Pierre Lassus : Etre parents au risque de l'Evangile

 "Il prend un petit enfant et le met au milieu d'eux, il le serre dans ses bras et leur dit :

Qui accueille un de ces petits enfants en mon nom, c'est moi qu'il accueille. Et qui m'accueille, ce n'est pas moi qu'il accueille, mais celui qui m'a envoyé." (Luc, 9, 37)

" L'enfant dit :

J'ai été conçu de l'amour qui a uni mon père et ma mère.

Elle et lui étaient nés d'une femme et d'un homme qui s'aimaient.

Ceux-ci, comme leurs pères et mères, et comme les parents de ces pères et de ces mères, étaient nés d'une union amoureuse sans honte.

Génération après génération, tous se sont donné l'amour qu'ils avaient reçu de leurs parents et ils l'ont transmis à leurs enfants.

Ce fut ainsi depuis le début du monde.

Je vois cette chaîne d'amour qui unit ces ancêtres. Comment n'aurais-je pas le vertige devant les hasards innombrables qui l'ont formée depuis la nuit des temps ?

Aujourd'hui, je quitte mon père et ma mère, empli de leur amour, et je marche vers toi.

Mon coeur est sans tache.

Un enfant attend notre rencontre pour naître."

" La capacité d'exercer convenablement une fonction parentale implique que les parents sachent ce qu'ils transmettent, c'est-à-dire qu'ils connaissent ce qu'ils ont eux-même reçu. Ils se doivent, ils doivent à leurs enfants d'avoir fait l'inventaire, d'avoir extrait et mis à l'écart, autant qu'il est possible, ce qui pourrait être toxique et aliénant. Bref, ils doivent être revenus sur leur propre enfance pour s'assurer que ce qu'ils ont dû accepter en héritage était propre à leur permettre de devenir des adultes suffisamment autonomes et compétents pour devenir parents à leur tour. "Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux." (Matthieu, 18,3)

C'est ce travail qu'Adam et Eve n'ont pas pu accomplir, faute d'avoir été des enfants. Ils ont reçu de Dieu un héritage manifestement morbide et dont ils ne pouvaient user que sous conditions. Leurs descendants pas plus qu'eux-mêmes, n'ont pu procéder à un inventaire, ils se sont transmis l'héritage, tout d'une pièce confondu, et ils ont, péniblement, porté le fardeau. Les temps sont peut-être venus, si nous voulons apaiser ce monde, de faire de la parentalité une donation d'amour. Nous y avons déjà été conviés." (Etre parents au risque de l'Evangile, pages 202-203)

" Nous vivons, aujourd'hui encore, sur un modèle archaïque de la parentalité, davantage fondé sur la protection des géniteurs que sur celle de l'enfant. La maltraitance, beaucoup moins exceptionnelle qu'on veut bien l'avouer, est le produit de ce système qui se perpétue de génération en génération. Ce constat établi, Pierre Lassus, psychothérapeute et responsable d'une association de protection de l'enfance en danger, revisite certains récits de la Bible particulièrement déconcertants du point de vue d'une éthique de la parentalité : tout se passe comme si la relation "parents-enfants" était vouée à l'échec depuis l'origine des temps.

Or, les premiers "parents", Adam et Eve, n'avaient jamais été enfants... Pierre Lassus nous invite à envisager l'histoire d'un Dieu "Père" de l'humanité qui, prenant peut-être conscience de cette "erreur" originelle, décide de s'incarner lui-même en un enfant qui connaîtra une relation d'amour équilibrée avec ses parents. L'Evangile ne nous indique-t-il pas ainsi que le lien parental dépend essentiellement de l'enfance vécue ? La vie et l'enseignement de Jésus fournissent, en outre, un socle éthique de référence qui appelle chaque aduilte à protéger l'enfant, à le pourvoir en tout ce qui est nécessaire à sa construction, et à lui permettre de devenir ce qu'il est.

A l'écoute de ces trois principes - compatibles avec la psychologie la plus contemporaine -, nous pourrions enfin rompre avec une pathologie ancestrale de la parentalité, et donc avec la reproduction incessante d'un monde de violence. "

Pierre Lassus : Etre parents au risque de l'Evangile, pour en finir avec les sacrifices d'enfants, Albin Michel (coll. Spiritualités)