L'oeuvre :
De l'esprit des lois est un traité de la théorie politique publié par Montesquieu à Genève en 1748. Cette œuvre majeure, qui lui a pris quatorze ans de travail, a fait l'objet d'une mise à l'Index en 1751. Dans cet ouvrage, Montesquieu suit une méthode révolutionnaire pour l'époque : il refuse de juger ce qui est par ce qui doit être, et choisit de traiter des faits politiques en dehors du cadre abstrait des théories volontaristes et jusnaturalistes. Il défend ainsi une théorie originale de la loi : au lieu d'en faire un commandement à suivre, il en fait un rapport à observer et à ajuster entre des variables. Parmi ces variables, il distingue des causes culturelles (traditions, religion, etc.) et des causes naturelles (climat, géographie, etc.). Il livre à partir de là une étude sociologique des mœurs politiques. (source : wikipedia)
L'auteur :
Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, est un penseur politique, précurseur de la sociologie, philosophe et écrivain français des Lumières, né le 18 janvier 1689 à La Brède (Guyenne, près de Bordeaux) et mort le 10 février 1755 à Paris. Jeune homme passionné par les sciences et à l'aise avec l'esprit de la Régence, Montesquieu publie anonymement les Lettres persanes (1721), un roman épistolaire qui fait la satire amusée de la société française vue par des Persans fictifs et met en cause les différents systèmes politiques et sociaux, y compris le leur. Il voyage ensuite en Europe et séjourne plus d'un an en Angleterre où il observe la monarchie constitutionnelle et parlementaire qui a remplacé la monarchie autocratique. De retour dans son château de La Brède au sud de Bordeaux, il se consacre à ses grands ouvrages qui associent histoire et philosophie politique : Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734) et De l'esprit des lois (1748), dans lequel il développe sa réflexion sur la répartition des fonctions de l'État entre ses différentes composantes, appelée postérieurement « principe de séparation des pouvoirs ». Montesquieu, avec entre autres John Locke, est l'un des penseurs de l'organisation politique et sociale sur lesquels les sociétés modernes et politiquement libérales s'appuient. Ses conceptions – notamment en matière de séparation des pouvoirs – ont contribué à définir le principe des démocraties occidentales.
Le texte :
"Comme il faut de la vertu dans une république et dans une monarchie, de l'honneur, il faut de la CRAINTE dans un gouvernement despotique : pour la vertu, elle n'y est point nécessaire, et l'honneur y serait dangereux.
Le pouvoir immense du prince y passe tout entier à ceux à qui il le confie. Des gens capables de s'estimer beaucoup eux-mêmes seraient en état d'y faire des révolutions. Il faut donc que la crainte y abatte tous les courages, et y éteigne jusqu'au moindre sentiment d'ambition.
Un gouvernement modéré peut, tant qu'il veut, et sans péril, relâcher ses ressorts. Il se maintient par ses lois et par la force même. Mais lorsque, dans le gouvernement despotique, le prince cesse un moment de lever le bras ; quand il ne peut plus anéantir à l'instant ceux qui ont les premières places, tout est perdu : car le ressort du gouvernement, qui est la crainte, n'y étant plus, le peuple n'a plus de protecteur.
C'est apparemment dans ce sens que des cadis ont soutenu que le grand seigneur n'était point obligé de tenir sa parole ou son serment, lorsqu'il bornait par là son autorité.
Il faut que le peuple soit jugé par les lois, et les grands par la fantaisie du prince ; que la tête du dernier sujet soit en sûreté, et celle des bachas (pachas) toujours exposée. On ne peut parler sans frémir de ces gouvernements monstrueux. Le sophi de Perse, détrôné de nos jours par Mirivéis, vit le gouvernement périr avant la conquête, parce qu'il n'avait pas versé assez de sang.
L'Histoire nous dit que les horribles cruautés de Domitien effrayèrent les gouverneurs au point que le peuple se rétablit un peu sous son règne. C'est ainsi qu'un torrent, qui ravage tout d'un côté, laisse de l'autre des campagnes où l’œil voit de loin quelques prairies.
(Montesquieu, De l'esprit des lois, Livre III, chapitre IX, éditions Garnier, tome I, p. 31)
Questions sur le texte :
(source : Les philosophes par les textes, de Platon à Merleau-Ponty, Fernand Nathan, 1974)
1. L'expression "il faut" revient à plusieurs reprises ; a-t-elle le sens fort de conséquence nécessaire, ou le sens faible d'utilité convenable ?
2. L'honneur est l'estime de soi ; l'homme d'honneur refuse d'obéir aux ordres dont l'exécution l'avilirait ; il sauve l'honneur plutôt que sa vie. La vertu est l'amour des institutions et des lois ; la vertu est le civisme.
La crainte est au gouvernement despotique ce que l'honneur est à la monarchie et ce que la vertu est à la république, c'est-à-dire à la démocratie ; la crainte est-elle cependant une passion de même rang que l'honneur et que la vertu ?
3. Pourquoi la vertu n'est-elle pas nécessaire dans un gouvernement despotique ? demandez-vous, pour répondre à cette question, si, quand on obéit par crainte, on a à obéir par devoir ou par amour des lois.
Pourquoi l'honneur serait-il dangereux dans un gouvernement despotique ? Reprenez les caractères essentiels de l'honneur : justifiez la différence des expressions "la vertu n'y est point nécessaire", "l'honneur y serait dangereux" : le despotisme est-il à proprement parler un régime politique, c'est-à-dire un régime régissant une véritable société d'hommes ?
4. Le pouvoir duprince est immense : expliquez en quoi ; rendez au terme "immense" son sens exact et plein. Montrez que, parce qu'il est immense, le pouvoir du prince passe nécessairement tout entier à ceux à qui il le confie, c'est-à-dire à ses ministres.
Les ministres du prince ont-ils des fonctions déterminées ? Montrez qu'il est de la nature du despotisme de multiplier les despotes et de corrompre les instruments du pouvoir.
5. Montesquieu oppose le gouvernement modéré et le gouvernement despotique : dites avec exactitude ce qui les sépare. Montrez qu'il est de la nature du gouvernement despotique d'être toujours en situation catastrophique, c'est-à-dire qu'il est toujours occupé à se conserver, qu'il est donc toujours tendu, n'étant jamais sûr du lendemain.
Si le principe d'un gouvernement est le ressort qui le fait se mouvoir, peut-on dire que la crainte est à proprement parler un principe ? Comment faut-il comprendre que la crainte est le protecteur du peuple ? La sécurité du peuple est-elle une sécurité légale ou de droit, ou une sécurité de fait et accidentelle ?
A quoi est due, dans un gouvernement despotique, la tranquillité du peuple ? Pour répondre à cette question, soulignez en particulier, la dernière phrase du texte.
6. Pourquoi l'ordre et la tranquillité qui règnent dans un régime despotique ne sont-ils qu'apparents ? Montrez que les visiteurs étrangers peuvent être trompés par cette apparence.
Dans quelle région du monde surtout Montesquieu situe-t-il le despotisme ? Veut-il dire qu'il ne peut exister que dans cette région ?