Björn Larsson, Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers (Döda poeter skriver inte Krimilalromaner), roman traduit du suédois par Philippe Bouquet en collaboration avec l'auteur, Grasset, 2012
Bjorn Larsson est né en Suède en 1953. Navigateur chevronné, il a parcouru les mers du Nord de l'Ecosse à l'Irlande, du pays de Galles à la Bretagne et à la Galice. Maître de conférence en français à l'université de Lund, traducteur, philologue et critique, il est également l'auteur de plusieurs romans. Long John Silver, paru en 1995, en a fait l'un des écrivains suédois contemporains les plus connus à l'étranger. En 1999, il est récompensé par le prix Médicis étranger pour Le capitaine et les rêves.
Résumé du roman :
"Par une brumeuse nuit de février, l'éditeur Karl Petersén arrive, non sans quelques inquiétudes, dans le port d'Helsinborg, avec une bouteille de champagne et le contrat du poète Jan Y. Nilsson, qui vit à bord d'un bateau de pêche. L'éditeur l'a persuadé d'écrire un roman policier, futur best-seller, déjà vendu aux plus prestigieuses maisons d'édition d'Europe. Mais le poète acceptera-t-il de le signer ? Se résignera-t-il à sacrifier sa réputation et à se plier aux lois du marché?
Lorsque Petersén découvre Jan Y. pendu, la réponse semble évidente. Le commissaire Barck, chargé de l'enquête, n'a aucun doute : les poètes ne se font pas assassiner, ils se suicident. Pourtant, les mobiles ne manquent pas...
A l'âge d'or du roman policier nordique, Björn Larsson signe ce qu'il appelle un "genre de roman policier", jeu littéraire raffiné et ironique sur l'essence même de l'écriture poétique et romanesque. Dans une pétillante satire du monde éditorial continuellement à la recherche du prochain succès, seul un policier-poète a l'expérience et la sensibilité pour saisir les vérités cachées derrière les apparences... " (source : babelio)
Extrait :
"Tout en prenant une tasse de café dans la cabine, face au port de commerce de Helsingborg où, pour une somme modique, il avait pu se trouver une place sur le quai sud, il ne pouvait s’empêcher de repenser à sa vie et tenter de faire le point. Il avait le sentiment d'être parvenu à un tournant de son existence. Sinon, pourquoi Petersén, son éditeur depuis des années, l'aurait-il appelé, la veille au soir, pour lui dire qu'il avait d'excellentes nouvelles à lui annoncer et avait l'intention de prendre le premier avion pour venir le voir, le lendemain ? Quelle conclusion en tirer sinon que Petersén était parvenu à vendre les droits étrangers du roman policier qu'il l'avait persuadé d'écrire ?
Jan Y Nilsson, auteur de polar ? Cette pensée lui donnait des frissons dans le dos. Comment avait-il pu céder aux instances de Petersén ? La réponse à cette question était simple, en partie : Jan Y était reconnaissant pour tout ce que son éditeur avait fait en faveur de sa poésie. Aujourd'hui, sept de ses recueils étaient publiés, tous avaient été des succès d'estime et tous d'aussi mauvaises affaires sur le plan commercial. Les ventes se situaient en général autour de cinq cents exemplaires, ce qui était loin de couvrir les généreux à valoir de la maison. Comment aurait-il pu envoyer promener Petersén, le jour où il lui avait suggéré que le moment était peut-être venu pour lui d'en venir à la prose et d'écrire un roman policier ?
"Il est grand temps qu'un véritable écrivain prenne la plume pour donner un peu d'élégance au genre lui avait dit l'éditeur, non sans malice.
- Mais pourquoi moi ? avait répondu Jan Y. Je suis à peine capable d'écrire deux phrases normales l'une après l'autre, encore moins s'il faut mettre un point au milieu.
- Tout simplement parce que tu es l'un des meilleurs stylistes de la littérature suédoise de nos jours. En plus, je te connais assez bien pour savoir que tu possèdes un talent inné de conteur. Aurais-tu oublié les savoureuses anecdotes que tu m'as racontées au fil des ans ?" (p.21-22)
Mon avis sur le livre :
Björn Larssen a imaginé un roman policier dont la première victime est un poète qui écrit un roman policier dont l'enquêteur ressemble étrangement à l'inspecteur chargé de l'enquête, lui-même poète à ses heures.
Outre la technique de la mise en abyme, Larssen maîtrise à la perfection l'art du suspens, même si le dénouement et la révélation de l'identité de l'assassin ne sont pas totalement surprenants, une fois abandonnée la piste politico-financière.
L'auteur demande implicitement au lecteur d'adopter un regard "poétique" et d'admettre que les êtres humains n'obéissent pas toujours à des motifs superficiellement "rationnels", ce qui ne veut pas dire inintelligibles, mais encore faut-il "se mettre à la place de l'assassin" et voir les choses de son point de vue, aussi étrange soit-il, surtout quand il cotoie la folie.
Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers est un thriller de grand style, ponctué de réflexions passionnantes sur la littérature et la poésie. J'en recommande chaudement la lecture.