salubrité, tient la seigneurie.»
Et là-bas, où se lève le soleil méditerranéen, dans l'odeur des pins, des genêts et des genévriers, un Liban pérenne et immémorial poursuit son aventure humaine."
(Camille Aboussouan, "De la montagne du Liban à la Bastide royale de Fleurance, Mémoires et Souvenirs, Les Cahiers de l'Est, pages 482,483)
Nuit
Aux clavecins nocturnes de peurs la grande voûte
Repose
Et les arcs des nuits sont cloutés de nouvelles
En torsades scintillent des étoiles
Et les coffres en ébène ont des ferrures d'argent
Et gisent des traînées royales et les parfums tristes des sultanes...
Lourdes nuits soupesées en doublons espagnols
Où seules et lentes les filantes tracent
Lourde nuit
Pour des geôles sans soir
Prisonnière du manoir
Ma suzeraine.
Camille Aboussouan, Tes cheveux dans le vent, Nuit, 1943.
"De la montagne du Liban à la Bastide Royale de Fleurance, Mémoires et Souvenirs" par Camille Aboussouan, Les Cahiers de l'Est, Beyrouth, Liban. (2008)
Le site de Baalbek (Héliopolis) avec, à l'arrière-plan, le Mot Liban :
Le Mont-Liban désigne avant tout une chaîne de montagnes du Liban, proche de la rive méditérannéenne ; elle culmine au Qoenet es Saouda à 3083 mètres d'altitude. C'est l'un des plus hauts sommets du Proche-Orient. Sur son front ouest se trouve le littoral libanais et sur son flanc est, le plateau de la Bekaa. La situation géographique de la région fut un atout pour les premières communautés maronites qui s'y implantèrent. Ce massif montagneux a donné son nom à une subdivision administrative du pays : le Gouvernorat de Mont-Liban. On peut considérer cette région comme le noyau du Grand Liban. Elle est majoritairement peuplée de chrétiens (essentiellement maronites) de la communauté druze.
Lien vers un entretien avec Camille Aboussouan :
http://www.1stpaca.com/actualites-paca/actualite.php?idactu=1302