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Arthur Schopenhauer, L'Art d'avoir toujours raison, La dialectique éristique (titre original : Eristische Dialektik), texte intégral, traduit de l'allemand par Dominique Miermont, posface de Didier Raymond, illustrations d'Aurélia Grandin, Editions Mille et Une Nuits (Arthème Fayard), 1998-2000.

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Arthur Schopenhauer  est un philosophe allemand, né le 22 février 1788 à Dantzig en Prusse, mort le 21 septembre 1860 à Francfort-sur-le-Main.

"La dialectique éristique est l'art de disputer, et ce de telle sorte que l'on ait toujours raison, donc per fas et nefas (c'est-à-dire par tous les moyens possibles).

On peut en effet avoir objectivement raison quant au débat lui-même tout en ayant tort aux yeux des personnes présentes, et parfois même à ses propres yeux. En effet, quand mon adversaire réfute ma preuve et que cela équivaut à réfuter mon affirmation elle-même, qui peut cependant être étayée par d'autres preuves - auquel cas, bien entendu, le rapport est inversé en ce qui concerne mon adversaire : il a raison bien qu'il ait objectivement tort.

Donc, la vérité objective d'une proposition et la validité de celle-ci au plan de l'approbation des opposants et des auditeurs sont deux choses bien distinctes. C'est à cette dernière que se rapporte la dialectique. 

D'où cela vient-il ? De la médiocrité naturelle de l'espèce humaine. Si ce n'était pas le cas, si nous étions foncièrement honnêtes, nous ne chercherions, dans tout débat, qu'à faire surgir la vérité, sans nous soucier de savoir si elle est conforme à l'opinion que nous avions d'abord défendue ou à celle de l'adversaire : ce qui n'aurait pas d'importance ou serait du moins tout à fait secondaire (...)

La dialectique ne doit accepter comme finalité dans sa définition que l'art d'avoir toujours raison et non la vérité objective. Bien que j'aie fait des recherches poussées, je n'ai pas connaissance que l'on ait fait quoi que ce soit dans ce sens : il s'agit donc d'un terrain encore vierge. Pour parvenir à nos fins, il faudrait puiser dans l'expérience, observer comment, lors des débats que suscitent souvent les rapports des hommes entre eux, tel ou tel stratagème est utilisé par l'une ou l'autre partie, puis ramener ces tours d'adresse, réapparaissant sous d'autres formes, à un principe général, et établir ainsi certains stratagèmes généraux qui seraient ensuite utiles, tant pour son propre usage que pour les réduire à néant quand l'autre s'en sert.

Ce qui suit doit être considéré comme un premier essai...

"Les 38 stratagèmes présentés dans ce livre, explique Didier Raymond dans la postface, forment une topique, au sens classique, c'est-à-dire un ensemble de lieux spécifiques, de lieux communs indiquant chacun une situation propre de ce mode de conflit qu'est la controverse. La liste eût assurément pu être plus longue.

Outre les situations réelles dans lesquelles il sera impliqué, le lecteur peut sans doute la compléter en consultant les textes de la rhétorique ou de la sophistique antiques, mais aussi certains auteurs du XVIIème siècle, tel Baltasar Gracian (L'Homme de cour, en particulier).

L'influence de cet auteur sur Schopenhauer nous semble décisive dans ce traité. Il traduisit du reste, en allemand son oeuvre majeure, Le Criticon. Le pessimisme métaphysique de l'un est nourri par la vision implacable du jésuite espagnol. Chez tous deux, il s'agit essentiellement de trouver la plus grande acuité du mot, l'exactitude du vocable qui peut à tout moment transformer à notre avantage une posture devenant fâcheuse.

Les mots et les arguments sont aussi des poignards dont la pointe peut tuer, du moins par le ridicule ou la mise en lumière d'une sottise sans limites.

Aux yeux de Schopenhauer, ces duels verbaux sont dépourvus de toute loyauté et de toute noblesse, puisqu'il va jusqu'à nous inciter à recourir à l'injure à l'égard de l'interlocuteur lorsque celui-ci risque d'imposer ses arguments. Il est vrai que l'optique du philosophe est aussi éloignée que possible de tout humanisme : la seule réalité qui vaille est notre propre victoire. Même s'il sait mieux que quiconque que le vrai maître du jeu reste finalement le langage et ses ressources infinies."

Mais il est une autre façon de lire ce livre : comme une dénonciation ironique et grinçante de la sophistique, dénonciation qui prend du coup une actualité frappante comme si Schopenhauer avait pressenti la société du spectacle et son cirque  politique et télévisuel.

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