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 " Quinze ans et demi. Le corps mince, presque chétif, des seins d'enfant encore, fardée en rose pâle et en rouge. Et puis cette tenue qui pourrait faire qu'on en rie et dont personne ne rit. Je vois bien que tout est là. Tout est là et rien n'est encore joué, je le vois dans les yeux, tout est déjà dans les yeux. Je veux écrire. Déjà je l'ai dit à ma mère : ce que je veux c'est ça, écrire. Pas de réponse la première fois. Et puis elle demande : écrire quoi ? Je dis des livres, des romans. Elle dit durement : après l'agrégation (1) de mathématiques tu écriras si tu veux, ça ne me regardera plus. Elle est contre, ce n'est pas méritant, ce n'est pas du travail, c'est une blague - elle me dira plus tard : une idée d'enfant.

La petite au chapeau de feutre est dans la lumière limoneuse (2) du fleuve, seule sur le pont du bac, accoudée au bastingage. Le chapeau d'homme colore de rose toute la scène. C'est la seule couleur. Dans le brumeux du fleuve, le soleil de la chaleur, les rives se sont effacées, le fleuve paraît rejoindre l'horizon. Le fleuve coule sourdement, il ne fait aucun bruit. Le sang dans le corps. Pas de vent au-dehors de l'eau. Le moteur du bac, le seul bruit de la scène, celui d'un vieux moteur déglingué aux bielles (3) coulées. De temps en temps, par rafales légères, des bruits de voix. Et puis les aboiements des chiens, ils viennent de partout, de derrière la brume, de tous les villages. La petite connaît le passeur depuis qu'elle est enfant. Le passeur lui sourit et lui demande des nouvelles de Madame la Directrice. Il dit qu'il la voit passer souvent de nuit, qu'elle va souvent à la concession (4) du Cambodge. La mère va bien, dit la petite. Autour du bac, le fleuve, il est à ras bord, ses eaux en marche traversent les eaux stagnantes des rizières, elles ne se mélangent pas. Il a ramassé tout ce qu'il a rencontré depuis Tonlésap, la forêt cambodgienne. Il emmène tout ce qui vient, des paillotes, des forêts, des incendies éteints, des oiseaux morts, des chiens morts, des tigres, des buffles, noyés, des hommes noyés, des leurres, des îles de jacinthes d'eau agglutinées, tout va vers le Pacifique, rien n'a le temps de couler, tout est emporté par la tempête profonde et vertigineuse du courant intérieur, tout reste en suspens à la surface du fleuve.

Je lui ai répondu que ce que je voulais avant toute chose c'était écrire, rien d'autre que ça, rien. Jalouse elle est. Pas de réponse, un regard bref aussitôt détourné, le petit haussement d'épaules, inoubliable."

Marguerite Duras, l'Amant, éditions de Minuit, 1984

1) Concours au titre d'agrégé, qui donne accès à un poste titulaire de professeur de lycée ou de certaines facultés

2) Qui contient du limon, terre ou fines particules entraînées par les eaux et déposées sur le lit et les rives des fleuves.

3) Pièces mécaniques

4) Territoire appartenant nominalement au pays où il est enclavé, mais géré sur tous les plans par un Etat étranger

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Ce passage se situe dans le premier tiers du roman. La narratrice est l'auteure elle-même, mais le premier et le troisième paragraphes sont écrits à la première personne du singulier (point de vue interne), alors que second est écrit à la troisième personne.

Le texte est principalement écrit au présent de caractérisation ("le corps est mince, presque chétif") ; le présent remplace aussi bien l'imparfait dans la description que le passé simple dans le récit comme présent de narration : "le passeur lui sourit et lui demande").

Le dernier paragraphe est au passé composé qui ancre l'énoncé (de même que le futur "elle me dira" de la ligne 9) dans la situation d'énonciation (le présent de l'écriture). Le passé composé de la ligne 13 ("les rives se sont effacées") marque le mouvement, le passage du temps et la modification du décor, celui de la ligne 23 ("Il a ramassé tout ce qu'il a rencontré depuis le Tonlésap...") a une valeur explicative et causale.

Le passage est caractéristique du style de Marguerite Duras : la nominalisation ("Quinze ans et demi.", "des seins d'enfant encore", "le sang dans le corps", "de temps en temps, par rafales légères, des bruits de voix", "et puis les aboiement des chiens"), la segmentation ("Et puis cette tenue qui pourrait faire qu'on en rit...", Je vois bien que tout est là. Tout est là et rien n'est encore joué...", "il ne fait aucun bruit. Le sang dans le corps."), l'anaphore ("Je vois bien que tout est là.Tout est là", "Le fleuve paraît rejoindre l'horizon. Le fleuve coule sourdement...", "il a ramassé tout"..."il emmène tout"..."tout va vers le Pacifique", tout est emporté"... "tout reste en suspens") et l'inversion ("Jalouse elle est"). La nominalisation et l'emploi du présent apparentent les évocations à des indications de mise en scène et le texte à un synopsis.

Le texte débute par l'autoportrait d'une jeune fille de quinze ans et demi habillée et fardée comme une femme et comporte deux lignes énigmatiques : "Tout est là et rien n'est encore joué, je le vois dans les yeux, tout est déjà dans les yeux."

"J'avais quinze ans le visage de la jouissance et je ne connaissais pas la jouissance." Au journaliste du Nouvel Observateur qui lui demandait des explications, Marguerite Duras répondit : "Oui, je ne la connais pas encore mais je suis prête pour cela. Puisque j'ai déjà le chapeau d'homme couleur de bois-de-rose au large ruban noir, les souliers strassés et le ceinture de cuir qui déforme les robes de ma mère jusqu'à les faire miennes..."

Les deux lignes de l'autoportrait évoquent donc l'effet que la jeune fille produit sur les hommes.

L'autoportrait s'interrompt de façon abrupte ("Je veux écrire") par un dialogue entre la narratrice et sa mère. On remarque l'absence de signes typographiques habituels (doubles points, guillemets, tirets, alinéas) et l'antéposition systématique des verbes de déclaration ("Je dis des livres, des romans"), ce qui place le dialogue sur le même plan que le récit et la description et lui confère une tournure familière, ainsi que l'emploi du style direct : "Déjà j'ai dit à ma mère : ce que je veux c'est ça, écrire." puis du style indirect libre :  "Elle est contre, ce n'est pas du travail, c'est une blague..." puis à nouveau du style direct : "Elle me dira plus tard : une idée d'enfant."

Note sur le discours indirect libre : ("Elle est contre, ce n'est pas méritant, ce n'est pas du travail, c'est une blague...")

Sa particularité est de ne pas utiliser de verbe introducteur (parler ou dire ou demander ou interroger), autrement dit, la proposition subordonnée contenant l'énoncé cité, se retrouve privée de proposition principale : en conséquence, l'énoncé cité devient proposition principale. C'est la transcription des paroles prononcées, écrites ou pensées, mais sans les embrayeurs du discours citant, et avec une modification du temps des verbes (passage au passé le plus souvent). De même, le locuteur n'est pas  identifié de façon explicite. 

Les voix du personnage et celle du narrateur "s'enchevêtrent", de sorte qu'on ne sait jamais parfaitement si c'est le narrateur ou le personnage qui parle (on parle d'ailleurs à ce propos de "superpositions de voix", ou encore, de "polyphonie"). L'emploi du discours indirect libre contribue à la fluidité de l'énoncé.

Le dialogue fait place à une nouvelle scène : l'évocation de la traversée du fleuve, pour reprendre 35 lignes plus loin, au style indirect ("Je lui ai répondu que ce je voulais avant toute chose c'était écrire, rien d'autre que ça, rien.")

Tout se passe comme si l'évocation de la traversée fleuve était un défi à l'interdit maternel, l'interdit d'écrire.

Mais derrière ce "je veux écrire", il faut lire : "je veux vivre, et je veux aimer." car l'acte d'écrire suppose une disposition (le "talent"), mais aussi l'expérience de la vie. Le passage qui suit immédiatement le dialogue entre la mère et la fille représente l'accomplissement par la transgression de l'interdit sur l'autonomie, sur la jouissance et sur l'écriture.

S'accomplir, en l'occurrence, c'est pour la narratrice refuser de jouer le rôle que sa mère lui assigne : devenir professeur agrégée de mathématiques et épouser un occidental et donc vivre une aventure avec un Chinois et, plus tard, raconter cette aventure dans l'Amant.

Le lecteur ne peut manquer d'être troublé par l'ambiguïté du comportement maternel : la contradiction entre le conformisme de la mère concernant son projet d'écrire ("Elle dit durement : après l'agrégation de mathématiques tu écriras si tu veux, ça ne me regardera plus...") et sa tolérance vis-à-vis de sa tenue vestimentaire et de sa manière de se maquiller.

Cette ambiguïté se retrouve dans d'autres passages du roman, par exemple celui où l'on voit la mère et les frères de la narratrice lui reprocher de se prostituer, tout en acceptant les dispendieuses invitations du Chinois. Elle se comprend à la lumière du conflit entre la morale et la lutte pour la survie, l'orgueil et la pauvreté, que l'on trouve déjà dans Un Barrage contre le Pacifique. L'Amant exprime ce qui n'avait pas été dit , les manifestations "enfouies".

La deuxième partie du texte, à partir de la ligne 10 est une longue évocation du passage en bac du Mékong, le dixième fleuve du monde et le quatrième de l'Asie par le débit, réputé pour sa turbulence.

Marguerite Duras a souligné l'importance centrale du passage du fleuve dans une interview au Nouvel Observateur, au moment de la sortie de l'Amant :

"Le texte de l'Amant s'est d'abord appelé "l'image absolue". Il devait courir tout au long d'un album de photographies de mes films et de moi. Cette image, cette photographie absolue non photographiée est entrée dans ce livre.

Elle aurait eu trait à la traversée d'un fleuve sur un bac qui, sans doute, n'existe plus, de même que ce paysage, ce pays aussi, détruits -, que personne d'autre que moi ne connaît, ne peut mourir que de moi, que de ma mort. Mais elle aura été et restera signalée, son existence, sa permanence "rétinienne" auront été posées là, dans ce livre-là."

L'écriture de Marguerite Duras a une dimension photographique et cinématographique. L'auteure, dont on sait qu'elle fut aussi cinéaste (India Song, 1975 - Le Camion, 1977), a recours à l'hypotypose, une figure de style consistant en une description réaliste, animée et frappante de la scène dont on veut donner une représentation imagée et comme vécue à l'instant de son expression.

Elle peut prendre la forme d'une énumération de détails concrets à tel point qu'on peut dire qu'elle franchit les conditions de forme propres à une figure de style. En effet, la figure peut aisément dépasser le cadre de la phrase pour se développer sur plusieurs phrases, comme c'est le cas ici.

La description, on l'a dit, est rédigée à la troisième personne du singulier ("la petite au chapeau de feutre est dans la lumière limoneuse du bac...") et relève donc de l'autofiction. La narratrice emploie le mot "scène" ("Le chapeau d'homme colore toute la scène") qui exprime le caractère cinématographique de la description. La première phrase du second paragraphe : "La petite au chapeau de feutre est dans la lumière limoneuse du fleuve, seule sur le pont du bac, accoudée au bastingage. Le chapeau d'homme colore de rose toute la scène. C'est la seule couleur." s'apparente à une indication de mise en scène.

De "la petite au chapeau de feutre" jusqu'à "couleur", la narratrice évoque la jeune fille, silhouette "chétive", solitaire et  fragile qui se détache sur l'immensité du fleuve "limoneux", son chapeau rose, seule tache de couleur. Cette couleur rose symbolise l'amour et anticipe la rencontre avec l'amant de Cholen.

Elle évoque ensuite des sensations auditives (la bande son au cinéma) : le fleuve qui coule (presque) sans bruit, le bruit du moteur du bac, des bruits de voix, les aboiements des chiens. S'ensuit un dialogue avec le passeur ("depuis la petite connaît le passeur depuis qu'elle est enfant" jusqu'à "La mère va bien, dit la petite.") et à nouveau l'évocation du fleuve (depuis "Autour du bac, le fleuve..." jusqu'à "tout reste en suspens à la surface de la force du fleuve.")

"Le fleuve coule sourdement, il ne fait aucun bruit. Le sang dans le corps..." : La narratrice compare le fleuve qui coule sans bruit au sang qui circule dans les veines ; le Mékong est à la terre ce que le sang est au corps, mais il est ambivalent, comme le sang ; calme et silencieux, il est aussi capable de tout emporter dans cette "tempête profonde et vertigineuse du courant intérieur", qui représente la passion amoureuse.

"Il a ramassé tout ce qu'il a rencontré depuis Tonléap, la forêt cambodgienne. Il emmène tout ce qui vient, des paillotes, des forêts, des incendies éteints, des oiseaux morts, des chiens morts, des tigres, des buffles, noyés, des hommes noyés, des leurres, des îles de jacinthes agglutinées, tout va vers le Pacifique...".

Pour décrire la puissance démesurée du fleuve, la narratrice a recours à l'hyperbole ("des forêts") et à l'accumulation, du latin accumulare (mettre en scène) et cumulus (amoncellement), figure de style qui se traduit par une énumération d'éléments appartenant à une même catégorie de même nature et/ou de même fonction grammaticales, en l'occurrence, ici, des substantifs, et qui crée un effet de profusion.

Le fleuve symbolise la violence de la passion amoureuse et, plus généralement la vie, inextricablement lié à la mort, à la destruction, le destin,  avec ses tragédies et ses catastrophes. Il symbolise aussi la vie intérieure et l'inconscient.

En s'éloignant des "eaux stagnantes" des rizières (le passé, l'enfance, la mère) pour suivre la "tempête profonde et vertigineuse du courant intérieur" (le futur, la passion amoureuse) la narratrice se met en danger.

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Marguerite Duras est le nom de plume de Marguerite Germaine Marie Donnadieu, écrivaine, dramaturge, scénariste et réalisatrice française, née le 4 avril 1914 à Gia Dinh (autre nom de Saïgon), alors en Indochine française, décédée le 3 mars 1996 à Paris.

Son œuvre, qui se distingue par sa diversité et sa modernité, renouvelle le genre romanesque et bouscule les conventions théâtrales et cinématographiques.

En 1950, elle est révélée par un roman d'inspiration autobiographique, Un barrage contre le Pacifique. Associée, dans un premier temps, au mouvement du Nouveau Roman, elle publie ensuite régulièrement des romans qui font connaître une voix particulière avec la déstructuration des phrases, des personnages, de l'action et du temps, et des thèmes comme l'attente, l'amour, la sensualité féminine ou l'alcool : Moderato cantabile (1958), Le Ravissement de Lol V. Stein (1964), Le Vice-Consul (1966), La Maladie de la mort (1982), Yann Andréa Steiner (1992), dédié à son dernier compagnon Yann Andréa, écrivain, qui après sa mort deviendra son exécuteur littéraire, ou encore Écrire (1993).

Elle rencontre un immense succès public avec l'Amant (1984), Prix Goncourt en 1984, autofiction sur son adolescence dans l'Indochine des années trente, qu'elle réécrira en 1991 sous le titre de L'Amant de la Chine du Nord.

l'Amant valut à son auteur le Prix Goncourt la même année et le Prix Ritz-Paris-Hemingway (meilleur roman publié en anglais) en 1986. Vendu à 2 240 000 exemplaires toutes éditions confondues, il fut aussi adapté au cinéma par Jean-Jacques Annaud en 1992.

Le roman relève plutôt de l'autofiction que de l'autobiographie ; on ne peut pas vraiment parler de "pacte autobiographique" au sens que Philippe Lejeune donne à cette expression, en raison du statut problématique du "moi" - pour Marguerite Duras qui a fait sien le constat de Rimbaud : "Je est un autre" ; le je de la narratrice, de l'auteur et du personnage principal ne coïncident pas - et du fait que la narratrice ne s'engage pas à dire "toute la vérité" au lecteur, non pas parce qu'elle veut dissimuler certains faits, mais parce qu'elle pense qu'elle est au-delà du factuel, bien que certains "événements" revêtent une importance particulière par leur fonction structurante, d'ordre symbolique, notamment la traversée du fleuve :

"L'histoire de ma vie n'existe pas. Ca n'existe pas. Il n'y a jamais de centre. Pas de chemin, pas de ligne. Il y a de vastes endroits où l'on fait croire qu'il y avait quelqu'un, ce n'est pas vrai il n'y avait personne. L'histoire d'une toute petite partie de ma jeunesse je l'ai plus ou moins écrite déjà, enfin je veux dire, de quoi l'apercevoir, je parle de celle-ci justement, de celle de la traversée du fleuve. Ce que je fais ici est différent, et pareil. Avant, j'ai parlé des périodes claires, de celles qui étaient éclairées. Ici je parle des périodes cachées de cette même jeunesse, de certains enfouissements que j'aurais opérés sur certains faits, sur certains sentiments, sur certains événements..." (l'Amant, pg. 11)

autobiographie : L'autobiographie est un genre littéraire et artistique que son étymologie grecque définit comme le fait d'écrire (graphein, graphie) sur sa propre vie (auto, soi et bios, vie). Au sens large l'autobiographie se caractérise donc a minima par l'identité de l'auteur, du narrateur et du personnage.

Le mot est assez récent, il n'est fabriqué qu'au début du XIXe siècle (1815 en anglais, 1832 pour l'adjectif et 1842 pour le substantif en français). L'approche actuelle parle dans ce cas plutôt de « genre autobiographique », réservant à « autobiographie » un sens plus étroit qu'a établi Philippe Lejeune dans les années 1970 et qui fait consensus.

Selon Philippe Lejeune, on trouve derrière l’autobiographie un « pacte » conclu entre le lecteur et l’auteur : l’autobiographe prend un engagement de sincérité et, en retour, attend du lecteur qu’il le croie sur parole. C’est le « pacte autobiographique ». L’auteur doit raconter la vérité, se montrant tel qu’il est, quitte à se ridiculiser ou à exposer publiquement ses défauts. Seul le problème de la mémoire peut aller à l’encontre de ce pacte.

Le projet autobiographique se caractérise donc par la présence de trois «je». Celui de l’auteur, du narrateur, et du personnage principal. Dans le cas de l’autobiographie, les trois « je » se confondent, tout en étant séparés par le temps. L’alliance de ces trois « je » fait partie du pacte autobiographique.

Autofiction : néologisme créé en 1977 par Serge Doubrovsky, critique littéraire et romancier, pour désigner son roman Fils.

Le terme est composé du préfixe auto (du grec αυτος : « soi-même ») et de fiction. L’autofiction est un genre littéraire qui se définit par un « pacte oxymoronique » ou contradictoire associant deux types de narrations opposés : c’est un récit fondé, comme l’autobiographie, sur le principe des trois identités (l’auteur est aussi le narrateur et le personnage principal), qui se réclame cependant de la fiction dans ses modalités narratives et dans les allégations péri textuelles (titre, quatrième de couverture…). On l’appelle aussi « roman personnel » dans les programmes officiels. Il s’agit en clair d’un croisement entre un récit réel de la vie de l’auteur et d’un récit fictif explorant une expérience vécue par celui-ci.

Stéphanie Michineau dans sa thèse publiée L'Autofiction dans l'œuvre de Colette propose comme définition : "Une autofiction est un récit où l’écrivain se montre sous son nom propre (l’intention qu’on le reconnaisse est indiscutable) dans un mélange savamment orchestré de fiction et de réalité dans un but autobiographique".

l'Amant est un récit de formation. L'héroïne doit franchir des obstacles et des interdits symbolisés par le fleuve. Tout s'oppose à son amour : sa famille, le père du Chinois de Cholen, la société coloniale qui n'accepte pas les relations entre Asiatiques et Européens.

L'écriture de l'Amant, plus proche de la poésie que de la prose, exprime les incertitudes de la quête de soi et la volonté de diriger seule sa vie et encore autre chose, de plus universel encore : la douleur et la compassion : 

"Le petit frère n'avait rien à crier dans le désert, il n'avait rien à dire, ailleurs ou ici même, rien. Il était sans instruction, il n'était jamais arrivé à s'instruire de quoi que ce soit. Il ne savait pas parler, à peine lire, à peine écrire, parfois on croyait qu'il ne savait même pas souffrir. C'était quelqu'un qui ne comprenait pas et qui avait peur.

Cet amour insensé que je lui porte reste pour moi un insondable mystère. Je ne sais pas pourquoi je l'aimais à ce point-là de vouloir mourir de sa mort. J'étais séparée de lui depuis dix ans quand c'est arrivé et je ne pensais que rarement à lui. Je l'aimais, semblait-il, pour toujours et rien de nouveau ne pouvait arriver à cet amour. J'avais oublié la mort." (p. 101)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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