"Fais Seigneur, qu'un homme soit saint et grand
et donne-lui une nuit profonde, infinie,
où il ira plus loin qu'on ait jamais été ;
donne-lui une nuit où tout s'épanouisse,
et que cette nuit soit odorante comme des glycines,
et légère comme le souffle des vents,
et joyeuse comme Josaphat.
Fais qu'il parvienne enfin à la maturité,
qu'il soit si vaste que l'univers suffise à peine à le vêtir ;
pour qu'aucun regard ne vienne le surprendre
à l'heure où son visage change, bouleversé.
fais que le temps de son enfance ressuscite dans son coeur ;
ouvre-lui de nouveau le monde des merveilles
de ses premières années pleines de pressentiments.
Fais qu'il lui soit permis de veiller jusqu'à l'heure
où il enfantera sa propre mort,
plein d'échos comme un grand jardin
où comme un voyageur qui revient de très loin...
Ô mon Dieu donne à chacun sa propre mort,
donne à chacun la mort née de sa propre vie
où il connut l'amour et la misère."
(Rainer Maria Rilke, Le Livre de la Pauvreté et de la mort, traduction d'Arthur Adamov)