Peter Sloterdijk, Bulles, Sphères, Microsphérologie, Tome I

Peter Sloterdijk, Bulles, Sphères, Microsphérologie (Sphären I. Blasen), Tome I, traduit de l'allemand par Olivier Mannoni, Pauvert 2002

Peter Sloterdijk s'est fait remarquer en France depuis plusieurs années pour sa réflexion audacieuse et inédite (Critique de la pensée cynique, Le Temps du crime et l'oeuvre d'art, Règles pour le parc humain).

Table des matières : Remarque liminaire - Introduction : Les alliés ou : La commune soufflée - Réflexion liminaire : Penser l'espace intérieur - I. Opération du coeur Ou : De l'excès eucharistique - II. Entre les visages A propos de l'apparition de la sphère intime interfaciale - III. Les hommes dans le cercle magique Contribution à une histoire idéelle de la fascination du proche Digression 1 : Transfert de pensées - IV. La réclusion dans la mère Contribution au fondement d'une gynécologie négative Digression 2 : Nobjets et non-relations Contribution à une révision de la théorie psychanalytique des phrases Digression 3 : Le principe de l'oeuf Intériorisation et enveloppe Digression 4 : "Le Dasein a par essence une tendance à la proximité  La théorie heideggérienne du lieu existentiel - V. L'accompagnateur originel Requiem pour un organe rejeté Digression 5 : La plantation noire Note sur les arbres de vie et les machines d'animation - VI. Le séparateur de l'espace spirituel Anges - Jumeaux - Doubles Digression 6 : La tristesse des sphères De la perte du nobjet et de la difficulté de dire ce qui manque Digression 7 : de la différence entre un idiot et un ange - VII. Le stade des sirènes De la première alliance sonosphérique Digression 8 : Vérités d'analphabètes Notice sur le fondamentalisme oral Digression 9 : Le point à partir duquel Lacan se trompe - VIII. Plus proche de moi que moi-même Ecole théologique préparatoire sur la théorie de l'intérieur commun Digression 10 : Matris in gremio Un caprice mariologique - Transition - De l'immanence extatique

Quatrième de couverture : 

"L'idée que la vie est une affaire de forme - voilà la thèse que nous associons à l'expression de sphère, empruntée aux philosophes et aux géomètres. Elle suggère que la vie, la constitution de sphères et la pensée sont des expressions différentes pour désigner une seul et même chose. Ainsi, la référence à une géométrie sphérique vitale n'a de sens que si l'on admet l'existence d'une sorte de théorie qui en sait plus sur la vie que la vie elle-même...

Bulles est le premier volume d'une trilogie où Peter Sloterdijk raconte l'histoire de l'habitat en commun. L'auteur décrit ainsi la relation "bi-unitaire" qui se noue dans la bulle entre l'enfant et la mère, le croyant primitif et son dieu, les deux moitiés d'un couple, le foetus et le placenta, l'homme et son génie. Il nous guide ensuite vers la figure trinitaire, qui fonde la civilisation contemporaine. Sur ce chemin, nous rencontrons aussi bien Platon ou les Pères de l'Eglise (Saint Augustin, Jean de Damas) que les hérétiques médiévaux (Marguerite Porète), les philosophes des XIXème et XXème siècles (notamment Nietzsche, Bachelard et Heidegger) ou des personnages comme Warhol et Nabokov.

Un livre magnifique, témoignage de l'une des pensées les plus originales et les plus fortes que la philosophie européenne ait produites au cours de ces dernières décennies."

Remarque liminaire (extrait) :

Le présent essai (...) admet qu'il est touché par une problématique platonicienne, mais il ne sa reconnaît pas dans le platonisme - pour autant que l'on donne ce nom à la somme des mauvaises lectures qui, au fil des époques, ont entretenu le débat autour du fondateur de l'Académie athénienne, en incluant l'antiplatonisme, depuis Kant jusqu'à Heidegger et à leurs successeurs. Si je suis ici la trace des références platoniciennes, c'est uniquement dans la mesure où je développerai avec plus d'obstination que d'habitude, dans les pages qui suivent, la thèse selon laquelle les histoires d'amour sont des histoires de forme, chaque solidarisation étant une constitution de sphère, c'est-à-dire une création d'espace intérieur.

Les excédents du premier amour, qui se détache de son origine pour se prolonger ailleurs dans de libres recommencements, alimentent aussi la pensée philosophique, dont on doit avant tout savoir qu'elle est un cas d'amour du tout par transfert. Dans le discours intellectuel contemporain, on s'est malheureusement accoutumé à l'idée de considérer l'amour par transfert comme un mécanisme névrotique, responsable du fait que les passions authentiques sont le plus souvent ressenties au mauvais endroit. Rien n'a causé autant de dommages à la pensée philosophique que cette pitoyable réduction des motifs qui, à tort ou à raison, se réclamait du modèle psychanalytique. Il faut affirmer, bien  au contraire, que le transfert est la source formelle de processus créatifs qui animent l'exode de l'être humain vers l'espace ouvert. Nous ne transférons pas tant des affects incorrigibles sur des tierces personnes que des mouvements primaires sur des théâtres lointains. Les frontières de ma capacité de transfert sont les frontières de mon univers.

Si je devais donc porter mon sceau à l'entrée de cette trilogie, il se lirait ainsi : "Puisse se tenir loin de ces lieux celui qui n'a pas la volonté de louer le transfert et de réfuter la solitude."