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John Grisham, La Firme
John Grisham, La Firme

John Grisham, La Firme (The Firm), traduit de l'américain par Patrick Berthon, Editions Robert Laffont (Pocket), 1992

La Firme (The Firm) est un film américain de Sydney Pollack, sorti en 1993. C'est un thriller tiré du roman du même nom de John Grisham.

Réalisation    Sydney Pollack - Scénario    David Rabe  - Robert Towne - David Rayfiel - Acteurs principaux : Tom Cruise - Jeanne Tripplehorn - Gene Hackman - Ed Harris - Holly Hunter

Né à Jonesboro (Arkansas) le 8 février 1955, John Grisham est un écrivain américain, auteur de romans policiers.  Mettant à profit son expérience du barreau, il nous dévoile les rouages du monde judiciaire, et aborde par ce biais les problèmes de fond de la société américaine. Plusieurs de ses romans ont été portés à l'écran, notamment La Firme (avec Tom Cruise et Gene Hackman).  Il vit près d'Oxford avec sa femme et ses deux enfants. 

Quatrième de couverture du roman : 

"Son attaché-case à la main, un jeune homme court à perdre haleine dans les rues de Memphis. Il s'appelle Mitch MCDeere : troisième de sa promotion en Droit à Harvard, il a surpris tout le monde en choisissant la firme Bendini, Lambert & Locke. Ce très confidentiel cabinet de Memphis a su, par des arguments irrésistibles, s'assurer sa collaboration. Alors, vers quel contrat mirifique notre brillant juriste est-il en train de se ruer, au point d'en oublier la gravité nécessaire à sa profession ? Mitch a une excellente raison pour courir ainsi : sauver sa vie."

Résumé  du film (l'intrigue du film est légèrement différente de celle du roman) :

"Mitch Mac Deere brillant diplômé en droit, choisit de travailler pour un grand cabinet d'avocats, Bendini, Lambert et Locke. Peu après être arrivé à Memphis avec son épouse Abby, Mitch apprend que deux de ses collègues sont morts dans l'explosion de leur bateau, ce qui porte à quatre le nombre d'avocats de la Firme décédés dans des circonstances mystérieuses. Mitch est pris en main par le vétéran Avery Tolar qui le présente à l'un de ses riches clients, Sonny Capps. Quelques allusions de ce dernier à Chicago et à la famille Morolto éveillent la curiosité de Mitch qui ne tarde pas à découvrir dans l'armoire de son mentor les archives des quatre avocats disparus, ainsi qu'un volumineux dossier Morolto. Mitch demande alors à Eddie Lomax d'enquêter. Mais celui-ci est abattu. C'est alors qu'un agent du FBI, Wayne Tarrance, contacte Mitch et lui organise une entrevue secrète avec un représentant du ministère de la justice, F Denton Voyles. La Firme, lui explique ce dernier, est le principal cabinet de la Mafia et l'instrument privilégié de ses opérations de blanchiment."

Mon avis sur le roman (et sur le film) :

Je recommande vivement à tous et en particulier aux élèves de Terminale, la lecture de ce roman qui date de 1992 (l'excellente adaptation cinématographique de Sidney Pollak est sortie en 1993) mais qui n'a rien perdu de son actualité,  d'abord à cause du suspens et ensuite pour les questions philosophiques qui y sont soulevées, notamment la question de la "vertu" (le courage, l'intégrité), le conflit entre l'intérêt et le devoir, la morale et le droit. Ces questions sont abordées à travers les situations concrètes et les dilemmes que le héros doit affronter au jour le jour, à mesure qu'il découvre l'effrayante vérité qui se dissimule sous les dehors hautement respectables de "la Firme". La lecture des romans de John Grisham est recommandée aux Etats-Unis aux juristes et aux étudiants en Droit. Le jeune avocat intègre pourrait faire sienne la maxime de Pascal  : "Travaillons donc à bien penser, voilà le principe de la morale."

Dans chacune des situations de notre vie, nos choix ou nos absences de choix (on peut choisir de ne pas choisir) dépendent essentiellement, selon A.J. Greimas de trois paramètres : ce que nous savons, ce que pouvons et ce que nous voulons. Ces paramètres définissent trois axes que Greimas appelle "schéma actantiel" : l'axe du savoir, l'axe du désir et l'axe du pouvoir. Ce schéma s'applique, dans la mesure où elles reflètent la vie, aux oeuvres littéraires et théâtrales.

Appliqué au domaine de l'éthique et du droit, le schéma actantiel de Greimas confirme qu'une action véritablement éthique procède de "l'indignation", mais ne s'y ramène pas (désirer le bien ne suffit pas sans le savoir et le pouvoir) . Mitch MacDeer ne se contente pas de s'indigner, il agit et les moyens qu'il emploie ne sont pas toujours "moraux" ses actes ne sont donc pas conformes à l'éthique kantienne du devoir et on ne peut pas dire de lui ce que Péguy disait de Kant : "Il a les mains propres, mais il n'a pas de mains."

Héritier de la conception "pragmatique" (utilitariste) anglo-saxone de la morale (Jeremy Bentham, John Stuart-Mill), Grisham montre que nos mobiles cachés correspondent rarement à nos motifs conscients et que nos mobiles ne sont pas aussi purs et aussi désintéressés que nous voudrions le croire. Mais peu importe que les motivations d'un acte soient totalement "pures", ce qui importe, c'est que le but soit légitime, tout en étant conforme à notre intérêt... le contraire donc de la morale kantienne.

Au début du roman, Mitch McDeer ne sait de la Firme que ce que lui en disent les "associés" (les avocats plus âgés qui ont réussi et qui savent ce qu'est vraiment la Firme) ; il va découvrir petit à petit la réalité, à l'occasion d'un élément déclencheur : la mort de deux de ses collègues dans l'explosion d'un bateau. Les informations de Mitch proviennent d'une part de ce qu'il découvre lui-même et d'autre part de ce que lui apprend l' enquêteur du FBI. Mitch ne sait pas si les dossiers qu'on lui donne à traiter sont des dossiers "propres", des dossiers "sales" ou des dossiers fictifs, mais il les photocopie tous et les transmet au FBI. Ce qui intéresse le FBI, ce sont les dossiers sur lesquels travaillaient les deux avocats qui ont trouvé la mort dans des circonstances suspectes. Mitch sait qu'il enfreint le serment de confidentialité qu'il a prononcé en devenant avocat et risque la radiation à vie. Grisham qui a beaucoup réfléchi à partir de son expérience d'avocat montre ici le conflit entre l'éthique et le Droit : ce qui est légal n'est pas forcément moral et la moralité n'est pas toujours conforme à la légalité. 

Etant donné son profil, Mitch McDeer aurait pu travailler dans un grand cabinet d'avocat à New York ou à Washington. Il "choisit" le cabinet Bendini, Lambert & Locke à Memphis (Tennessee) à cause des avantages que les "associés" lui font miroiter : voiture, maison, salaire...

Né dans un milieu modeste, Mitch a des convictions morales et une certaine idée de ce que doit être un avocat. Mitch n'a rien contre le fait de gagner de l'argent, mais pas à n'importe quel prix ; il réprouve le blanchiment d'argent sale, le trafic de drogue, la fraude et l'évasion fiscale et par-dessus tout le meurtre. Contrairement aux "associés", il ne place pas l'argent et le pouvoir au-dessus de tout.

Au début du roman, Mitch n'a quasiment aucun pouvoir ; il dépend entièrement de la bonne opinion que les associés ont de lui. Le pouvoir de Mitch va augmenter au fil du roman en fonction du savoir qu'il acquiert sur la Firme. La Firme a le pouvoir de l'espionner en permanence (micros posés dans sa maison et dans sa voiture) et de l'éliminer, mais il acquiert  de son côté le pouvoir de faire sombrer la Firme. 

Mitch est l'objet d'un double chantage : chantage de la part des associés qui se sont arrangés pour le pousser à la faute et détiennent une photo compromettante qui pourrait briser son couple, chantage de la part de l'enquêteur du FBI qui lui explique que de toutes façons, le FBI parviendra à ses fins et que s'il ne collabore pas, ils en trouveront un autre et il tombera avec la Firme. Il essaye de son côté de négocier au mieux sa collaboration avec le FBI en échange de deux millions de dollars, de la libération de son frère qui purge une peine de 7 ans pour homicide dans une prison fédérale et d'une protection à vie pour lui et sa femme, ce qui représente aussi une forme de chantage.

Le pouvoir de Mitch provient de ce qu'il sait de la Firme, mais entre en conflit  avec son désir de mener une vie normale avec sa femme. Plus Mitch en sait, plus il devient dangereux pour la Firme et plus il court le risque d'être éliminé. La Firme lui cache l'essentiel : qu'elle est une couverture pour la mafia de Chicago et qu'elle recycle de l'argent sale. De son côté, Mitch doit faire très attention de garder pour lui ce qu'il apprend. On assiste donc à une partie de poker entre Mitch et les associés du cabinet Bendini, chaque "joueur" s'efforçant de dissimuler ce qu'il sait et d'apprendre ce que sait l'autre. Mitch sait qu'il est écouté et suivi en permanence, mais doit faire comme s'il ne le savait pas.

Son pouvoir est lié aussi au fait qu'il n'agit pas seul, qu'il a des adjuvants efficaces en la personne de sa femme, de la secrétaire du détective assassiné par la mafia et de son frère.

L'analyse concernant les relations entre Mitch et la Firme peut s'appliquer également aux relations entre Mitch et  l'enquêteur du FBI, dans la mesure où il n'y a pas deux, mais trois parties en présence n'ayant (pas toujours) les mêmes désirs, ni le même savoir, ni le même pouvoir. Mitch se méfie de plus en plus du FBI et finit par imposer ses propres conditions.

Conformément à la loi du genre (le happy end"), Mitch finit par réaliser ses désirs : échapper à la mafia, faire évader son frère de prison, devenir riche, détruire la firme, avoir un enfant... Il assure son pouvoir aussi bien sur la Firme et sur la mafia que sur le FBI et met son savoir au service de la bonne cause en enregistrant son témoignage et en divulgant les documents compromettants concernant la Firme. Documents et témoignage vont permettre au FBI de perquisitionner dans le sous-sol de la Firme où se trouvent les dossiers "sales", de permettre l'ouverture d' un procès qui va faire tomber la Firme et ses associés.

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