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Oeuvre : Spirite

Auteur : Théophile Gautier

Editions : Petite Bibliothèque des Ombres, Toulouse, nov.1998

Première parution : 1865

Nouvelle fantastique

186 pages

Préface : non

Première de couv. : Innocence, 1889, huile sur toile de Franz von Stuck

 

"Cette relation mystérieuse est l'extraordinaire histoire d'amour fantastique entre une femme, devenue esprit, et un vivant qu'elle est venue chercher de l'extra-monde. Dans la lignée des Mortes-amoureuses d'Edgar Poe, elle conduit le lecteur du Paris enneigé sous le Second Empire jusqu'au Parthénon, miraculeusement reconstitué. 

 
Ce récit paraît en 1866, et témoigne de la vogue spirite qui touche alors son temps. Mais il se révèle surtout être la confidence d'un auteur arrivé au faîte de sa carrière de romancier, de critique et de poète, qui fait un retour sincère sur son expérience d'écrivain. Loin des truculences du Capitaine Fracasse et des provocations de Mademoiselle de Maupin, Gautier livre, à travers le parcours initiatique de Malivert, sa propre histoire, celle d'un écrivain déçu par la vulgarité de son temps mais qui conserve une foi intacte dans la puissance de l'art. Spirite constitue, à cet égard, un vibrant plaidoyer en faveur de la beauté. " (Bérangère Boulay, Fabula) link

 

A/ Structure


16 chapitres à peu près égaux, 11-12 pages chacun

 

B/ L'histoire


Guy de Malivert, jeune aristocrate riche et cultivé du Faubourg Saint-Germain est aimé de la comtesse d'Ymbercourt, une jeune veuve de son milieu. Leur entourage est persuadé qu'ils vont bientôt se marier, mais Malivert ne partage pas les sentiments que la jeune fille éprouve à son égard.

 

C'est alors que des phénomènes étranges se produisent : comme sous la dictée d'une main invisible, Malivert écrit à Madame d'Ymbercourt une lettre de rupture... au moment où il s'apprête à sortir de chez lui pour rendre visite à la jeune veuve, il perçoit un soupir plaintif... plus tard, chez Madame d'Ymbercourt, son ami, le baron de Feroë, diplomate suédois, disciple de l'occultiste Swedenborg, lui enjoint de ne s'engager dans aucun lien terrestre, car un esprit est sur le point de le visiter.

 

Dès le lendemain, une jeune fille d'une beauté surnaturelle lui apparaît dans le miroir vénitien de son bureau-salon. Il tombe éperdument amoureux de l'apparition qu'il surnomme "Spirite". Le jour suivant, Malivert se rend en traineau au Bois de Boulogne. Une jeune fille est assise à l'angle d'un autre traineau : c'est Spirite ! Guy de Malivert se lance à sa poursuite. Une berline traverse le chemin. L'accident est inévitable ! Malavert stupéfié voit le cocher, le cheval et le traineau passer à travers la voiture comme à travers un brouillard... Rentré chez lui, Malivert songe à Spirite qu'il aime désormais d'un amour absolu.

 

Spirite se manifeste à lui et il se met à écrire sous sa dictée. Elle apprend à Guy de Malivert qu'elle l'aime depuis longtemps, mais que le sort s'est acharné à les empêcher de se rencontrer. Désespérée d'apprendre son projet de mariage avec la comtesse d'Ymbercourt, elle est entrée au couvent et y a rendu l'âme un an après, à l'âge de 18 ans. Elle lui décrit ensuite le monde nouveau dont elle fait désormais partie et au sein duquel elle comprend qu'elle lui était éternellement destinée. Elle lui explique enfin comment elle est entrée en communication avec lui et s'est mêlée à son existence.

 

Sur les indications du baron de Feroë, Guy se rend sur la tombe de la jeune fille dont le vrai nom est Lavinia d'Aufideni. A partir de ce moment, Spirite se mêle de plus en plus intimement à la vie de Malivert. Ce dernier n'aspire plus qu'à la rejoindre et songe même à mettre fin à ses jours, mais Spirite l'en empêche.

 

Après un dernier adieu à Madame d'Ymbercourt, Malivert s'embarque pour la Grèce. Spirite se manifeste à lui et l'accompagne, invisible pour tout autre. Quelques jours après son arrivée, Malivert décide de visiter les montagnes des environs d'Athènes, accompagné d'un guide du nom de Stavros. Chemin faisant, il est attaqué et tué par des bandits. Stavros parvient à s'échapper et raconte qu'au moment de son agonie, le visage du jeune homme rayonnait d'une joie célèste et qu'une jeune fille d'une merveilleuse beauté se tenait auprès de lui.

 

Au même moment, à Paris, le baron de Feroë, plongé dans la lecture d'un ouvrage de Swedenborg : Les mariages de l'autre vie, a la vision des deux amants confondant leurs âmes enfin réunies.

 

Thèmes abordés :


L'amour, l'au-delà, la prédestination, le monde occulte, les rapports entre les vivants et les morts.


Genre :


Fantastique


Analyse du titre de l'ouvrage :


"Spirite" : c'est le surnom que donne Guy de Malivert à l'apparition dans le miroir vénitien.


Spirite : adjectif et nom (1858, de l'anglais spirit, dans l'expression spirit-rapper, "esprit frappeur") 


1°) adjectif relatif aux esprits des morts, à leurs manifestations supposées, propres au spiritisme.


2°) nom de la personne qui évoque les esprits, par l'entremise d'un medium, personne qui s'occupe de spiritisme.


Mots de la même famille : spiritisme, spiritualisation, spiritualiser, spiritualisme, spiritualité, spirituel...

 

C/ L'Espace et le Temps :

 

L'action se situe à Paris et se termirne dans les environs d'Athènes.


Lieux : le pavillon de Guy de Malivert, Faubourg Saint-Germain (p. 11), le salon de l'Hôtel particulier de Madame d'Ymbercourt, rue de la Chaussée d'Antin, le club de Guy de Malivert, rue de Choiseul, le bois de Boulogne.

 

Dictée de Spirite : le parloir du couvent des Oiseaux, la chambre de Spirite dans la maison familiale, le jardin, le Bois de Boulogne, le Théâtre des Italiens, l'Hôtel de la duchesse de C., le Faubourg Saint-Germain, la salle-à-manger de Madame de L., le couvent des soeurs de la Miséricorde

 

Le cimetière du Père-Lachaise

 

Marseille, Athènes, la Cap Malia, les montagnes des environs d'Athènes

 

Changements de lieux importants pour Malivert : le voyage en Grèce, pour Spirite : l'entrée au couvent des soeurs de la Miséricorde.

 

Le changement de lieu scelle dans les deux cas la destinée des deux personnages : ils vont trouver la mort. 

 

Intérêt d'une étude des "chronotopes" (cf. M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman) : le Faubourg Saint-Germain, quartier de Paris où réside l'aristocratie, les salons, lieux où se concentre la vie mondaine, intellectuelle, artistique et politique au XIXème siècle : celui de Madame d'Ymbercourt, celui de la duchesse de C. où a lieu le premier bal de Lavinia-Spirite et la rencontre manquée avec Guy de Malivert, le Bois de Boulogne, lieu à la mode où se nouent et se dénouent les idylles, on s'y bat en duel, il est de bon ton d'y être vu, lieu de rendez-vous et de parade de l'aristocratie, de la haute bourgeoisie parisienne et des demi-mondaines.

 

Les oppositions :

 

Opposition salon, bureau du célibataire et salon de Madame d'Ymbercourt, opposition salon, club, maison/couvent, France/pays "exotiques" (Egypte, Espagne, Grèce)

 

 

C'est à partir de la visite de Malivert sur la tombe de Lavinia au Père-Lachaise que les liens entre les deux personnages deviennent plus intenses et plus intimes. En tant que chronotope, le cimetière du Père-Lachaise est le lieu le plus éloigné de la vie sociale, sur le plan symbolique, il est l'exact opposé des salons. Un rapprochement s'impose avec le défi de Rastignac dans Les Illusions perdues de Balzac : c'est au cimetière du Père-Lachaise que le jeune ambitieux s'écrie : "A nous deux Paris". L'endroit est le même, mais les désirs des deux personnages sont aux antipodes l'un de l'autre.

 

La nouvelle est fondée sur une série d'oppositions : intérieur/extérieur, Mme. d'Ymbercourt/Spirite, ici-bas/"ultramonde", cimetière/salon, vie mondaine/vie spirituelle... et sur un retournement paradoxal : la chaleur, la vie, l'intensité étant du côté de la mort comme "porte vers l'ultramonde", considéré comme étant "la vraie vie", la vie dans le monde (le mot "monde" doit évidemment être pris ici au sens chrétien) étant considéré comme une sorte de mort.

 

La question du désir :

 

Gautier rejoint Balzac : on désire ce que l'on n'a pas et que l'on ne désire plus quand on l'a : Rastignac part à la conquête de tout ce que Malivert possède (la richesse, le pouvoir...), tandis que Malivert, antithèse de la figure de Faust, renonce à tout ce dont rêve Rastignac et qu'il tient désormais pour rien à côté de la plénitude de "l'ultramonde" où l'on n'a plus rien à désirer, où le désir, du moins,  ne s'accompagne plus de la souffrance du manque et de la désillusion de la possession. 

 

Malivert ne connaît pas la souffrance du manque, il ne manque de rien, mais comme dit Lacan, "ne manquer de rien, c'est manquer du manque". Avant sa "rencontre" avec Spirite, il n'y a jamais d'obstacle entre le désir et la réalisation. Il est "saturé" (saturé d'objets, saturé de confort, saturé de nourriture, saturé de femmes, saturé d'argent...). Malivert peut avoir  tout ce qu'il désire et finit par ne plus rien désirer. C'est là sa tragédie. Dans ce désert du désir, Spirite va devenir à la fois sa punition et sa rédemption. Le désir vise l'absolu, l'inaccessible. Malivert se remet à désirer en désirant un "objet", le seul qu'il ne peut pas obtenir, un objet hors du monde qui se manifeste à plusieurs reprises et sous plusieurs aspects, mais qu'il ne peut atteindre.

 

L'énigme :

 

On peut également suivre le déploiement de "l'énigme", comme le fait Roland Barthes dans S/Z : position, thématisation, formulation, termes dilatoires, déchiffrement, dévoilement, depuis la rédaction médiumnique de la lettre de rupture jusqu'à la réunion des amants dans la mort.

 

La position de l'énigme intervient au moment de la première "dictée médiumnique" (lettre de rupture à Mme d'Ymbercourt), la formulation de l'énigme (un esprit cherche à entrer en contact avec Malivert) est donnée par le baron de Feroë, le déchiffrement (pourquoi) est accompli par Spirite elle-même et non par "l'enquêteur" (comme dans Le Scarabée d'or ou Le Double assassinat dans la rue Morgue de Poe) et le dévoilement intervient à la fin de la nouvelle avec la réunion des deux amants dans la mort. Peuvent être qualifiés de "termes dilatoires" les événements qui se produisent entre le déchiffement de l'énigme (la lettre de Spirite) et le dénouement-dévoilement (la visite au cimetière, l'adieu à Mme. d'Ymbercourt et le départ pour la Grèce).


L'incipit de la nouvelle :

 

Présentation du personnage principal du récit, Guy de Malivert, chez lui, dans son Hôtel particulier du faubourg Saint-Germain à Paris : "La pièce où Guy de Malivert goûtait ces joies paisibles tenait le milieu entre le cabinet d'étude et l'atelier."

 

C'est un jeune homme "de vingt-huit ou vingt-neuf ans", "ce qu'on appelle un joli garçon", riche ("il avait 40 000 francs de rentes en terres et un oncle cacochyme plusieurs fois millionnaire", p. 12), cultivé ("les livres qui chargeaient ces rayons eussent surpris l'observateur par leur contraste ; on eût dit la bibliothèque d'un artiste et celle d'un savant mêlés ensemble..." (p. 11) ; "après s'être refait son éducation littéraire, il lui avait semblé honteux d'ignorer toutes les belles découvertes qui font la gloire de ce siècle...", c'est donc un jeune aristocrate parisien, beau, riche, cultivé et oisif.

 

Il a eu des "aventures", mais n'a jamais connu l'amour : "il ignorait l'amour, tel du moins qu'il est dépeint dans les poèmes, les drames, les romans ou même comme le représentaient ses camarades par leurs confidences ou leurs vantadises..." (p.13)

 

Le point de vue narratif :

 

3ème personne du singulier ("il"), le narrateur est l'auteur lui-même (Théophile Gautier), narrateur hétérodiégétique (extérieur à l'histoire), vision illimitée, omnisciente, le narrateur en sait plus que le personnage, interpellation du lecteur ("on voit que Guy était médiocrement amoureux.")

 

Le système des temps : 

 

Imparfaits de description ("Guy de Malivert était étendu", il semblait, dansait, composaient, éprouvait, était ("il était heureux")

 

Imparfaits d'habitude : "lorsqu'il se voyait trop bien accueilli dans une maison, il cessait d'y aller, ou il partait pour un grand voyage, et à son retour il avait la satisfaction de se voir parfaitement oublié..."

 

Un futur d'objection : "on dira peut-être."

 

Une série de plus-que-parfait : "l'avaient proclamé leur idéal...", "il avait donné", "elle avait essayé de s'asphyxier"... évoquent des événements antérieurs au moment évoqué dans le récit. 

 

Les précisions, ainsi que le portrait très fouillé du héros créent un puissant "effet de réel".

 

Le schéma actanciel :

 

sujet : Guy de Malivert

objet : Spirite

opposant : Mme. d'Ymbercourt

adjuvant : le baron de Féroë

 

Le schéma narratif (script) :

 

Situation initiale : présentation du héros, chez lui, dans son Hôtel particulier, à Paris, Faubourg Saint-Germain. Guy de Malivert est un jeune aristocrate de 28-29 ans, riche, beau, cultivé et relativement oisif. Assis dans un fauteuil confortable, près d'un bon feu, malivert "goûte la joie d'un paisible farniente". Il est dix heures du soir. dehors, la neige recouvre les rues.

 

Elément modificateur 1 : le domestique apporte à Malivert une lettre de Mme. d'Ymbercourt "lui rappelant sa promesse de venir prendre une tasse de thé chez elle." Très contrarié, il décide de décliner cette invitation.

 

Elément modificateur 2 : première intrusion du fantastique dans le récit. Il écrit une lettre à Mme. d'Ymbercourt. Une pensée et une volonté étrangères se substituent à la sienne et il rédige une lettre de rupture. 

 

- Tout aussi incapable d'envoyer cette lettre, qui correspond pourtant à ses sentiments véritables que d'en écrire une autre, Malivert se résout à se rendre chez Madame d'Ymbercourt.

 

- Au moment de quitter son cabinet, il croit entendre un soupir plaintif "mais si faible, si léger, si aérien qu'il fallait le profond silence de la nuit pour que l'oreille pût le saisir."

 

- Dans le coupé qui le conduit chez Madame d'Ymbercourt, Malivert, intrigué et troublé, médite sur les mystérieux phénomènes qui viennent de se produire. 

 

- Chez Madame d'Ymbercourt, il retrouve un compagnon de club, le baron de Feroë, diplomate suédois, adepte de l'occultiste Swendenborg. Le baron lui demande s'il a bien l'intention, comme on le prétend, d'épouser Mme. D'Ymbercourt. Malibert lui ayant répondu que non, Feroë lui enjoint de ne pas s'engager dans un lien terrestre, car un esprit est sur le point de le visiter.

 

- Le lendemain, alors qu'il s'apprête à rendre une nouvelle visite à Mme. D'Ymbercourt, une voix lui murmure à l'oreille : "N'entrez pas !" Malivert se retourne, mais ne voit personne.

 

- Comme Mme. d'Ymbercourt le presse de lui déclarer ses sentiments, Malivert lui fait une réponse évasive. Il est tiré d'affaire par la visite inopinée du baron. Ce dernier lui enjoint de ne plus revoir Mme. d'Ymbercourt.

 

- Le soir-même, Guy se rend à son cercle de la rue de Choiseul ; il y retrouve le baron suédois et lui raconte les étranges événements de la soirée précédente. Le baron lui demande alors si jamais une jeune fille est morte d'amour pour lui. Guy lui répond que non, du moins à sa connaissance. Le baron lui conseille de rentrer chez lui et d'attendre de nouvelles manifestations du monde des esprits.

 

- Rentré chez lui, Malivert dirige son attention vers un miroir de Venise suspendu au mur de son cabinet-salon. Peu à peu, l'image d'une jeune fille d'une beauté surnaturelle s'y dessine. malivert tombe éperdûment amoureux de l'apparition qu'il surnomme "Spirite".

 

- Désespéré à l'idée que Spirite pourrait ne jamais réapparaître, Malivert se met à pleurer. Un souffle surnaturel passe sur son visage et sèche ses larmes. Durant son sommeil, Spirite lui apparaît en rêve et lui inspire des visions du monde des esprits.

 

- Le lendemain, Malivert se rend en traineau au lac du Bois de Boulogne, rendez-vous du Tout-Paris à la mode. Il y rencontre Mme. D'Ymbercourt qui lui renouvelle son invitation à venir la rejoindre au Théâtre des Italiens. C'est alors qu'un traineau attelé à un cheval magnifique et conduit pas un cocher russe frôle le sien. Il reconnaît, assise à l'angle du traineau, Spirite. Jetant à Mme. D'Ymbercourt quelques mots d'excuse, il se lance à la poursuite de Spirite. A l'instant où il parvient à apercevoir son visage, le cocher russe excite sa bête qui s'élance en avant. Au même moment, une berline traverse le chemin. Malivert stupéfié voit le cocher, le cheval et le traineau passer à travers la voiture comme à travers un brouillard avant de les perdre de vue.

 

- Le soir même, Malivert se rend à un souper en ville lù il rencontre à nouveau Feroë. Ils discutent de l'apparition du bois de Boulogne. Feroë, qui est le seul à avoir vu le traineau, avec Mme. D'Ymbercourt et Malivert lui-même, affirme connaître le dessein de Spirite, mais refuse de le révéler à son ami.

 

- Rentré chez lui, Malivert songe à Spirite qu'il aime désormais d'un amour absolu. C'est alors qu'il aperçoit une main diaphane traçant des lignes sur une feuille de papier à lettres. Malivert comprend que Spirite lui indique un moyen d'entrer en communication avec elle. Ayant saisi un porte-plume, il se met à écrire sous la dictée intérieure de la jeune fille.

 

- Dictée de Spirite : on passe de la troisième à la première personne du singulier. Spirite révèle à Guy de Malivert que depuis la première fois où elle le vit, alors qu'elle était pensionnaire au Couvent des Oiseaux où Malivert allait rendre visite à sa jeune soeur, elle l'aima passionnément, mais qu'un mauvais sort s'acharna à empêcher qu'ils se rencontrent, jusqu'au jour où Spirite apprit que Malivert était sur le point d'épouser Mme. d'Ymbercourt. Âgée de 17 ans, elle prit alors la résolution d'entrer au couvent des soeurs de la Miséricorde. Mais la rude vie du cloître altera bientôt sa santé et elle ne tarda guère à rendre l'âme.

 

- Spirite décrit ensuite à Guy de Malivert le monde nouveau dont elle fait désormais partie, un monde de splendeurs ineffables au sein desquelles elle comprit qu'elle lui était éternellement destinée. Elle lui explique alors comment elle entra en communication avec lui et se mêla à son existence. 

 

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- Ayant convié le baron de Feroë à déjeuner, Guy l'instruit de la teneur de la "dictée" de Spirite. Le baron le rassure au sujet de la réalité de cette communication et de son lien avec la jeune fille et lui conseille de s'y abandonner avec foi et soumission. Il lui révèle, à sa demande, le véritable nom de la jeune fille et l'emplacement de sa tombe. 

 

- Guy se rend sur la tombe de la jeune fille dont le vrai nom est Lavinia d'Aufideni. A partir de ce moment, Spirite se mêle intimement à la vie de Malivert. Ce dernier n'aspire plus qu'à la rejoindre et songe même à mettre fin à ses jours, mais Spirite l'en empêche. Après un dernier adieu à Mme. d'Ymbercourt, Guy de Malivert s'embarque pour la Grèce. Spirite se manifeste à lui et l'accompagne, invisible pour tout autre.

 

- Quelques jours après son arrivée, Malivert décide de visiter, accompagné d'un guide du nom de Stavros, les montagnes des environs d'Athènes.

 

- Il est attaqué chemin faisant par des bandits. Stavros parvient à s'échapper et raconte qu'au moment de l'agonie du jeune homme, une jeune fille se tenait près de lui. 

 

- Au même moment, à Paris, le baron de Feroë, plongé dans la lecture d'un ouvrage de Swedenborg, Les mariages de l'autre vie, a la vision des deux amants confondant leurs âmes enfin réunies.

 

 

Spirite link

Spirite, nouvelle fantastique, a paru en feuilleton dans le Moniteur Universel du 17 novembre au 6 décembre 1865, puis en janvier 1866, Charpentier a repris le texte seul, en volume.


Dès la fin de l’année 1861, Gautier annonçait la parution d’un conte intitulé Spirit : avant même de commencer à l’écrire, il semble que l’auteur ait eu des hésitations sur le titre, avec ou sans e final ; les deux orthographes apparaissent d’ailleurs dans le texte du manuscrit.


Gautier avait signé un contrat avec l’éditeur Hetzel pour Jettatura, le 15 novembre 1856, dans lequel l’auteur s’engage à fournir également deux petits romans (qu’il n’a jamais écrits) : Le Haschich et Le Magnétisme. C’est ce dernier qui pourrait être à l’origine de Spirite, selon Spoelberch de Lovenjoul. C’est en 1863 que Gautier a commencé la rédaction de Spirite, nous apprend le journal d’Eugénie Fort ; mais il s’interrompt rapidement, et n’en reprend l’écriture qu’en 1865, au cours d’un séjour à Genève chez Carlotta Grisi, avec laquelle il a renoué une liaison amoureuse. Mais l’écriture traîne, car Gautier manque d’inspiration.


Carlotta Grisi a beaucoup inspiré Gautier, qui lui écrit le jour de la publication du premier épisode : « Lisez, ou plutôt relisez, car vous le connaissez déjà, ce pauvre roman qui n’a d’autre mérite que de refléter votre gracieuse image, d’avoir été rêvé sous vos grands marronniers et peut-être écrit avec une plume qu’avait touchée votre main chérie. L’idée que vos yeux adorés se fixeront quelques temps sur ces lignes où palpite sous le voile d’une fiction le vrai, le seul amour de mon cœur, sera la plus douce récompense de mon travail » (Correspondance générale, IX). D’ailleurs, Gautier fait imprimer par Claye un exemplaire unique de son roman, avec une dédicace à l’adresse de Carlotta Grisi :


Disons, ici, pour le désespoir des bibliophiles, qu’il existe un seul et unique exemplaire de la première édition de Spirite, tiré pour Madame Carlotta Grisi, qui contient une dédicace imprimée dont on ne possède aucune copie. Pour comble de malheur, ce volume, relié en veau bleu, a été perdu ou volé, soit à Genève, soit en Espagne pendant un séjour qu’y fit la créatrice de Giselle et de la Péri en 1870-1871. Cette édition de Spirite a été imprimée chez Claye (…).


(Spoelberch de LovenjoulHistoire des oeuvres de Théophile Gautier, 1887, II, 311-12, n° 2016)


Si Spirite rencontre le succès chez les amateurs de littérature, le roman jouit aussi d’un autre succès, plus inattendu : les médiums et magnétiseurs en tous genres envoient à Gautier des courriers enthousiastes. Gautier croit au magnétisme, très en vogue dans la première moitié du XIXe siècle, et a assisté à des séances en présence de magnétiseurs et de somnambules, avec d’autres écrivains dont Victor Hugo. Déjà dans son ballet Gemma, en 1854, Gautier explorait  le magnétisme, d’où certainement sa première idée de roman intitulé Le Magnétisme. Le spiritisme, apparu aux Etats-Unis en 1847, a été très vite importé en France : Delphine de Girardin, amie de Gautier (avec laquelle notamment il a écrit La Croix de Berny, voir ci-dessus), le pratique dès 1853. Mais Gautier, contrairement à Victor Hugo, reste très sceptique.


Allan Kardec, chef de file des spirites français, auteur du réputé Livre des médiums, rédige pour La Revue spirite, qu’il dirige, deux articles sur le roman de Gautier, dans lesquels il félicite l’auteur d’avoir si bien compris ce qu’est le spiritisme, et regrette que Zola ne l’ait pas pris au sérieux – Zola considère que Gautier s’est aventuré dans le spiritisme pour « le seul plaisir de décrire à sa guise des horizons imaginaires » (Œuvres complètes, éd. Henri Mitterand, Cercle du livre précieux, 1969, vol. X, p.370-372). Gautier a voulu se conformer à la doctrine spiritique de son temps, et particulièrement en ce qui concerne les formes et les techniques de l’évocation, et l’écriture médiumnique comme moyen de communication entre les vivants et les morts. Gautier s’inspire également de Swedenborg, dont il avait déjà apprécié l’influence dans Séraphîta de Balzac (1835) ; d’ailleurs, peut-être Gautier a-t-il eu connaissance des théories de Swedenborg seulement par le biais de cette nouvelle. Gautier mentionne aussi d’autres sources d’inspiration : au début de Spirite, Malivert lit « Evangéline », poème de Longfellow traduit de l’anglais au moment où Gautier rédigeait Spirite, et dans lequel il a sans doute trouvé le schéma de la séparation forcée amants, leur longue quête infructueuse pour se revoir, et leurs retrouvailles dans la mort. Pour les femmes mortes qui réapparaissent sous la frome de fantômes, Gautier s’est sans doute inspiré des nouvelles de Poe qu’il cite d’ailleurs à plusieurs reprises dans Spirite.


Paul Deltuf a donné un compte-rendu de Spirite dans la rubrique  »Les Livres nouveaux » du Grand Journal du 1er avril 1866.

 

 

 

 

 

 

 

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