Benjamin Constant/Emmanuel Kant, Le droit de mentir, établissement de l'édition, rédaction des notes, révision de la traduction des textes de Kant de Jules Barin et posface de Cyril Morana, couverture d'Olivier Fontvieille, Les Mille et une Nuits.
Aux élèves :
Les éditions des Mille et une Nuits ont eu la bonne idée de rassembler dans le même ouvrage des textes d'Emmanuel Kant et de Benjamin Constant sur le thème de la légitimité du mensonge.
Ils témoignent de deux visions diamétralement opposées de la morale dont nous avons déjà eu l'occasion de parler à propos de l'étude du Fondement de la métaphysique des moeurs de Kant : la conception déontologique (Kant) et la conception conséquentialiste (Constant).
Une action morale (intrinsèquement morale ou véritablement morale) pour Kant est une action accomplie par devoir et non par intérêt ou par inclination. Le conséquentialisme, comme son nom l'indique, affirme que dans un débat moral, on doit attribuer plus de poids aux résultats d'une action qu'à toute autre considération.
Sommaire : Emmanuel Kant, "L'illégitimité du mensonge" - Benjamin Constant, "Tout le monde n'a pas droit à la vérité" - Emmanuel Kant, "La véracité est un devoir absolu et inconditionné", "Etre sincère est aussi un devoir envers soi-même" - "Cyril Morana, La vérité, jusqu'où ?" - Vies d'Emmanuel Kant et de Benjamin Constant - Repères bibliographiques
En 1796, Benjamin Constant, ami de Madame de Staël, entré en politique et lecteur attentif de Kant, s'en prend au caractère inconditionnel du devoir que pose le philosophe de Königsberg. Il se trouve que celui-ci prend connaissance de sa critique et lui répond l'année suivante par un opuscule, Sur un prétendu droit de mentir. Ainsi naît la célèbre controverse, dont les textes sont ici rassemblés.
"Le principe moral que dire la vérité est un devoir, s'il était pris d'une manière absolue et isolée, rendrait toute société impossible. Nous en avons la preuve dans les conséquences directes qu'a tirées de ce premier principe un philosophe allemand (Emmanuel Kant), qui va jusqu'à prétendre qu'envers des assassins qui vous demanderaient si votre ami qu'ils poursuivent n'est pas réfugié dans votre maison, le mensonge serait un crime." (Benjamin Constant)
"C'est un commandement sacré de la raison, un commandement qui n'admet pas de condition, et qu'aucun inconvénient ne saurait restreindre, que celui qui nous prescrit d'être véridiques (loyaux) dans toutes nos déclarations." (Emmanuel Kant)
Emmanuel Kant est un philosophe allemand, fondateur de la méthode critique et de la doctrine appelée "idéalisme transcendantal". Né le 22 avril 1724 à Königsberg, capitale de la Prusse-Oientale, il y est mort le 12 février 1804. Grand penseur de l'Aufklärung, Kant a exercé une influence considérable sur l'idéalisme allemand, la philosophie analytique, la phénoménologie, la philosophie postmoderne et la pensée critique en général.
Benjamin Constant, Benjamin Constant de Rebecque, né à Lausanne, le 25 octobre 1767, mort à Paris le 8 décembre 1830, inhumé au cimetière du Père-Lachaise, est un romancier, homme politique et intellectuel français d'origine suisse (vaudoise).
Rappel :
La pensée de Kant relève du modèle de l'éthique déontologique (du grec "déontos" = devoir). Les morales du devoir fondent le caractère moral de nos actions sur le concept d'obligation. Ce type de morale se conçoit indépendamment de toute conséquence qui pourrait résulter de nos actions. Par exemple, selon Kant, on ne doit pas mentir, quelles que soient les circonstances, même pour éviter un meurtre, car l'obligation de dire la vérité est absolue et ne tolère aucune condition particulière. La théorie kantienne de la morale repose sur l'impératif catégorique. Kant distingue deux types d'impératifs :
- l'impératif hypothétique nous dit que si nous voulons ceci, nous devons faire telle ou telle chose ;
- l'impératif catégorique nous dit seulement que nous devons faire telle chose, quoi que nous voulions ou désirions.
Les morales déontologiques reposent sur une conception objectiviste ou hétéronome, qui affirme que les lois morales ne dépendent pas de l'homme, mais sont des commandements divins (judaïsme, christianisme, Saint Thomas d'Aquin) ; ce sont des lois de la raison, auxquelles tout être raisonnable doit obéir.
Cyril Morana enseigne la philosophie en classes de terminales et intervient en classes préparatoires aux grandes écoles. Il est déjà l'auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation dont L'art et La liberté, dans la collection "Petite philosophie des grandes idées".
Extrait de la posface de Cyril Morana : "La vérité jusqu'où ?"
"Qui est allé en classe de philosophie a sans doute le souvenir de son professeur proposant à l'auditoire un cas de conscience, un problème de casuistique, dont la solution paraissait tellement évidente qu'il semblait que ledit problème n'en était pas un : des nazis frappent à votre porte et vous demandent si vous n'avez pas vu passer un membre de la Résistance, lequel membre se trouve précisément hébergé chez vous ; faut-il dire la vérité et avouer que l'homme se trouve à ce moment dans l'une de vos chambres ? Faut-il mentir aux nazis en affirmant n'avoir jamais croisé le résistant ?..."
"... Le lecteur doit-il, avec Kant, et fort de la considération de la logique de sa philosophie pratique, considérer qu'il n'existe pas de pieux mensonge, que la véracité est un devoir absolu ? Doit-il plébisciter Constant et d'autres comme Jankélévitch qui écrivait dans son Traité des vertus (II, 1, 3) : "Mentir aux policiers allemands qui nous demandent si nous cachons chez nous un patriote, c'est dire la vérité ; répondre : il n'y a personne, quand il y a quelqu'un, c'est (dans cette situation) le plus sacré des devoirs" ?
Choisir Constant, c'est considérer qu'il doit y avoir une hiérarchie des valeurs, qu'il n'y a pas de devoirs absolus... donc pas de morale ni de monde possible pour Kant !
Toutefois, que serait un monde où l'on dénonce l'ami à l'assassin, le résistant au nazi, au nom de la conscience morale ? De quelle conscience morale parlerions-nous alors ?"
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