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Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, "Du côté de chez Swann", Bibiothèque de la Pléiade, NRF Gallimard et en Livre de Poche.

Marcel Proust (prénoms complets : Valentin Louis Georges Eugène Marcel), né à Paris XVIème (quartir d'Auteuil) le 10 juillet 1871 et mort à Paris le 18 novembre 1822, est un écrivain français dont l'œuvre principale est une suite romanesque intitulée A la recherche du temps perdu, , publiée de 1913 à 1926.

"Mais tandis que chacune de ces liaisons, ou chacun de ces flirts, avait été la réalisation plus ou moins complète d'un rêve né de la vue d'un visage ou d'un corps que Swann avait, spontanément, sans s'y efforcer, trouvés charmants, en revanche, quand un jour au théâtre il fut présenté à Odette de Crécy par un de ses amis d'autrefois, qui lui avait parlé d'elle comme d'une femme ravissante avec qui il pourrait peut-être arriver à quelque chose, mais en la lui donnant pour plus difficile qu'elle n'était en réalité afin de paraître lui-même avoir fait quelque chose de plus aimable en la lui faisant connaître, elle était apparue à Swann non pas certes sans beauté, mais d'un genre de beauté qui lui était indifférent, qui ne lui inspirait aucun désir, lui causait même une sorte de répulsion physique, de ces femmes comme tout le monde a les siennes, différentes pour chacun, et qui sont l'opposé du type que nos sens réclament. Pour lui plaire elle avait un profil trop accusé, la peau trop fragile, les pommettes trop saillantes, les traits trop tirés. Ses yeux étaient beaux, mais si grands qu'ils fléchissaient sous leur propre masse, fatiguaient le reste de son visage et lui donnaient toujours l'air d'avoir mauvaise mine ou d'être de mauvaise humeur. Quelque temps après cette présentation au théâtre, elle lui avait écrit pour lui demander à voir ses collections qui l'intéressaient tant, « elle, ignorante qui avait le goût des jolies choses », disant qu'il lui semblait qu'elle le connaîtrait mieux, quand elle l'aurait vu dans « son home » où elle l'imaginait « si confortable avec son thé et ses livres », quoiqu'elle ne lui eût pas caché sa surprise qu'il habitât ce quartier qui devait être si triste et « qui était si peu smart pour lui qui l'était tant ». Et après qu'il l'eut laissée venir, en le quittant, elle lui avait dit son regret d'être restée si peu dans cette demeure où elle avait été heureuse de pénétrer, parlant de lui comme s'il avait été pour elle quelque chose de plus que les autres êtres qu'elle connaissait, et semblant établir entre leurs deux personnes une sorte de trait d'union romanesque qui l'avait fait sourire. Mais à l'âge déjà un peu désabusé dont approchait Swann, et où l'on sait se contenter d'être amoureux pour le plaisir de l'être sans trop exiger de réciprocité, ce rapprochement des cœurs, s'il n'est plus comme dans la première jeunesse le but vers lequel tend nécessairement l'amour, lui reste uni en revanche par une association d'idées si forte, qu'il peut en devenir la cause, s'il se présente avant lui. Autrefois on rêvait de posséder le coeur de la femme dont on était amoureux ; plus tard sentir qu'on possède le cœur d'une femme peut suffire à vous en rendre amoureux." (Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, "Du côté de chez Swann", Bibliothèque de la Pléiade, NRF Gallimard, p.195-196)

Pour préparer l'étude

a. En quoi cette première rencontre diffère-t-elle de nombreuses scènes de ce genre dans la littérature ?

b. Relisez la dernière phrase. Quelle opposition temporelle constatez-vous avec le reste du texte ? Quelle est la valeur du temps employé ?

c. Recopiez la première phrase du texte. Soulignez la proposition principale en rouge, les propositions subordonnées relatives en vert et les propositions subordonnées conjonctives en bleu. Comment définiriez-vous la phrase proustienne ?

d. Recherchez dans un dictionnaire le sens des mots anglais employés par Odette.

Lecture analytique

Une première rencontre atypique

1. Par quel moyen l'apparition d'Odette dans le texte est-elle retardée ?

2. Selon quel point de vue le portrait d'Odette est-il fait ? Justifiez votre réponse.

3. En quoi le portrait d'Odette est-il cruel ? Répondez à l'aide d'analyses stylistiques précises.

4. Relisez les commentaires de l'ami de Swann (l. 5 à 9). Que sous-entendent-ils à propos d'Odette ?

5. En quoi le rapport entre Swann et Odette est-il déséquilibré ?

6. Selon vous, pourquoi le narrateur cite-t-il certains propos d'Odette entre guillemets ?

L'analyse du narrateur

7. Quel est le temps du récit ? Qu'implique le choix de ce temps ?

8. Relevez les marques visant à généraliser une pensée. Quelle définition de l'amour peut-on déduire de ce texte ?

Vers le BAC

L'écriture d'invention

Odette envoie une lettre à Swann pour le remercier de l'avoir reçue et lui demander un rendez-vous. Vous veillerez à reproduire la manière de parler d'Odette dont il est question dans cet extrait.

Eléments de réponse :

Cette première rencontre, évoquée de manière rétrospective, est très différente des scènes de ce genre en littérature (Manon Lescault, Le Grand Meaulnes...) car Swann ne trouve à Odette que des défauts. C'est le contraire même du "coup de foudre" ("love at first sight").

"Autrefois on rêvait de posséder le coeur de la femme dont on était amoureux ; plus tard sentir qu'on possède le coeur d'une femme peut suffire à vous en rendre amoureux."

Il y a une opposition dans la dernière phrase du texte entre deux moments du passé dont le premier est antérieur au second : "Autrefois"... "Plus tard". La phrase se présente sous forme de chiasme.

Le narrateur met en évidence un paradoxe (une idée contraire à l'opinion commune, à ce qui est généralement admis) : on  commence par aimer afin d'être aimé et on finit par aimer parce qu'on est aimé.

l'emploi de "on", pronom indéfini et du présent de vérité générale,  fait de la phrase une sorte de maxime.

La phrase proustienne :

"Mais tandis que chacune de ces liaisons, ou chacun de ces flirts, avait été la réalisation plus ou moins complète d'un rêve né de la vue d'un visage ou d'un corps que Swann avait, spontanément, sans s'y efforcer, trouvés charmants, en revanche, quand un jour au théâtre il fut présenté à Odette de Crécy par un de ses amis d'autrefois, qui lui avait parlé d'elle comme d'une femme ravissante avec qui il pourrait peut-être arriver à quelque chose, mais en la lui donnant pour plus difficile qu'elle n'était en réalité afin de paraître lui-même avoir fait quelque chose de plus aimable en la lui faisant connaître, elle était apparue à Swann non pas certes sans beauté, mais d'un genre de beauté qui lui était indifférent, qui ne lui inspirait aucun désir, lui causait même une sorte de répulsion physique, de ces femmes comme tout le monde a les siennes, différentes pour chacun, et qui sont l'opposé du type que nos sens réclament."

"(Mais en revanche), elle était apparue à Swann non pas certes sans beauté, mais d'un genre de beauté..." : proposition principale

"Mais tandis que chacun de ces liaisons, ou chacun de ces flirts, avait été la réalisation plus ou moins complète d'un rêve né de la vue d'un visage ou d'un corps" : proposition subordonnée conjonctive.

"que Swann avait, spontanément, sans s'y efforcer, trouvés charmants" : proposition subordonnée relative.

"en revanche, quand un jour au théâtre il fut présenté à Odette de Crécy par un de ses amis d'autrefois" : proposition subordonnée conjonctive

"qui lui avait parlé d'elle comme d'une femme ravissante" : proposition  subordonnée relative

"avec qui il pourrait peut-être arriver à quelque chose mais en la lui donnant pour plus difficile" : proposition subordonnée relative

"qu'elle n'était en réalité afin de paraître avoir fait quelque chose de plus aimable en la lui faisant connaître" : proposition subordonnée conjonctive

"qui lui était indifférent" : proposition subordonnée relative

"qui ne lui inspirait aucun désir" : proposition subordonnée relative

"(qui) lui causait même une sorte de répulsion physique : proposition subordonnée relative

"(de ces femmes) comme tout le monde a les siennes, différentes pour chacun" : proposition subordonnée conjonctive

"et qui sont l'opposé du type que nos sens réclament" : proposition subordonnée relative

"Sur le modèle musical de la "phrase" de Vinteuil, si profonde, si vague, si interne presque et organique, si "viscérale", la phrase proustienne sait jouer des harmonies, cadences, variations, reprises, modulations. Elle est aussi, l'expression d'une pensée à l'oeuvre et tente de rendre avec exactitude le contenu foisonnant du réel et de la mémoire. Pour cela, elle s'étire, adapte ses circonvolutions subtiles aux minutieuses explorations des "intermittences du coeur" (incises, distinctions, ramifications) et de la recherche fiévreuse du sens (énumération de qualités, accumulations d'hypothèses), ordonne et subordonne (détachement des participiales, emboîtement des subordonnées), rapproche (parallélismes, présentatifs) et sépare (tirets, parenthèses). La phrase de Proust est un immense effort pour rendre la compexité du fonctionnement de la conscience..." (Source : encyclopédie Larousse)

L'apparition d'Odette est retardée :

a) par une brève évocation des amours précédentes de Swann

b) par l'évocation des propos de l'ami qui lui a présenté la jeune femme.

Cette dernière est vue à travers le regard de Swann (point de vue subjectif, focalisation interne)

La cruauté du portrait réside dans le lexique employé par le narrateur : "un profil trop accusé", "la peau trop fragile", "les pommettes trop saillante", "les traits trop tirés", par le syntagme verbal "comme tout le monde a les siennes" qui banalise Odette et en fait une femme comme les autres, et par le recours à l'énumération et à la répétition : "mauvaise mine, mauvaise humeur" (ici, d'un syntagme nominal constitué d'un substantif, précédé du même adjectif qualificatif épithète dépréciatif).

Le portrait donne l'impression d'une analyse poussée, strictement objective, d'une prise de distance quasi médicale, comme si le narrateur "disséquait" Odette.

L'unique modalisateur positif : "beaux" ("ses yeux étaient beaux") est immédiatement suivi de la conjonction de coordination adversative "mais". Le narrateur donne au lecteur l'espoir d'un élément positif, mais pour l'annuler aussitôt.

On remarque également l'emploi de verbes dysphoriques : "fléchissaient", "fatiguaient" et de l'adverbe d'intensité "toujours".

Les propos de l'ami de Swann sous-entendent qu'Odette est une femme facile ("une femme qui n'est pas inaccessible").

"elle, ignorante qui avait le goût des jolies choses" : propos susceptibles de flatter l'ego de Swann.

Elle se place volontairement en position de subordination : il sera le maître, elle sera la disciple.

"son home" : Odette veut montrer qu'elle est une femme de son temps, en employant des anglicismes à la mode. Mais elle témoigne ainsi d'un certain conformisme.

"si confortable avec son thé et ses livres" : elle suggère à Swann de l'inviter chez lui.

"qui était si peu smart pour lui qui l'était tant" : elle flatte Swann. En lui disant que son lieu de résidence est indigne de lui, elle suggère à Swann qu'il appartient à l'élite, qu'il est un être exceptionnel.

Le plus-que-parfait dans un récit évoque une action passée qui s'est déroulée avant une autre action passée généralement exprimée au passé simple.

Le récit est au plus-que-parfait car le narrateur se situe dans le futur, après la fin de la relation entre Swann et Odette et évoque les débuts de cette relation. Il s'agit d'une analepse.

La définition de l'amour :

Il n'est pas nécessairement symétrique (réciproque, partagé).

Le "coup de foudre" n'est pas une généralité.

On peut même commencer par ne pas apprécier la personne.

Le sentiment amoureux n'est pas "spontané".

L'amour est lié à l'amour propre, au narcissisme (l'amour de soi).

Assimilation de l'amour au plaisir, à la tranquillité.

Quand on vieillit, l'amour ne tend pas forcément au rapprochement des coeurs.

L'amour n'est pas éternel : on aime d'abord pour être aimé, on aime ensuite parce qu'on est aimé et puis un jour, on n'aime plus.

 

 

 

 

 

 

 

 

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