Pape François, Rencontres avec Dominique Wolton, Politique et société, un dialogue inédit, Editions de l'Observatoire, 2017
Jorge Mario Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, a été élu pape sous le nom de François le 11 mars 2013. Il est le premier pape jésuite et latino-américain de l'histoire de l'Eglise.
Dominique Wolton est directeur de recherche au CNRS. Il est le fondateur et le directeur de la revue internationale Hermès (CNRS Editions) depuis 1988. Dans la communication, il privilégie l'homme et la politique par rapport à la technique et à l'économie. Il est l'auteur d'une trentaine d'ouvrages, traduits en vingt langues.
Le polyèdre, métaphore de la politique (page 31-34) :
"Dominique Wolton : Pour en revenir à la politique...
Pape François : Tout homme ou institution, dans le monde entier, a toujours une dimension politique. De la politique avec un P majuscule, le grand Pie XI a dit qu'elle est une des formes les plus hautes de la charité. Œuvrer pour la "bonne" politique, cela veut dire pousser un pays à avancer, faire avancer sa culture : c'est cela la politique. Et c'est un métier. Au retour du Mexique, mi-février 2016, j'ai appris par les journalistes que Donald Trump, avant d'être élu président, aurait dit de moi que j'étais un homme politique avant de déclarer qu'une fois élu, il ferait construire des milliers de kilomètres de murs... Je l'ai remercié d'avoir dit que j'étais un homme politique, car Aristote définit la personne humaine comme un animal politicum, et c'est un honneur pour moi. Je suis donc au moins une personne ! Quant aux murs...
Note : Pie XI (1857-1939), pape de 1922 à 1939, est un peu oublié aujourd'hui. Pourtant, il a joué un rôle essentiel dans une période très troublée. Il signa les accords de Latran (1929) concernant l'abandon des Etats pontificaux. Il signa également des concordats avec les Etats crées en 1918. Il condamna l'Action française en 1926, le fascisme en 1931, le nazisme en 1937 et le bolchevisme en 1937. Il fit un appel solennel à la paix en 1938. Par ailleurs, il est le pape de l'action catholique (apostolat des laïcs) et des missions.
L'instrument de la politique, c'est la proximité. Se confronter aux problèmes, les comprendre. Il y a autre chose, dont nous avons perdu la pratique : la persuasion. C'est peut-être la méthode politique la plus subtile, la plus fine. J'écoute les arguments de l'autre, je les analyse et je lui présente les miens... L'autre cherche à me convaincre, moi j'essaye de le persuader, et de cette façon nous cheminons ensemble. Peut-être que nous n'arrivons pas à la synthèse de type hégélien ou idéaliste - grâce à Dieu, parce que cela, on ne peut pas, on ne doit pas le faire, car cela détruit toujours quelque chose.
Dominique Wolton : La définition que vous donnez de la politique - convaincre, argumenter et surtout négocier ensemble - correspond tout à fait à la définition de la communication que je défends et qui valorise la négociation sur fond d'incommunication ! La communication est un concept indissociable de la démocratie, car il suppose la liberté et l'égalité des partenaires. Communiquer, c'est parfois partager, mais le plus souvent, négocier et cohabiter...
Pape François : Faire de la politique, c'est accepter qu'il y ait une tension que nous ne pouvons résoudre. Or, résoudre par la synthèse, c'est annihiler une partie en faveur de l'autre. Il ne peut y avoir qu'un résolution par le haut, à un niveau supérieur, où les deux parties donnent le meilleur d'elles-mêmes, dans un résultat qui n'est pas une synthèse, mais un cheminement commun, un "aller ensemble". Prenons par exemple la globalisation. C'est un mot abstrait. Comparons ce mot à un solide : on peut voir la globalisation comme un phénomène politique, sous la forme d'une "bulle" dont chaque point est équidistant du centre. Tous les points sont identiques et ce qui prime c'est l'uniformité : on voit bien que ce type de globalisation détruit la diversité.
Note : un polyèdre est un solide délimité par des faces polygonales dont les intersections forment des arêtes, et les points de rencontre de celles-ci, les sommets. "J'aime l'image du polyèdre, une figure géométrique qui a de nombreuses facettes différentes. Le polyèdre reflète la confluence de toutes les diversités qui, dans celui-ci, conservent l'originalité. Rien ne se dissout, rien ne se détruit, rien ne domine rien, tout s'intègre..." explique le Saint-Père dans un discours le 28 octobre 2014.
Mais on peut aussi la concevoir comme un polyèdre, où tous les points sont unis, mais où chaque point, qu'il s'agisse d'un peuple ou d'une personne, garde sa propre identité. Faire de la politique, c'est rechercher cette tension entre l'unité et les identités propres."