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Vassili Grossman, La Dernière Lettre
Vassili Grossman, La Dernière Lettre

Vassili Grossman, La Dernière Lettre, suivi des Carnets d'Ikonnikov et de Un témoignage sur le destin de Vassili Grossman, par Sémion Lipkine, traduit du russe par Alexis Berelowitch et Anne Coldefy-Faucard, Petite Bibliothèque slave, Editions l'Âge d'Homme, 2002.

La Dernière Lettre et les Carnets d'Ikonnikov qui l'accompagnent sont extraits de Vie et Destin, chef-d'oeuvre révélé pour la première fois, en russe et en français par L'Âge d'Homme en 1980. Vingt ans plus tard paraît chez le même éditeur Pour une juste cause, le grand roman de guerre qui annonce et introduit Vie et Destin.

Du même auteur à l'Âge d'Homme : Tout passe, La route, La paix soit avec vous. Sur Vassili Grossman : Le Destin de Vassili Grossmann de Sémion Lipkine (d'où est tiré le témoignage reproduit dans ce livre) : Le cas Grosmann de Simon Markish.

Vassili Grossman est un écrivain russe né à Berditchev le 12 décembre1905 et mort à Moscou le 15 décembre 1964. Sa famille est d'origine juive assimilée, non croyante et ne parlant pas yiddish. Il étudie à Kiev, puis à Moscou où il écrit ses premiers textes et obtient son diplôme d'ingénieur chimiste en 1929. Il s'installe alors dans la région du Donbass avec sa femme, qu'il a épousée en 1928. Puis il revient à Moscou et divorce en 1932. Il abandonne son travail d'ingénieur pour se consacrer à l'écriture avec les encouragements de Gorki. Il passe au travers des purges massives de 1937, contrairement à certains de ses proches amis. Lorsque la guerre éclate en URSS en 1941, il se porte volontaire pour le front, devient journaliste dans l'Armée rouge et participe aux principales confrontations avec l'armée allemande. Il est bouleversé par les massacres massifs de civils juifs, en particulier en Ukraine, et réunit des éléments qui donneront naissance au "Livre noir". Il participe activement à la bataille de Stalingrad, et ses récits du front en font un héros soviétique. Il suit l'Armée rouge dans son offensive vers l'Allemagne. Il est ainsi le premier témoin  à écrire sur les camps d'extermination nazis en entrant à Treblinka en juillet 1944. Son récit "L'enfer de Treblinka" a servi de témoignage lors du procès de Nuremberg. Il est aussi le premier journaliste à entrer dans Berlin en 1945. Il apprend que sa mère, restée en Ukraine, a été assassinée à Berditchev avec plusieurs milliers de Juifs soviétiques. Après la guerre, il prend ses distances avec le régime. Il écrit des romans très critiques sur Staline et sur le sort réservé aux minorités, écrits qui sont dénigrés par la presse officielle. Il est aussi profondément marqué par le complot des blouses blanches qui est pour lui la démonstration du parallèle entre les régimes nazis et soviétiques qui finalement se retrouvent dans l'antisémitisme. Avec la mort de Staline, les choses s’améliorent pour Vassili Grossman. En 1954, Pour une juste cause est réédité en livre, alors qu’il continue de travailler sur Vie et Destin qu’il achève en 1960. Mais la publication de ce livre se solde par la saisie immédiate des copies par le KGB. Il sera cependant diffusé, en Occident. (source : babelio)

"Comme tous les grands romans, Vie et Destin est un monde aux aspects multiples : le récit de guerre y côtoie une réflexion profonde sur la société russe, la vie des hommes et sa destruction par le totalitarisme. Comme la Légende du Grand Inquisiteur chez Dostoïevski, cette dernière lettre est la clef de voûte, psychologique et morale, d'un grand édifice romanesque et spirituel. A travers le testament d'une mère juive attendant la mort dans son ghetto cerné par Les Allemands, Grosmann livre sa confession, en même temps qu'il dépeint le drame de millions d'Européens se voyant soudain rappeler, au travers de la persécution nazie puis soviétique, leur participation à une tragédie immémoriale.

Mais, comme le rappelle Simon Lipkine dans son témoignage sur son ami Grossmann, l'auteur de Vie et Destin était avant tout un très grand écrivain russe, attaché par tout son être à la Russie. Les Carnets d'Ikonnikov, également reproduits dans ce volume, sont la quintessence de cette autre face d'une culture composite : la résistance, la poésie et la spiritualité du peuple russe.

Ainsi, au travers de la Dernière Lettre et des Carnets, le lecteur occidental pénètre au coeur des contradictions créatrices d'un génie romanesque, qui expliquent également, sous d'autres formes et alliances, le drame et la puissance de la littérature russe.

Début de La Dernière Lettre :

In memoriam Ekaterina Savelievna Grossman...

"Je suis sûre, Vitia, que cette lettre te parviendra, bien que je sois derrière la ligne du front et derrière les barbelés du ghetto juif. Je ne recevrai pas ta réponse car je ne serai plus de ce monde. Je veux que tu saches ce qu'ont été mes derniers jours, il me sera plus facile de quitter la vie à cette idée..."

"Que d'enfants ici, des yeux merveilleux, des cheveux bruns et bouclés, il y a sûrement parmi eux de futurs savants, des professeurs de médecine, des musiciens, des poètes peut-être.

Je les regarde quand ils courent le matin à l'école, ils ont un air sérieux qui n'est pas de leur âge, et leurs yeux tragiques leur mangent le visage. Parfois ils se battent, se disputent, rient, mais cela est encore pire.

on dit que les enfants sont notre avenir, mais que peut-on dire de ces enfants-là ? Ils ne deviendront pas musiciens, cordonniers, tailleurs. Et je me suis représenté très clairement cette nuit comment ce monde bruyant de papas barbus et affairés, de grand-mères grognons, créatrices de gâteaux au miel et de cous d'oie farcis, ce monde aux rituels de mariage compliqués, ce monde des proverbes et des jours de sabbat, je me suis représenté comment ce monde disparaîtrait à jamais sous terre ; après la guerre la vie reprendra et nous ne serons plus là, nous aurons disparu comme ont disparu les Aztèques..." (p. 36-37)

Extrait des Carnets d'Ikonnikov

"Le bien n'est pas dans la nature, il n'est pas non plus dans les prédications des prophètes, les grandes doctrines sociales, l'éthique des philosophes... Mais les simples gens portent en leur cœur l'amour pour tout ce qui est vivant, ils aiment naturellement la vie, ils protègent la vie ; après une journée de travail, ils se réjouissent de la chaleur du foyer et ils ne vont pas sur les places allumer des brasiers et des incendies.

C'est ainsi qu'il existe, à côté ce ce grand bien si féroce, la bonté humaine dans la vie de tous les jours. C'est la bonté d'une vieille, qui, sur le bord de la route, donne un morceau de pain à un bagnard qui passe, c'est la bonté d'un soldat qui tend sa gourde à un ennemi blessé, la bonté de la jeunesse qui a pitié de la vieillesse, la bonté d'un paysan qui cache dans sa grange un vieillard juif. C'est la bonté de ces gardiens de prison qui, risquant leur propre liberté, transmettent des lettres de  détenus adressées aux femmes et aux mères.

Cette bonté privée d'un individu à l'égard d'un autre individu est une bonté sans témoins, une petite bonté sans idéologie. on pourrait la qualifier de bonté sans  pensée. La bonté des hommes hors du bien religieux ou social.

Mais, si nous y réfléchissons, nous voyons que cette bonté privée, occasionnelle, sans idéologie, est éternelle. Elle s'étend sur tout ce qui vit, même sur la souris, même sur la branche cassée que le passant, s'arrêtant un instant, remet dans une bonne position pour qu'elle puisse cicatriser et revivre.

En ces temps terribles où la démence règne au nom de la gloire des Etats, des nations et du bien universel, en ce temps où les hommes ne ressemblent plus à des hommes, où ils ne font que s'agiter comme des branches d'arbre, rouler comme des pierres qui, s'entraînant les unes les autres, comblent les ravins et les fossés, en  ce temps de terreur et de démence, la pauvre bonté sans idée n'a pas disparu." (Les Carnets d'Ikonnikov, p.51-53)

 

 

 

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