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Le problème central de la pensée de saint Augustin : la Trinité

Jeanne Hersch, L'étonnement philosophique, une histoire de la philosophie, "Saint Augustin" (354-430 après J.C.), p. 89 et suivantes.

"La Trinité signifie, dans la tradition chrétienne, les trois Personnes en une seule Personne divine. Le mystère des trois qui n'en font qu'une et de l'une qui est trois : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Chez Augustin, la Trinité prend une signification philosophique, ancrée dans une donnée essentielle : pour le christianisme, Dieu a une histoire.

Dans la tradition grecque, nous n'avons nulle part rencontré une conception de la divinité selon laquelle celle-ci aurait, au sens philosophique du terme, une histoire. Dieu en tant que substance ou en tant qu'Acte pur est éternel et n'a pas d'histoire. Nous avons vu que selon Platon l'âme ressemble aux Idées, mais qu'elle n'est pas Idée, justement parce qu'elle a une histoire. Les idées n'ont pas d'histoire, elles sont immuables.

Dans la tradition judéo-chrétienne, il n'existe pas seulement une histoire de la nature en tant qu'histoire de l'univers ; il n'existe pas seulement une histoire de l'humanité en tant qu'histoire des peuples et des cultures ; mais encore une histoire surnaturelle dans laquelle Dieu lui-même devient historique.

L'histoire surnaturelle commence avec la Création du monde à partir du néant, et qui devient ensuite, par le péché originel et la vie et la mort du Christ, une histoire du salut, s'accomplit en même temps en Dieu. Car Dieu lui-même a été crucifié dans la personne du Fils.

Comment cet article de foi - qui, selon Augustin, précède l'intelligence - doit-il être compris ? Comment concevoir que Dieu, l'Un éternel et absolu, puisse avoir une histoire ? Essayons d'abord de comprendre ce problème.

Après tout ce qui a déjà été dit, le lecteur comprend sans doute pourquoi ce qui est Un semble d'abord exclure toute histoire (Jeanne Hersche fait allusion aux chapitres précédents sur l'école éléate (Héraclite) et l'école ionienne (Parménide), ainsi que sur les atomistes (Démocrite, Epicure).

Ce qui est Un est par essence immuable. Nous pouvons imaginer de changer la disposition de ce qui est multiple, non de modifier quelque chose à l'intérieur de ce qui Un. Un rappel : chaque atome est immuable parce qu'il est un. Ce qui est absolument Un ne peut pas avoir d'histoire. 

Cependant, le Dieu de l'histoire surnaturelle, ou de l'histoire chrétienne du salut, est un Dieu qui a une histoire.

Il est à la fois éternel, au-dessus de toute histoire, et surnaturel-historique. C'est ici que la Trinité trouve sa place : à l'intérieur de Dieu, quelque chose doit pouvoir se passer. Pour que cela soit pensable, il faut que Dieu qui est un, soit en même temps pluriel. Ainsi l'introduction de la Trinité rend "intelligible" une liberté historique du Dieu éternel. Augustin trouve ainsi à la fois une justification et une interprétation philosophique de la Trinité.

La Trinité ne peut jouer ce rôle que si unité et historicité sont effectivement maintenues. Si les deux termes ne sont pas fermement maintenus, si l'un se trouve sacrifié ou subordonné à l'autre, le sens disparaîtrait aussitôt. Tous deux doivent subsister irréductiblement, ils doivent se tenir réciproquement et se conditionner l'un l'autre.

C'est la raison pour laquelle Augustin s'en prend aux hérésies et tout particulièrement à l'arianisme. ces hérésies menaçaient la fonction même de la Trinité, les unes en subordonnant les trois Personnes à l'unité divine, les autres au contraire en sacrifiant l'unité divine à la pluralité des trois Personnes.

Une remarque concernant les termes de l'enseignement trinitaire : on parle de "trois personnes en une". Ce concept de "Personne" permet certaines confusions.

La doctrine trinitaire a été d'abord formulée en grec : on a parlé des trois hypostases, ce qui signifiait à proprement parler : trois modes de manifestation, trois aspects de... Ensuite, on a traduit "hypostases" en latin par le mot personae, qui ne correspond pas au terme français personnes, mais signifie bien plutôt "rôles" ou "personnages" au sens de la distribution dans une pièce de théâtre (dramatis personae). Chaque pièce de théâtre latine présente, sur sa première page, la liste des personnages qui vont intervenir, et qui sont des personae. Ce terme préserve encore quelque chose des trois hypostases grecques, c'est-à-dire des trois "rôles" constitutifs de l'unité divine. En revanche, dans les langues modernes, en français par exemple, l'idée des trois Personnes s'éloigne beaucoup des trois "rôles". Il faudrait sans doute retrouver le sens de trois fonctions, trois aspects actifs, qui permettent des relations à l'intérieur de l'unité et de la simplicité divine.

Le Père, c'est l'essence divine, l'être de Dieu ; le Fils, c'est le Verbe (traduction latine du mot Logos), c'est-à-dire la vérité - car  il y a vérité à partir du moment où l'être parle. Dans la densité originelle de l'être, il n'y a pas encore de vérité Puisqu'il n'y a aucune possibilité d'erreur - ou comme on voudra nommer ce qui s'écarterait de l'être. Le Fils, donc, qui est le Verbe, est la Vérité. Et le Saint-Esprit est l'amour, par lequel le Père engendre le Fils. Comment peut-on concevoir l'amour sinon amour de..., amour...pour ?

Tout ce qui vient d'être dit ne résout nullement le mystère de la Trinité. Il importe seulement  que le lecteur ne soit pas arrêté par l'image impensable de trois solides personnes qui devraient n'en être qu'une, car ce ne serait qu'un non-sens. Les termes grecs et latin peuvent ici nous aider. Il ne faut pas vouloir se représenter la Trinité. Nous ne pouvons nous en faire aucune image. Mais nous pouvons avoir recours à elle pour tenter de nous en rapprocher, à travers notre propre liberté, de l'historicité transcendante du Dieu un et éternel - cherchant à comprendre, ne comprenant pas - et pour faire l'expérience de l'abîme absolu qui nous en sépare." 

Note : 

Dans la doctrine néoplatonicienne, l’hypostase est un terme qui désigne un « principe divin ». Le noyau de cette philosophie – dès Plotin lui-même - était une sorte d'ontologie, introduisant dans la divinité unique des hypostases multiples. Plotin admet trois hypostases : l'Un : absolu, ineffable, qui n'a pas de part à l'être, qui échappe à toute connaissance, l'Intellect : qui émane de l'Un, l'Âme, concept pluriel comprenant : l'Âme du monde et l'âme humaine destinée à descendre dans les corps. « On peut comparer l'Un à la lumière, l'être qui le suit (l'Intellect) au Soleil, et le troisième (l'Âme) à l'astre de la Lune qui reçoit sa lumière du Soleil. » (Plotin, Ennéades, traité 24, V, 6.)

 

 

 

 

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