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Hannah Arendt, La philosophie de l'existence et autres essais (Essais in Understanding 1930-1954), introduction de Jérôme Kohn, PBP classiques, 2000 et 2015 pour l'édition de Poche

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Franz Kafka est né en 1883 au sein d'une famille juive à Prague, alors sous la domination austro-hongroise. Son père était un commerçant bourgeois autoritaire qui lui inculque une éducation stricte. Il part faire ses études en Allemagne, où il se passionne pour la littérature. Il rédige, entre autres, le Procès, la Métamorphose (1915), , puis Lettre au père (1919). Atteint par la tuberculose, Kafka se sent vulnérable dans un monde qu'il trouve complexe et dangereux. Il cherche dans ses oeuvres un moyen d'échapper à la domination et la dépendance des autres. Il se décharge ainsi de ses angoisses profondes et représente souvent la cruauté du monde. Sa vie amoureuse se résume à un doute perpétuel et à des engagements jamais tenus. Il finit ses jours peu connu du public. Ses oeuvres seront publiées à titre posthume et découvertes seulement au lendemain de la Seconde guerre mondiale, grâce notamment à Alexandre Vialatte. (source : théâtre du carré rond)

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"Le monde de Kafka est sans aucun doute un monde effroyable. Nous savons mieux aujourd'hui qu'il y a vingt ans que c'est plus qu'un monde cauchemardesque, qu'il correspond, dans sa structure, d'une façon inquiétante, à la réalité dans laquelle nous avons été obligés de vivre. Ce que l'art de Kafka a de grandiose, c'est qu'aujourd'hui il nous ébranle tout autant qu'avant, que la terreur de La Colonie pénitentiaire n'a rien perdu de son immédiateté avec la réalité des chambres à gaz.

Si la poésie de Kafka n'était rien d'autre que la prophétie d'une terreur à venir, elle aurait tout aussi peu de valeur que les autres prophéties de naufrage qui nous ont envahis depuis le début du siècle, voire depuis les trente dernières années du XIXème siècle. Charles Péguy, qui a connu souvent le douteux privilège d'être considéré comme un prophète, a remarqué un jour : "Le déterminisme (dans la mesure où il est pensable) serait la loi de l'immense déchet." Cette remarque contient une vérité très précise. La voie naturelle est toujours celle du déclin, et une société qui suit aveuglément la nécessité des lois instaurées par elle-même ne peut que décliner. Les prophètes sont toujours, nécessairement des prophètes du malheur, dans la mesure où l'on peut toujours prédire la catastrophe. Le miracle est toujours le salut, pas le déclin, car seul le salut dépend de la liberté de l'homme et de sa capacité de changer le monde et son cours naturel. La folie répandue à notre époque, comme à celle de Kafka, disant que les hommes ont pour tâche de se soumettre aux puissances, et quelles qu'elles soient, ne peut qu'accélérer ce déclin naturel, puisque dans une telle folie l'homme apporte en toute liberté son concours à la nature et à sa tendance à sombrer. Les paroles de l'aumônier du Procès révèlent la théologie secrète et la foi intime des fonctionnaires comme étant foi en la nécessité en tant que telle, si bien que les fonctionnaires sont finalement ceux de la nécessité, comme s'il fallait des fonctionnaires pour faire fonctionner le déclin et le pourrissement. Comme fonctionnaire de la nécessité, l'homme devient le fonctionnaire superfétatoire de la loi naturelle de la disparition. Et dans la mesure où il est supérieur à la nature, il s'abaisse au rang d'instrument d'une destruction active. Car, aussi sûrement qu'une maison tombera en ruine dès que l'homme la quittera et l'abandonnera à son destin naturel, aussi sûrement que le monde construit par l'homme et fonctionnant selon ses lois, redeviendra une partie de la nature et reprendra le chemin de la catastrophe dès lors que l'homme décide de redevenir une partie de la nature - c'est là un instrument aveugle des lois de la nature, mais qui opère avec précision.

Walter Benjamin (Walter Bendix Schönflies Benjamin ( à Berlin - à Portbou) est un philosophe, historien de l'art, critique littéraire, critique d'art et traducteur (notamment de Balzac, Baudelaire et Proust) allemand de la première moitié du XXe siècle, rattaché à l'école de Francfort.

Klee, Paul : Pauvre ange

Paul Klee, Pauvre ange

Il importe peu, dans ce contexte, de savoir si l'homme possédé par la folie de la nécessité croit en ce déclin ou au progrès. Si le progrès était réellement "nécessaire", s'il était vraiment une loi surhumaine inévitable qui envelopperait uniformément toutes les époques de notre histoire, et qui aurait attrapé dans ses rets l'humanité sans qu'elle puisse s'en échapper, on ne saurait mieux décrire la puissance et la marche du progrès que ne le fait Walter Benjamin dans ses Thèses d'histoire de la philosophie : l'ange de l'histoire... a le visage tourné vers le passé. Où se présente à nous une chaîne d'événements, il ne voit qu'une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d'amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s'attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s'est prise dans ses ailes, si forte que l'ange ne peut plus les refermer. cette tempête le pousse incessamment vers l'avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu'au ciel devant lui s'accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès."

(Hannah Arendt, La philosophie de l'existence, "Franz Kafka", PBP, p. 129-131)
 

 

 

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