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Aux élèves : je ne propose ici que l'interprétation philosophique du texte : "d'après l'auteur, qu'est-ce qui explique la permanence de la violence dans l'Histoire ?"

La question d'interprétation littéraire était la suivante : "La littérature et les arts naissent-ils de "l'appétit de catastrophe" des hommes ?" 

Le plan du texte :

1. Depuis : "que la violence soit de toujours et de partout" jusqu'à : "sur le tas des travaux et des douleurs des déshérités" : la violence est une réalité permanente, aussi bien dans le temps que dans l'espace.

2. Depuis : "On ne voit jamais assez grand quand on prospecte l'empire de la violence" jusqu'à : "Une anatomie de la guerre requiert la tâche plus vaste d'une physiologie de la violence : la guerre s'enracine dans l'irascible.

3. Depuis : "Il faudrait aller chercher très bas et très haut" jusqu'à : un équilibre instable et toujours menacé" : La psychologie sommaire de l'empirisme omet l'irascible.

4. Depuis : "L'admirable est que ces dessous de la conscience jusqu'à la fin : L'irascible (la dimension passionnelle) se mélange aux valeurs comme la vérité et la justice et leur donne une consistance paradoxale.

L'idée principale du texte : 

L'idée principale du texte est que la violence dans l'Histoire humaine a toujours été présente, aussi bien dans le temps que dans l'espace : "la violence est de toujours et de partout".

Exemples : 

L'auteur donne les exemples suivants : l'édification et l'écroulement des empires, l'installation des prestiges personnels, les guerres de religions, la perpétuation des privilèges, l'autorité des maîtres à penser, la domination économique et culturelle des privilégiés sur les opprimés.

La thèse de l'auteur :

La thèse de l'auteur est qu'une explication de la violence doit être cherchée à la fois très haut (les valeurs) et très bas (l'irascible, les passions) dans la psychologie humaine.

Ses arguments sont les suivants : a) Une anatomie de la guerre requiert la tâche plus vaste d'une physiologie de la violence, sans quoi le pacifisme resterait quelque chose de superficiel et de puéril - b) Une explication de la violence dans l'Histoire uniquement fondée sur l'empirisme est insuffisante - c) Il faut tenir compte de la dimension "irascible" de la psychologie  humaine - d) Cette dimension "irascible" donne paradoxalement  une consistance aux valeurs, pour le meilleur et pour le pire.

Exemples : 

L'auteur donne les exemples suivants : l'explosion d'une émeute, la patrie en danger.

Qu'est-ce qui explique la permanence de la violence dans l'histoire ?

La violence est de toujours et partout. L'auteur donne l'exemple de l'édification et de l'écroulement des empires, de l'installation des prestiges personnels, des guerres de religion, des privilèges, de l'autorité des maîtres à penser, de la domination économique et culturelle des élites. 

Ces exemples suggèrent que la violence n'est pas seulement physique, mais aussi symbolique. On pense à la disparition de l'Egypte antique, de la civilisation babylonienne, des cités-Etats de la Grèce antique, de l'Empire Romain, etc. "Nous autres, civilisations, nous savons désormais que nous sommes mortelles" écrivait Paul Valéry dans un texte célèbre au lendemain de la Première Guerre mondiale. En ce qui concerne l'autorité des maîtres à penser, il s'agit d'une violence symbolique. Dans Les maîtres penseurs André Glucksmann évoque ces penseurs qui ont exercé une influence déterminante au XIXème et au XXème siècle et ont pu justifier la violence dans l'Histoire comme Hegel, Engels ou Marx.

Comment expliquer la permanence de la violence dans l'Histoire humaine ?

Selon l'auteur, on ne voit jamais assez grand quand on prospecte l'empire de la violence. Il donne l'exemple des pacifistes qui sont opposés à la guerre. Les pacifistes ont raison de dénoncer la guerre, mais ils le font souvent de manière "superficielle" et "puérile". La guerre n'est pas seulement déclenchée, comme l'affirment les pacifistes par l'ambition des généraux et les intérêts des "élites".

La phrase formule de Paul Valéry : "la guerre, c'est le massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent" n'explique pas pourquoi les gens "qui ne se connaissent pas" se massacrent ou celle d'Anatole France : "On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels" n'explique pas pourquoi on peut vouloir mourir pour la patrie.

Paul Ricœur fait la distinction entre l'anatomie de la guerre et la physiologie de la guerre : l'anatomie c'est l'étude de la forme et de la structure du corps et de ses parties et des relations qu'elles ont les unes avec les autres ; la physiologie, c'est l'étude du fonctionnement du corps et de ses parties, c'est-à-dire de la façon dont celles- ci jouent leur rôle et permettent le maintien de la vie.

L'anatomie de la guerre, c'est la description phénoménologique de la guerre, la physiologie de la guerre est davantage qu'une simple description : qu'est-ce que la guerre ? Elle cherche une explication : pourquoi la guerre ?

On trouve une description de ce qu' est la guerre, une "anatomie de la guerre" dans des ouvrages littéraires par des écrivains qui l'ont vécue comme A l'Ouest rien de nouveau d'Erich Maria-Remarque ou Le Feu, journal d'une escouade d'Henri Barbusse ou encore dans le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline.

Mais il ne faut pas se contenter pas de proposer une "anatomie de la guerre", une évocation de la guerre, ce à quoi ces romans ne se bornent d'ailleurs pas, mais aussi une physiologie de la violence, c'est-à-dire une tentative d'explication de la violence en général dont la guerre n'est qu'un cas particulier. Derrière la guerre, il y a autre chose : la violence de l'homme, les passions humaines.

Si la guerre ne relevait que de la responsabilité d'une minorité de gens, la majorité aurait tôt fait d'y mettre fin. Il faut avoir le courage de regarder la vérité en face : l'anatomie de la guerre s'enracine dans la physiologie de la violence qui n'est pas propre aux élites et aux généraux.

Il ne suffit pas de couper les fils des trois ou quatre "grosses ficelles" du guignol militaire pour que les marionnettes retombent inertes sur les tréteaux.

S'il suffisait, comme le proclame les paroles de l'Internationale, de "réserver nos balles à nos propres généraux", la guerre n'existerait plus depuis longtemps.

Est-à-dire que l'attitude pacifiste est toujours "superficielle et puérile" ? Ce texte extrait du livre Histoire et Vérité est lui-même extrait d'un chapitre intitulé "L'homme non-violent et sa présence à l'Histoire".

Il y a pour Paul Ricoeur deux sortes de non-violence : la première est une abdication de la volonté de lutter associée à un renoncement en faveur de la paix à tout prix, la seconde est une lutte active qui ne renonce pas à ses buts, mais renonce à la violence comme moyen.

La première forme de non-violence est illustrée par les accords de Munich, la seconde par l'action d'un Gandhi en Inde, d'un Martin Luther King aux Etats-Unis ou encore d'un Nelson Mandela en Afrique du Sud qui renoncent à utiliser la violence comme moyen, mais sans pour autant renoncer à leurs fins : les droits civiques, la disparition du colonialisme, l'indépendance, etc.

Les pacifistes authentiques ne renoncent pas au combat,  mais s'engagent dans la résistance à l'injustice sans utiliser les armes de la violence.

Ils sont animés de la même passion, du même "thumos" que les "violents", mais refusent d'utiliser les armes de leurs adversaires et l'Histoire a montré que cette forme de non-violence qu'il faut distinguer du pacifisme pouvait être plus efficace que la violence.

Il y peut donc y avoir une présence authentique à l'Histoire de l'homme non-violent.

Comme l'a montré de son côté René Girard, il n'y a pas de régulation instinctive de "l'irascible" dans l'espèce humaine, si bien que la violence a tendance à monter aux extrêmes.

Dans les sociétés premières, la violence est régulée par les interdits et les rituels, notamment les sacrifices. Dans les sociétés modernes, elle est régulée par les lois, la justice et les tribunaux. Mais comme le dit Paul Ricœur,  l'administration et la justice sont des "médiations" extrêmement fragiles et peu opérantes en temps de guerre.

L'origine du mal, la permanence de la violence se trouve chez Emmanuel Kant dans l'imperfection générale de l'homme, ou mal “métaphysique”. Dans la Religion dans les simples limites de la raison, Kant a distingué la méchanceté : faire le mal accidentellement, sans réelle volonté de le faire, et la malignité diabolique : faire le mal pour le mal.

Paul Ricoeur reprend cette idée : l'affectivité humaine s'accorde si facilement au terrible dans l'Histoire parce que la capacité de destruction et l'appétit de catastrophe l'emporte sur  l'obéissance inconditionnelle à la loi morale.

Pour Pascal, la mal radical s'enracine dans le péché originel, alors que pour Kant, il provient de la liberté humaine.

La loi morale nous interdit absolument de tuer, la loi sociale nous permet de le faire dans certaines conditions. Il y a ici une « perversion » profonde de la conviction au sens où on assiste à une inversion des motifs. Or dès le moment où la loi passe au second rang, c'en est fini de la moralité.

Paul Ricœur affirme que l'empirisme qui ramène tout aux notions de plaisir et de douleur, de bien-être et de bonheur est une psychologie sommaire car elle omet la colère,  l'irascible.

Le mot "irascible" (prompt à la colère) évoque Achille, le prototype du héros guerrier dans l'Illiade et l'Odyssée d'Homère chez qui domine le "thumos". Chez Platon, le thumos est l’élément émotionnel en vertu duquel nous ressentons la colère et la peur (Phèdre, République, Livre IV). 

Pour Platon, il existe trois classes de citoyens dans la Cité idéale dont chacun relève d'une partie du corps : le "nous" (la la tête), le "thumos" (le cœur) et "l'épithumias" (le ventre). Les dirigeants, les philosophes-rois qui obéissent au "nous", à l'esprit, à la vérité et dirigent la Cité en vertu de la connaissance des fins (ce en vue de quoi), les guerriers qui obéissent au "thumos", à la colère et les paysans et les artisans qui obéissent aux besoins. Mais l'histoire avec la levée en masse et la conscription obligatoire a montré que l'amour de la guerre n'était pas le propre d'une catégorie d'hommes, mais de toute une population.

Pourquoi les hommes renoncent-il au plaisir, au bien-être et au bonheur ? Pourquoi l'affectivité humaine s'accorde-t-elle si facilement au "terrible dans l'Histoire" ? 

Les hommes ne cherchent pas seulement le bien-être ; ils cherchent aussi l'obstacle, la volonté d'expansion, de combat et de domination. Ils ne sont pas uniquement dominés par le principe de plaisir, mais aussi par "l'instinct de mort". Paul Ricoeur reprend ici la terminologie freudienne, la capacité de destruction, l'appétit de catastrophe, le dionysiaque, le démonique.

Comme l'a montré de son côté Sigmund Freud dans Malaise dans la civilisation, "L'édifice psychique de l'homme est un équilibre instable et toujours menacé". En effet, l'homme est mû en temps de paix par des valeurs morales de politesse, de retenue. Il honore le travail, il cherche la collaboration avec ses semblables. En temps de guerre ou de troubles intérieurs, les "médiations juridiques et administratives", les arbitrages entre les intérêts divergents, le dialogue, la diplomatie sont remplacés par les émotions et les passions comme la colère, la peur, la vengeance, l'enthousiasme (mot à mot le délire divin).

En temps de guerre ou de troubles intérieurs toutes ces "médiations" se délitent et font place à l'affrontement, à la haine, à la vengeance... Paul Ricœur donne des exemples : une émeute qui éclate dans la rue, la proclamation de la patrie en danger.

On peut penser au fameux discours de Camille Desmoulins Dans les jardins du Palais-Royal : « J'arrive de Versailles, Necker est renvoyé. Ce soir tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ-de-Mars pour nous égorger. Une ressource nous reste, c'est de courir aux armes et de prendre des cocardes pour nous reconnaître ! » 

En temps de guerre ou de troubles intérieurs,  on découvre des expériences différentes des "tâches civiles" du métier et du foyer, on fait l'expérience d'un mélange inextricable : "quelque chose de sauvage, de sain et de malsain, de jeune et d'informe, un sens de l'insolite, de l'aventure, de la disponibilité, un goût pour la rude fraternité et pour l'action expéditive".

On peut penser au prince André Bolkonski dans Guerre et Paix fuyant la "prison du mariage", l'ennui des réceptions mondaines, la routine, la répétition pour parler comme Kierkegaard, pour s'engager dans la guerre contre Napoléon ou à l'enthousiasme des appelés au moment de la mobilisation au début de la Première Guerre mondiale.

"L'admirable est que ces dessous de la conscience resurgissent au niveau des plus hautes couches de la conscience : ce sens du terrible est aussi le sens idéologique ; soudain la justice, le droit, la vérité prennent des majuscules en prenant les armes et en s'auréolant de sombres passions" : La violence ne s'exprime pas à l'état pur. Elle est mélangée à autre chose. La violence se mêle à des valeurs comme l'honneur, la gloire, la justice, la vérité, le droit.

Dans le feu de l'enthousiasme guerrier, la passion se substitue à la raison pour, selon l'expression de Blaise Pascal "mettre du prix aux choses". 

"La justice et la droit prennent une majuscule en prenant les armes" : les plus hautes valeurs morales, la justice et le droit,  justifient la violence et sont sublimées par la violence. Les passions les plus sombres se mettent au service des plus hautes valeurs morales.

Chaque camp a la certitude d'avoir raison, d'avoir le droit et la vérité, voire Dieu ("Gott mit uns", "Dieu est avec nous") de son côté. Comme le dit encore Blaise Pascal : "Jamais on ne fait le mal si pleinement et si gaiement que quand on le fait par conscience".

Pour prendre un exemple récent, le président de la Fédération de Russie a cru bon de justifier l'invasion de l'Ukraine par la nécessité de lutter contre le nazisme.

"L'idéologique justifie le terrible" : comme l'explique Hannah Arendt dans Du mensonge à la violence les mensonges de la propagande comme instrumentalisation des valeurs morales justifient la violence et la guerre.

 

 

 

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