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"Ainsi, l'image artificielle, dans le cerveau occidental, serait passé par trois modes d'existence différents : la présence ("le saint en effigie") ; la représentation ; la simulation (au sens scientifique du terme). La figure perçue exerçant sa fonction d'intermédiaire avec trois englobants successifs : le surnaturel, la nature, le virtuel. Suggérant trois postures affectives ; l'Idole appelle la crainte ; l'Art, l'amour ; le visuel, l'intérêt. La première est subordonnée à l'archétype ; le second ordonné par du prototype ; le troisième ordonne ses propres stéréotypes. On ne décline pas là les attributs métaphysiques ou psychologiques d'un œil éternel. Mais des univers intellectuels et sociaux. Chaque âge de l'image correspond à une structuration qualitative du monde vécu. Dis-moi ce que tu vois, je te dirai pourquoi tu vis et comment tu penses.

Indice, icône, symbole

Conceptuellement, la succession des "ères" recoupe en partie la classification établie par le logicien américain Peirce entre l'indice, l'icône et le symbole dans leur rapport avec l'objet. Rappelons brièvement, et en les simplifiant à l'extrême, ces trois manières de faire signe à ses semblables. L'indice est un fragment de l'objet ou en contiguïté avec lui, partie du tout ou prise sur le tout. Une relique en ce sens est un indice : le fémur du saint dans une chasse est le saint. Ou l'empreinte de pas sur le sable, ou la fumée du feu au loin. L'icône, au contraire, ressemble à la chose, sans en être. Elle n'est pas arbitraire, mais motivée par une identité de proportion ou de forme. On reconnaît le saint à travers son portrait mais ce portrait s'ajoute au monde de la sainteté, il n'était pas donné avec lui. C'est une œuvre. Le symbole, lui, n'a pas plus de rapport analogique avec la chose mais simplement conventionnel : arbitraire par rapport à elle, il se déchiffre à l'aide d'un code. Ainsi le mot "bleu" par rapport à la couleur bleue.

Ces distinctions contemporaines, fort utiles à notre propos, n'ont que le tort d'interférer avec un registre plus ancien et mieux accrédité. L'icône orthodoxe par exemple est "indicielle" de par ses propriétés miraculeuses ou thaumaturgiques (les "fols en Christ" en Russie suspendaient des icônes à leur cou comme des amulettes). Le primat de la statuaire sur la peinture chez les Anciens exprime cette proximité à l'indice, disons à la physique des corps. Le volume, le modelé, les trois dimensions - c'était moulage et ombre brute. A l'autre extrême, l'effacement de la statuaire dans la sculpture moderne attesterait une volonté de s'affilier à l'ordre pur, plus abstrait, du symbolique.

L'image-indice fascine. Elle en appelle presque au toucher. Elle a une valeur magique. L'image-icône n'inspire que du plaisir. Elle a une valeur artistique. L'image-symbole requiert une mise à distance. Elle a une valeur sociologique, comme signe de statut ou marqueur d'appartenance. La première sidère ; la seconde se considère ; la troisième seule est considérable car considérée en et pour elle-même."

(Régis Debray, Vie et mort de l'image, p.229-231)

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