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Zénon! Cruel Zénon! Zénon d'Êlée!
M'as-tu percé de cette flèche ailée
Qui vibre, vole, et qui ne vole pas!
Le son m'enfante et la flèche me tue!
Ah! le soleil . . . Quelle ombre de tortue
Pour l'âme, Achille immobile à grands pas!

 

(Paul Valéry, Le cimetière marin)

 

Toujours à propos de l'évaluation par compétences, je donne le lien vers le site de "Sauver les Lettres" où on peut lire sur le sujet un article de Véronique Marchais, professeur de Lettres.


http://www.sauv.net/competences.php


"Depuis quelques années, l'évaluation par compétences est devenue le nouveau credo de l'Education nationale. Elle est passée subrepticement du primaire au secondaire et des cahiers d'évaluation d'entrée dans un cycle aux contrôles des connaissances, jusqu'aux examens nationaux. Dernière mouture en date, le décret relatif au socle commun réaffirme cette notion de compétence en rappelant l'article 9 de la Loi du 23 avril 2005 : "La scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l'acquisition d'un socle commun constitué d'un ensemble de connaissances et de compétences qu'il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société."


Qu'est ce que cela signifie ?


Avant toute chose, nous expliquerons ce qu'est l'évaluation par compétences à travers deux exemples : l'évaluation de la capacité à lire et celle de la capacité à s'exprimer clairement à l'écrit.


Le principe est à chaque fois le même : l'évaluation par compétences procède par réductionnisme. Toute tâche complexe, comme l'est indéniablement la lecture, est divisée en une multitude de compétences mises en oeuvre pour réaliser cette tâche. Le postulat sous-jacent est qu'un élève n'échoue jamais dans toutes les tâches à exécuter et qu'on pourra le valoriser, le motiver, en soulignant, en regard de ses difficultés, ses points de réussite. Objectif louable mais qui donne lieu à des aberrations en confondant le diagnostic des principales sources de difficultés de l'élève, la relativisation de ces difficultés et l'évaluation de son travail (...)"

 

J'ajouterais ce commentaire personnel : comme disait Platon dans La République, "l'important est de savoir ce en vue de quoi ils font ce qu'ils font." Quelle est donc la finalité ultime de la mise en place du socle commun et de l'évaluation par "compétences" ?

 

Après avoir longtemps nié l'évidence à travers ses idéologues de service (Philippe Meirieu, Baudelot et Establet, Claude Thélot...), l'Education nationale reconnaît enfin implicitement ce que savent depuis bien longtemps les professeurs de terrain : la baisse catastrophique du niveau des élèves, notamment dans la maîtrise de la langue française, dont on dit pourtant dans la novlangue bizarre du système qu'elle est le "véhicule de tous les apprentissages".

 

20% d'élèves et sans doute plus qui entrent en 6ème sans posséder les fondamentaux en calcul, en lecture et en écriture, ce sont 20% d'élèves qui trainent leurs difficultés d'année et année jusqu'à la 3ème et au-delà, passant de classe en classe "au bénéfice de l'âge" (et de toutes façons, n'est-ce pas, "il ou elle ne fera mieux que ce qu'il ou elle a fait cette année").

 

Plutôt que d'essayer d'analyser ce qui a conduit à cette catastrophe : la baisse des horaires en français, les méthodes aberrantes d'apprentissage de la lecture et de l'écriture, l'effacement des savoirs au profit des "activités" et de la "socialisation", l'idée que l'apprentissage "par coeur" serait contraire au développement de l'intelligence, l'indigence des programmes du primaire.... et d'essayer d'y remédier, on trouve plus commode d'escamoter le problème en cassant le thermomètre.

 

Les premières victimes sont majoritairement les enfants des classes populaires, des milieux dits "défavorisés", ceux dont les parents n'ont pas de bibliothèque à la maison, ne peuvent pas les aider et n'ont pas les moyens de les inscrire dans un de ces organismes de soutien scolaire qui fleurissent sur les décombres de l'école de la République.

 

Voici la conclusion de la réflexion de Véronique Marchais :

 

"Avec le socle commun, l'école publique ne se donne plus l'objectif aussi large qu'ambitieux de développer l'intelligence aussi loin que possible, elle se contente désormais de viser la transmission d'un bagage minimal constitué de quelque "compétences" juxtaposées : "analyser les éléments grammaticaux d'une phrase", "comprendre une consigne", "utiliser des outils" comme le dictionnaire, "relier des mots avec des connecteurs logiques (sic), "additionner des fractions", "formuler des hypothèses, des déductions"...

 

L'intelligence est étymologiquement, "mise en relation" ("intelligere" = faire des liens). Elle se développe avec la capacité de coordonner ses connaissances. En déliant toutes choses, l'école divorce d'avec l'intelligence. Avec l'approche par compétences, l'acte complexe que constitue tout acte de pensée est réduit à une succession de procédures qui exigent bien peu de raison, et ces procédures finissent par s'imposer comme une fin en soi, "ensemble de connaissances et de compétences qu'il est indispensable de maîtriser" - donc que les enseignants s'attacheront à viser.

 

Ce sont ainsi les objectifs même de l'école qui sont dénaturés. Plus clairement, on peut affirmer qu'une école qui se donne pour objectif la maîtrise de telles compétences déconnectées les unes des autres a renoncé à son ambition première, irréductible à une somme de compétences, qui était le développement et l'élaboration de la pensée.

 

Zénon d'Elée nous a laissé quelques paradoxes célèbres : une flèche n'atteindra jamais sa cible puisque, pour y parvenir, elle devrait d'abord couvrir la moitié de la distance qui l'en sépare, et avant cela la moitié de la distance précédente, et ainsi de suite à l'infini. Ce sophisme fournit une image excellente de la démarche pas "compétences" : on pourrait multiplier celles-ci à l'envi - pourquoi ne pas récompenser, dans tout devoir, l'élève qui sort une feuille et un stylo, celui qui est capable d'y tracer des signes, peu importe lesquels, celui qui utilise les mots dans l'ordre prescrit, autant de "compétences" nécessaires, nous éloignant toujours plus, par ce morcellement, de l'unité fondamentale de la compréhension. La multiplication des compétences dans tous les domaines de l'enseignement n'est donc pas seulement absurde et arbitraire, elle est aussi terriblement néfaste, au sens où elle compromet gravement l'objectif de l'école : plus on multipliera et visera les compétences mises en oeuvre dans les processus complexes de la pensée, plus on empêchera les élèves d'accéder à cette pensée complexe."

 

 

 

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