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Arthur Schopenhauer, Essai sur le libre-arbitre (extrait + questions) - Le blog de Robin Guilloux
L'auteur : Arthur Schopenhauer est un philosophe allemand, né le 22 février 1788 à Dantzig, mort le 21 septembre 1860 à Francfort-sur-le-Main. L'oeuvre : Ce court ouvrage (environ 160 pages) es...
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Le libre arbitre - Schopenhauer.fr
Il n'y a pas de libre arbitre. L'homme est un être déterminé par son essence
Le texte :
"L'homme est capable de délibération et, en vertu de cette faculté, il a, entre divers actes possibles, un choix beaucoup plus étendu que l'animal
Il y a déjà là pour lui une liberté relative, car il devient indépendant de la contrainte immédiate des objets présents, à l'action desquels la volonté de l'animal est absolument soumise. L'homme au contraire, se détermine indépendamment des objets présents, d'après des idées, qui sont ses motifs à lui.
Cette liberté relative n'est en réalité pas autre chose que le libre-arbitre tel que l'entendent des personnes instruites, mais peu habituées à aller au fond des choses : elles reconnaissent avec raison dans cette faculté un privilège exclusif de l'homme sur les animaux.
Mais cette liberté n'est pourtant que relative, parce qu'elle nous soustrait à la contrainte des objets présents, et comparative, en ce qu'elle nous rend supérieurs aux animaux. Elle ne fait que modifier la manière dont s'exerce la motivation, mais la nécessité de l'action des motifs n'est nullement suspendue, ni même diminuée."
(Schopenhauer, Essai sur le libre arbitre)
Explication du texte :
Arthur Schopenhauer traite dans ce texte de la notion de "libre-arbitre".
Selon Schopenhauer, le libre-arbitre est lié à la faculté de délibérer qui rend l'homme moins dépendant que les animaux de la contrainte des objets présents, mais il ne consiste pas à agir sans motifs. (thèse)
Plan du texte :
a) La faculté de délibération distingue les hommes des animaux en étendant leur choix.
b) Par la faculté de délibération L'homme se libère de la contrainte des objets présents.
c) Le libre arbitre est le privilège exclusif de l'homme.
d) Le libre-arbitre n'est pas la capacité d'agir sans motifs.
La délibération est une confrontation de points de vue visant à trancher un problème ou un choix difficile par l'adoption d'un jugement ou d'une décision réfléchie. Elle peut être effectuée par un individu seul, mais aussi par un groupe d'individus ou une collectivité. Elle débouche en général sur une décision ou un choix, mais peut aussi rester "aporétique" (en suspens)
Note : Aristote définit la délibération comme le processus consistant à choisir le moyen le plus adéquat en vue d’une fin à atteindre, analysant également le rôle de l’acrasie - c’est-à-dire la faiblesse ou absence de volonté dans le processus de délibération. Le Pseudo-Platon définit la délibération comme « L'examen sur le point de savoir comment tourner à son avantage des événements futurs ». Délibérer, selon Socrate, c’est chercher ce que l’on ne sait pas, alors que selon Sisyphe, délibérer, c’est chercher ce qu’il faut faire, comment agir alors que l’on ne connaît qu’une partie de la question. Selon Panétios de Rhodes, l’homme délibère sur trois choses avant de prendre une décision : Ce qu'il s'agit de faire est-il honnête ou honteux - Ce qu'il s'agit de faire contribuera-t-il à mon bien-être ? - L'utilité de ce qu'il s'agit de faire est-elle en opposition avec l'honnêteté ? La philosophie contemporaine s'est elle aussi penchée sur la question de la délibération. Donald Davidson par exemple a relancé le débat en analysant à nouveau frais la nature de la motivation d'une action. C’est principalement la philosophie de l'action qui s’intéresse à la nature de la délibération. Le philosophe allemand Jürgen Habermas a apporté une contribution importante aux débats sur la délibération à travers son Essai de 1981, Théorie de l'agir communicationnel. (source : wikipedia)
La faculté de délibération est liée au langage, à la pensée, à la raison (Logos) dont Aristote disait qu'elle est le propre de l'homme. Selon Schopenhauer, cette faculté favorise la multiplicité des choix possibles, ce qui différencie l'homme des animaux.
Dans Le Cid de Corneille, Rodrigue est placé devant un dilemme : il doit choisir entre son honneur : venger son père au risque de tuer son adversaire, le père de Chimène ou conserver l'amour de Chimène, au risque de perdre son honneur. Il délibère à haute voix sur scène dans un long monologue, pesant les avantages et les inconvénients de chacun de ces choix avant d'opter finalement pour le combat. Dans le passage des Misérables intitulé "Tempête sous un crâne", Jean Valjean délibère pour savoir s'il doit se dénoncer aux autorités ou bien laisser condamner un innocent à sa place. Il prend finalement la décision de se dénoncer, mais non sans avoir délibéré pendant une nuit entière.
Par la faculté de délibération l'homme devient indépendant de la contrainte immédiate des objets présents. "Immédiat" est le contraire de "médiat"... Selon M. Heidegger, "l'animal est étroitement attaché au piquet de l'instant". L'animal a des besoins, comme l'homme, qu'il cherche à satisfaire, mais il cherche à les satisfaire avec des objets présents, alors que l'homme transforme la nature par la médiation du travail, à l'aide d'un ou de plusieurs outils (ustensiles).
La faculté de délibération est liée au langage, à la faculté de produire des "concepts" en l'absence de l'objet, de se souvenir et d'anticiper qui échappent à la contrainte des objets présents en se dirigeant vers des objets passés et des objets futurs (possibles). Par exemple, pour satisfaire ses besoins alimentaires, l'homme transforme la nourriture crue en la cuisant.
"La volonté de l'animal est absolument soumise aux objets présents" : on peut prendre l'exemple du système de communication des abeilles étudié par Max Von Frisch et analysé par Benveniste pour le comparer au langage humain. L'abeille éclaireuse est capable d'indiquer par une danse en forme de huit plus ou moins rapide et plus ou moins inclinée, la position et la distance d'une source de miel, mais non la position d'une source de miel placée à la verticale, par exemple disposés par un expérimentateur sur un pylône électrique (elle est capable de les repérer, mais non de transmettre leur position car les fleurs ne poussent pas à la verticale dans la nature) et n'est pas capable non plus de donner des informations sur des objets absents parce qu'elle n'est pas génétiquement programmée pour le faire.
"L'homme au contraire, se détermine indépendamment des objets présents, d'après des idées, qui sont ses motifs à lui" : l'animal est étroitement dépendant des objets présents ; ils se détermine, c'est-à-dire qu'il agit en fonction d'eux. L'homme, au contraire se détermine indépendamment des objets présents car il dispose du langage, du concept qui permet de se représenter une chose (représenter veut dire rendre présent une deuxième fois), qu'elle soit présente ou absente, réelle ou simplement possible.
L'homme peut se déterminer, faire tel ou tel choix, en fonction de "valeurs" : le vrai et le faux, le bien et le mal, le beau et le laid, et pas seulement, comme l'animal parce qu'il est poussé par l'instinct et le besoin. Les idées, ajoute Schopenhauer, sont "ses motifs à lui", autrement dit les idées, les représentations sont à l'homme ce que l'instinct est aux animaux.
On peut dire que si l'on veut être précis que les animaux n'agissent pas en fonction de "motifs", mais en fonction de "mobiles". Ils sont poussés à accomplir telle ou telle action par leur instinct, alors que l'homme agit, se détermine lui-même en se donnant des "motifs" conscients et rationnels.
"Cette liberté relative n'est en réalité pas autre chose que le libre-arbitre" : le contraire de "relatif" est "absolu". Parler de liberté humaine est un pléonasme car seul l'homme, en tant qu'il peut se déterminer indépendamment des objets présents, en fonction de "motifs" est capable de liberté. Mais cette liberté, selon Schopenhauer n'est pas absolue, totale, elle est seulement "relative".
Selon Schopenhauer (c'est la thèse de son essai sur le libre-arbitre), la liberté n'est pas la faculté de ses déterminer en l'absence de tout motif qu'on appelle la "liberté d'indifférence", mais la faculté de délibérer et de faire des choix. Ces choix cependant, sont relatifs car ils sont conditionnés par une multitude de motifs que nous connaissons ou que nous ne connaissons pas. En suggérant dans son Essai sur le libre-arbitre que notre volonté obéit à des motifs que nous ne connaissons pas (et donc à de "mobiles"), Schopenhauer se montre un précurseur de Freud.
"Les personnes instruites" qui reconnaissent avec raison dans le libre-arbitre un privilège exclusif des hommes sur les animaux ne vont pas jusqu'au bout des choses parce qu'elles n'examinent pas suffisamment en quoi consiste exactement ce fameux "libre-arbitre" qui n'est pas, comme elles ont tendance à le croire, la faculté de se déterminer en dehors de toute cause antécédente (la liberté d'indifférence ou la liberté inconditionné), mais dans la faculté de se déterminer en fonction de représentations que l'on appelle des "motifs" ou des raisons d'agir.
On admet plus difficilement aujourd'hui que ce "privilège exclusif" qu'ont les hommes par rapport aux animaux rend l'homme "supérieur" aux animaux, mais plutôt que la nature ou l'évolution (la "Volonté" dit Schopenhauer) a choisi de privilégier telle ou telle stratégie adaptative : l'instinct chez l'animal, la délibération chez l'homme, aucune de ces deux stratégies n'étant vraiment "supérieure" à l'autre.
En tant qu'elle réside dans le "libre-arbitre", c'est-à-dire dans la faculté de délibérer, la liberté humaine est donc relative et non absolue puisqu'elle obéit à des motifs. Pour parler comme Kant, elle n'est pas "inconditionnée", elle n'échappe pas à l’enchaînement nécessaire des causes et des effets qui sont à l'oeuvre dans le reste de la nature. Elle est également "comparative" : si on compare le comportement humain au comportement animal, le libre-arbitre nous rend comparativement "supérieurs" aux animaux.
"La liberté ne fait que modifier la manière dont s'exerce la motivation, mais elle ne suspend, ni ne diminue la nécessité de l'action des motifs" : autrement dit, la liberté ne consiste pas à agir sans motifs, sans une ou plusieurs causes antécédentes, à suspendre ou même à diminuer le déterminisme naturel.
La thèse de Schopenhauer rejoint donc celle de Spinoza qui considère le libre-arbitre comme une illusion et n'admet que la nécessité, l'enchaînement nécessaire des causes et des effets (ce que nous appelons aujourd'hui le déterminisme), plutôt que celle de Jean-Paul Sartre pour qui l'homme a la possibilité de se déterminer librement et d'échapper au déterminisme des "situations", puisque "l'existence précède l'essence".
L'intérêt philosophique de ce texte réside dans le fait que Schopenhauer situe la liberté humaine dans la faculté de délibération qui ne consiste pas à agir sans motifs, mais à agir en fonction de motifs issus d'une délibération.
La thèse de Schopenhauer suppose donc que la liberté véritable réside dans le bon usage de la faculté de délibération (et non dans sa seule existence). Le libre arbitre implique la possibilité de choisir, au moment de la délibération entre le bien et le mal, le vrai ou le faux, mais non de choisir indifféremment, au moment de l'action, l'un ou l'autre, la liberté véritable n'étant pas, comme l'a montré Descartes, la liberté d'indifférence.
Comme le dit Pascal : "Toute notre dignité consiste (donc) en la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser, voilà le principe de la morale".
Tel est l'aspect classique (traditionnel) de la thèse de Schopenhauer sur le libre-arbitre. Cependant, le concept de "libre-arbitre" tel que le développe Schopenhauer a des implications moins traditionnelles : la première est que notre entendement ne nous permet pas toujours de connaître l'ensemble de nos motivations, si bien que nous n'agissons pas toujours pour les raisons pour lesquelles nous croyons agir, et dans ce cas on parlera plutôt de "mobiles" que de raisons ou de motifs, ce que retiendra Freud.
Note : En fait, chez Schopenhauer, le "libre arbitre" est largement illusoire. L'homme se détermine en fonction d'une "essence" immuable : son "caractère", qui commande à sa faculté de délibération car si l'homme est libre d'être ce qu'il est, il serait absurde de prétendre qu'il est également libre de ne pas être ce qu'il est ou d'être ce qu'il n'est pas.
La deuxième problème découle lui aussi la question de la motivation : il se pourrait que nos choix ne soient pas aussi "nobles" et aussi "désintéressés" que nous voudrions le croire et le faire croire. Selon Nietzsche, lecteur et disciple (à ses débuts) de Schopenhauer, la délibération issue du "libre-arbitre" et les "choix" que nous faisons demeurent toujours in fine au service de la "volonté de puissance".