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Jean Baudrillard, La société de consommation, ses mythes, ses structures, Denoël, 1970,  coll. FOLIO Essais

"Comme la société du Moyen-Âge s'équilibrait sur Dieu ET sur le diable, ainsi la nôtre s'équilibre sur la consommation ET sur sa dénonciation. Encore autour du Diable pouvaient s'organiser des hérésies et des sectes de magie noire. Notre magie à nous est blanche, plus d'hérésie possible dans l'abondance. C'est la blancheur prophylactique d'une société saturée, d'une société sans vertige et sans Histoire, sans autre mythe qu'elle-même."

Référence majeure de la "contreculture", La Société de consommation est un ouvrage du sociologue français Jean Baudrillard datant de 1970. L'auteur y explique que, dans les sociétés occidentales contemporaines, les relations sociales deviennent structurées par un élément nouveau : la consommation de masse. Dans cette approche, la consommation n’est plus, pour chaque individu, le moyen de satisfaire ses besoins,  mais plutôt de se différencier. Cette personnalisation tend à remplacer les différences réelles entre les individus.

"Le livre de Jean Baudrillard, La Société de consommation, est une contribution magistrale à la sociologie contemporaine. Il a certainement sa place dans la lignée des livres comme De la division du travail social de Durheim, La théorie de la classe de loisir de Veblen ou la Foule solitaire de David Riesman.

M. Baudrillard analyse nos sociétés occidentales contemporaines, y compris celle des Etats-Unis. Cette analyse est concentrée sur le phénomène de la consommation des objets, que M. Baudrillard a déjà abordé dans Le Système des objets (Gallimard, 1968).

Dans sa conclusion à ce volume, il formule le plan du présent ouvrage : "Il faut poser clairement dès le début que la consommation est un mode actif de relation (non seulement aux objets, mais à la collectivité et au monde), un mode d'activité systématique et de réponse globale sur lequel se fonde tout notre système culturel."

Il montre avec beaucoup de perspicacité comment les grandes corporations technocratiques provoquent des désirs irrépressibles, créant  des hiérarchies sociales nouvelles qui ont remplacé les anciennes différences de classes.

Une nouvelle mythologie s'établit ainsi : "La machine à laver", écrit M. Baudrillard, "sert comme ustensile et joue comme élément de confort, de prestige, etc.  C'est proprement ce dernier champ qui est celui de la consommation. Ici, toutes sortes d'autres objets peuvent se substituer à la machine à laver comme élément significatif. Dans la logique des signes comme dans celle des symboles, les objets ne sont plus du tout liés à une fonction ou à un besoin défini. Précisément parce qu'ils répondent à tout autre chose, qui est soit la logique sociale, soit la logique du désir, auxquels ils servent de champ mouvant et inconscient de signification."

La consommation, comme nouveau mythe tribal, est devenu la morale de notre monde actuel. Elle est en train de détruire les bases de l'être humain, c'est-à-dire l'équilibre que la pensée européenne, depuis les Grecs, a maintenu entre les racines mythologiques et le monde du Logos.

M. Baudrillard se rend compte du danger que nous courons. Citons-le encore une fois : "Comme la société du Moyen-âge s'équilibrait sur Dieu ET sur le diable, ainsi la nôtre s'équilibre sur la consommation ET sur sa dénonciation. Encore autour du Diable pouvaient s'organiser des hérésies et des sectes de magie noire. Notre magie à nous est blanche, plus d'hérésie possible dans l'abondance. C'est la blancheur prophylactique d'une société saturée, d'une société sans vertige et sans Histoire, sans autre mythe qu'elle-même.

La Société de consommation, écrit dans un style serré, la jeune génération devrait l'étudier soigneusement. Elle se donnera peut-être pour tâche de briser ce monde monstrueux, sinon obscène, de l'abondance des objets, si formidablement soutenu par les mass media et surtout la télévision, ce monde qui nous menace tous."

J.P. Mayer, Université de Reading, Centre de recherches (Tocqueville)

 

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"Il y a aujourd'hui tout autour de nous une espèce d'évidence fantastique de la consommation et de l'abondance, constituée par la multiplication des objets, des services, des biens matériels, et qui constitue une sorte de mutation fondamentale dans l'écologie de l'espèce humaine. A proprement parler, les hommes de l'opulence ne sont plus tellement environnés, comme ils le furent de tout temps, par d'autres hommes que par des objets.

Leur commerce quotidien n'est plus tellement celui de leurs semblables que, statistiquement selon une courbe croissante, la réception et la manipulation de biens et de messages, depuis l'organisation domestique très complexe et ses dizaines d'esclaves techniques jusqu'au "mobilier urbain" et toute la machinerie matérielle des communications et des activités professionnelles, jusqu'au spectacle permanent de la célébration de l'objet dans la publicité et des centaines de messages journaliers venus des mass medias, du fourmillement mineur de gadgets vaguement obsessionnels jusqu'aux psychodrames symboliques qu'alimentent les objets nocturnes qui viennent nous hanter jusque dans nos rêves.

Les concepts d'"environnement", d'ambiance", n'ont sans doute une telle vogue que depuis que nous vivons moins, au fond, à proximité d'autres hommes, dans leur présence et dans leur discours, que sous le regard muet d'objets obéissants et hallucinants qui nous répètent toujours le même discours, celui de notre puissance médusée, de notre abondance virtuelle, de notre absence les uns aux autres (...)

Plan de l'ouvrage :

Avant-Propos

Première partie : La liturgie formelle de l'objet

Le statut miraculeux de la consommation

Le cercle vicieux de la croissance

Deuxième partie : Pour une théorie de la consommation

La logique sociale de la consommation

Pour une théorie de la consommation

La personnalisation ou la plus petite différence marginale (P.P.D.M.)

Troisième partie : Mass medias, sexe et loisirs

La culture mass-médiatique

Le plus bel objet de consommation : le corps

Le drame des loisirs ou l'impossibilité de perdre son temps

La mystique de la sollicitude

L'anomie en société d'abondance

Conclusion : De l'aliénation contemporaine ou la fin du pacte avec le diable

 

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Jean Baudrillard, né le 27 juillet 1929 à Reims et mort le 6 mars 2007 à Paris.

Post-scriptum :

"Toute l'économie mondiale dépend du consommateur. S'il cesse de dépenser de l'argent qu'il n'a pas pour des choses dont il n'a pas besoin, nous courons à notre perte." (Bill Boner)

L'ouvrage de Jean Baudrillard a été publié à la fin des "Trente glorieuses", un an après Mai 68. L'eau a coulé depuis sous les ponts ; nous sommes en 2012, plus de 40 après ! Son analyse de la société de consommation demeure pertinente, mais la crise est passée par là.

Le problème auquel nous sommes confrontés aujourd'hui est le suivant : les objets prolifèrent plus que jamais et les gens sont poussés plus que jamais à consommer.

Mais il y a un hic et il est de taille : le désir perpétuellement stimulé se heurte perpétuellement à l'impossibilité de consommer, faute de moyens.

Jean-Paul Brighelli souligne sur son blog Bonnet d'âne la nature fantasmatique du capitalisme financier, faisant notamment allusion à Sade et au fantasme de jouissance et de toute puissance, "le jouir à mort" dans lequel Lacan voit l'ubris fondamentale  : le refus du manque.

Le paradoxe de la crise actuelle réside dans la rencontre des deux aspects contradictoires : l'impératif du jouir à mort et l'impossibilité de jouir.

Les chercheurs de l'école de Palo Alto parlent d'injonction paradoxale", du genre : "Ne m'obéis pas !" ou "Fais ce que TU veux" !", génératrice, selon eux, de schizophrénie : je ne peux pas obéir à l'ordre de désobéir.

L'injonction paradoxale du capitalisme financier porte sur la limite ontologique telle que définie par Lacan et démontrée par l'absurde par Sade. On peut manquer de tout, sauf du manque (et "posséder la "joie parfaite") et on peut ne manquer de rien, sauf du manque et souffrir le martyre. C'est la limite ontologique du désir, sa différence avec le besoin.

Le deuxième aspect est la limite existentielle, due aux circonstances, du genre "Tu as oublié d'acheter du beurre !" - et là, nous savons à peu près faire (satisfaire des besoins).

Le paradoxe risible, au fond, quand on y pense (encore Sade !), c'est que la société de consommation et les gens du château des fantasmes du "jouir à mort" continuent à nous enjoindre de ne pas nous soucier du désir, qu'il savent y faire.

Or, depuis la crise de 2008, engendrée par l'impératif économico-financier du  "jouir à mort" : inciter les pauvres à acheter des maisons de riches à crédit et à consommer à crédit... se réassurer pour garantir les crédits que les pauvres ne pourront pas rembourser, mettre les pauvres à la rue quand ils ne peuvent plus rembourser les mensualités de leur crédit (c'est-à-dire transformer la pauvreté en misère)... il n'y a pas pénurie de parfum, ni encore pénurie de beurre, mais on commence à regarder à deux fois le prix du beurre avant de sortir son porte-monnaie, y compris les trentenaires, pourtant dûment formatés.

A l'exception des gens du château des fantasmes qui organisent les séances de jouissance collectives, tortures comprises, chères au divin marquis - et à commencer par les Grecs qui, pour leur malheur ont intégré la "maison commune", nous sommes tous plus ou moins dans la même situation que les pauvres qui ont acheté des maisons de riches et n'arrivent pas à les rembourser.

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