Vincent Van Gogh, La nuit étoilée (juin 1889)
... Quand les ombres du soir s'allongent dans la vallée, quand les jardins du jour s'emplissent de mystère et de musique, qu'est-ce donc qui fait ainsi battre le coeur ? C'est la nuit qui lentement s'approche et substitue aux claires différences la confusion divine, c'est la nuit qui passe l'estompe sur les frontières soigneusement dressées par la lumière du jour, et submerge dans son loisir infini les durs dilemmes du savoir.
Les cloisonnements et les compartimentages de la raison diurne fondent dans la ténèbre diffluente, dans la nuit indivise : l'homme découvre un nouveau monde où toutes sortes d'espérances et de facilités magiques s'offrent à sa liberté.
Car ce sommeil nocturne qui peu à peu nous enveloppe n'est pas une torpeur vide, mais un sommeil peuplé de songes merveilleux ; c'est le sommeil d'une conscience noctambule qui découche et se promène sur les toits.
L'enchantement de minuit dédommage de la perte de ses illusions l'homme copernicien désenchanté ; il compense la résignation des individus à exister ici ou là ; il nous refait en somme une chevalerie et une magie. A minuit n'importe quoi déteint sur n'importe quoi, les contradictoires nouent dans l'ombre des pactes occultes, l'armée immense des possibles envahit les chemins de la causalité.
Ce doux naufrage, cet envoûtement qui est l'effet de la nuit, sont nécessaires à notre existence ; oui, nous avons besoin de cette parenthèse enchantée ; nous avons besoin d'un ciel clandestin et d'une causalité féérique qui échappent aux obligations prosaïques du jour ; nous avons besoin de cette poussière des scintillements et des constellations où s'embrouille l'écheveau des déterminismes, où s'enchevêtrent les fils de la causalité.
Car le lever du jour est lié au désenchantement : le rossignol, complice des amants, qui fait ses trilles dans le jardin nocturne des Capulet, se tait pour laisser chanter l'alouette laborieuse, annonciatrice des travaux et des jours..."
(Vladimir Jankélévitch, Quelque part dans l'inachevé, dialogues avec Béatrice Berlowitz, chap. XXIII, p. 201-202, "Ce que chuchote le vent de la nuit")
George de la Tour, La Madeleine à la veilleuse (1640-1645)
"Tout ce qui finit et commence, la naissance qui est mort, la tiédeur des matins et le mystère des nuits, et plus encore les îles d'ombres des sous-bois appartiennent au royaume de la musique. Mais le crépuscule surtout reste pour l'expérience musicale un moment privilégié, parce qu'il traduit le régime ambigu de la raison déclinante et de l'intuition en instance.
La musique est de préférence une musique du soir, elle naît là où les formes deviennent vagues, où les mots se font murmures, où "les parfums, les couleurs et les sons se répondent"...Berceuses, nocturnes, barcarolles nous entraînent vers le grand océan de la nuit ; et nous consentons à leur entraînement ; l'expérience musicale naît et meurt à l'instant où la berceuse tournoyante est sur le point de se perdre dans la nuit. L'homme cède au "langoureux vertige". Après la "toile d'araignée du crépuscule", comme il est dit dans Gaspard de la nuit, l'obscurité se développe dans l'espace devenu musique. Car c'est toute la musique, même la plus lumineuse et la plus ensoleillée, qui est nocturne en sa profondeur..."
(Vladimir Jankélévitch, Quelque part dans l'inachevé, entretiens avec Béatrice Berlowitz, chapitre XXIV, "L'espace devenu musique", p. 208)
Les Nocturnes sont 21 courtes pièces pour piano seul composées par Frédéric Chopin entre 1827 et 1846. Elles tiennent une place importante dans le répertoire de concert contemporain. Bien que Chopin n'ait pas inventé le Nocturne, il a popularisé le genre et l'a répandu, à partir de la forme développée par le compositeur irlandais John Field.
Avec les Barcarolles, les Nocturnes sont généralement considérées comme les meilleures œuvres pour piano de Gabriel Fauré. Les Nocturnes de Fauré suivent le modèle de ceux de Chopin, avec des sections extérieures sereines contrastant avec des épisodes centraux plus turbulents.