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Richard Millet, Lauve le pur
Richard Millet, Lauve le pur

Richard Millet, Lauve le pur, édition revue par l'auteur, Gallimard/folio, P.O.L. éditeur, 2000

Richard Millet est né à Viam, en Corrèze en 1953. Il vit et travaille à Paris. Son ouvrage Le sentiment de la langue a obtenu le prix de l'essai de l'Académie française en 1994.

"Richard Millet, Lauve le pur, "Il est professeur dans une banlieue difficile de Paris. Mais ses racines plongent dans le Limousin, au cœur de la province française. Dans ses classes, les élèves sont durs, violents. Peut-être d'autant plus qu'il est, lui, resté un enfant, l'enfant soumis d'un père tyrannique, l'enfant abandonné d'une mère trop tôt enfuie et qu'il recherche dans chaque femme. Lauve, Lauve le pur, est à jamais du côté de ceux qui ont tout perdu, qui ont toujours tort, ni là ni ailleurs : intellectuel pour les paysans, provincial chez les Parisiens, faible parmi les forts, innocent avec les innocents." (source : babelio)

Citation :

"il s'était tu. On voyait bien qu'il avait honte, ce jeune Lauve, alors qu'il y avait en lui quelque chose d'innocent, voire d'enfantin, qui faisait non pas qu'on avait pitié ou qu'on le plaignait, mais qu'on ne lui en voulait pas, qu'on lui pardonnait même, de nous parler de ces choses-là, à nous, les femmes de Siom. Ce n'était d'ailleurs pas ce qu'il disait de ses entrailles qui pouvait nous choquer (nous en avions vu d'autres ; nous avions toujours vécu entourées d'odeurs puissantes, celles de nos bêtes, celles d'hommes qui ne se lavaient  que le dimanche et de parents impotents, d'enfants, de défunts dont il fallait faire la toilette - et laver les draps dont l'odeur nous avait tôt fait comprendre ce que c'est que l'odeur de la vie) ; c'était qu'il parlait comme seules le font les femmes, entre elles, au crépuscule ou dans la profondeur des chambres. Et c'était vrai : jamais nous n'avions entendu un homme parler comme ça, surtout pas nos époux, fût-ce dans l'alcôve ou, avant eux, quand ce n'étaient pas les mêmes, nos premiers amoureux, dans le secret des bois où nous les retrouvions, ni même les voix des enfants morts qui se plaignent dans les grands vents d'automne et d'hiver, non, jamais homme ne s'était livré de la sorte, pas même, songions-nous encore, ceux qui avaient murmuré, hurlé, psalmodié, le nom de leur mère dans les orages de Verdun ou qui en étaient revenus, de la guerre, et qui auraient été en droit de se plaindre mais préféraient garder le silence - à supposer que ce fût une question de préférence, et non une nécessité, n'est-ce pas, comme s'ils avaient compris qu'il fallait se taire pour continuer à vivre quand on était revenu de là-bas, c'est-à-dire de tout, qu'il leur fallait enterrer leur jeunesse, leurs illusions, leur espoir dans le silence de leurs pères, et des pères de leurs pères, et de l'immémorial lignée des taiseux qui prendraient fin non seulement avec nous mais avec des innocents, des fadars, des incompris comme Jean Pythre, René Nifle, Amélie Piale, Céline Soudeils, et lui aussi, Thomas Lauve, et tous ceux dont l'enfance n'était jamais passée. Un silence qui aura été notre vraie noblesse, en fin de compte, notre linge le plus propre ; tandis que lui, le fils Lauve, il faisait tout le contraire, depuis la veille, lui qui avait passé ses plus jeunes années à demeurer plus muet qu'une bûche et qui, lorsqu'il ouvrait la bouche, ne donnait pas l'impression de parler, en tout cas pas comme il le faisait maintenant devant nous, murmurant comme s'il était très vieux, les yeux ouverts comme s'il voyait mieux en lui-même que ce qu'il avait devant lui." (p.98-99)

Mon avis sur le livre : 

L'auteur de cet admirable roman a eu affaire à l'ordre moral de la gauche bien-pensante, en la personne d'une virago du milieu de l'édition qui s'est trouvée des complices et a fini par avoir sa peau.  Ces gens totalement dénués de vraie compassion (ou dans la compassion est à géométrie variable et idéologique), contrairement à l'auteur qui sait de quoi il parle, si je m'en réfère à mon expérience, se moquent bien de ce que vivent les professeurs dans les collèges publics, à l'instar de Lauve, héros sans feu ni lieu, digne de figurer dans la galerie de "ceux qui ne sont rien", aux côtés du Sagouin et de Chantal de Clergerie. La littérature ne se substitue pas à la religion dans sa fonction consolatrice, elle ne promet rien aux innocents humiliésmais Lauve le pur prouve qu'elle a ce pouvoir de toucher les cœurs en leur prêtant la parole. 

 

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