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Jacques Leenhardt, Lecture du Motif dans le tapis d'Henry James : "La raison et l'émotion"
Tapis persan Hermès, Lampe phénoménale

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Jacques Leenhardt, Lecture du Motif dans le tapis d'Henry James : "La raison et l'émotion"

"L'oeuvre est devenue visible de par l'absence et l'obscurité du divin." (Maurice Blanchot)

"Deus absconditus" : Dès lors que les garants des discours de vérité ont vu leur étoile pâlir dans la culture occidentale ou, comme le disait Nietzsche, dès lors que Dieu est mort comme image rectrice de toute conception du monde, on constate que les discours véridictionnels s'estompent à leur tour et que la culture entreprend de s'attacher à l'interrogation sur le sens de sa quête. Une double interrogation de nature métaphysique, se pose alors : existe-t-il encore une vérité que l'on puisse connaître, ou bien toute vérité est-elle par principe enfoui dans le sein d'un dieu désormais caché, l'homme étant condamné à une errance aveugle ?

Si l'homme s'accorde une possibilité de savoir, deux voies épistémologiques s'ouvrent à lui. La première concerne le savoir réglé par la raison. Descartes en a posé les principes en insistant sur l'importance que revêt la manière de gouverner sa raison. Le savoir sera donc accessible à la condition que l'esprit procède méthodiquement dans sa quête. C'est ce qu'on appellera le studium.

Il existe cependant un autre mode de savoir, relevant non pas de la raison, mais de l'affectivité. L'existence même d'un tel champ de savoir a toujours posé des problèmes délicats à la philosophie puisque son instrument, la raison, s'en trouverait sinon remis en question, du moins relativisé. Un tel "savoir" serait en quelque sorte préalable à l'exercice de la raison plutôt qu'il ne s'y substituerait. cette antériorité constituerait une priorité, au sens où la raison ne devrait jamais oublier ce sur quoi elle a vocation à se fonder. L'oubli de cette priorité serait donc un risque grave pour la raison. Lorsque Rousseau écrit "je sentis avant de penser", il fait sans doute allusion à cette priorité, maintenant toutefois l'antécédence chronologique et logique de la sensation dans un équilibre indécidable. Roland Barthes lui fait écho lorsque, tentant d'élaborer les conditions d'un savoir sur la photographie, il se demande si, dans l'ordre de phénomènes considéré (photographie, roman, peinture, etc., bref dans l'ordre des objets culturels), "il n'y aurait pas une science nouvelle par objet ?" Une mathesis singularis (et non universalis)

Tout savoir, dans ce deuxième cas, se construirait à partir d'un goût, d'une émotion, de ce que Barthes appelait punctum. Cette manière, iconoclaste, avouons-le, dans le champ de la science, mais nous sommes ici dans les "sciences" dites humaines, veut ne pas oublier que tout savoir doit garder mémoire du fait qu'il est savoir de l'homme et pour l'homme.

Cette digression dans le domaine de la théorie des sciences humaines nous ouvre une perspective pour comprendre l'échec du narrateur du Motif dans le tapis de Henry James. Comme le préfet de police de La Lettre volée d'Edgar A. Poe, celui-ci s'est fait une idée erronée de ce que doit être la quête d'un lecteur, fût-il critique professionnel, dans le domaine de la littérature. Si Corvick a "compris" le texte, si sa vie en a été transformée parce qu'il l'avait compris, c'est qu'il est parti de la bonne prémisse : le punctum, l'effet que lui a produit le texte. A partir de là peut sans doute se développer un discours plus savant. Pourquoi et comment sa sensibilité a--t-elle été touchée, cela pourra devenir l'objet d'un exposé critique et savant. Mais si vient à manquer l'impulsion première, alors la littérature demeure lettre morte."

(Henri James, Le motif dans le tapis (The figure in the Carpet), récit traduit de l'anglais par Elodie Vialleton, Actes Sud (Babel), 1997, Lecture par Jacques Leenhardt, extrait)

 

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