Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Réponse aux questions :

Le thème du texte est  le mensonge en politique. Selon l'auteure, il est facile et tentant pour les hommes politiques de tromper parce qu'aucune déclaration portant sur des faits ne peut être entièrement à l'abri du doute.

Elle avance les arguments suivants :

a) Le mensonge ne s'est pas introduit par hasard dans la politique.

b) L'indignation morale ne peut pas le faire disparaître.

c) Le mensonge porte sur des réalités contingentes et non sur des réalités nécessaires.

d) Les réalités dans lesquelles nous vivons sont vulnérables.

e) Cette fragilité fait qu'il est facile et tentant de tromper.

f) La tromperie n'entre jamais en conflit avec la raison.

g) Le mensonge est souvent plus plausible, et donc plus tentant, que la réalité.

3. L'auteure ne donne pas d'exemples.

Les "hommes d'action" sont les responsables politiques. Le mot "action" se distingue (sans forcément s'opposer) au mot "réflexion". "Que de choses il faut ignorer pour agir !", disait Paul Valéry.

Certains hommes d'action sont (heureusement) aussi des hommes de réflexion qui réfléchissent avant d'agir, savent s'entourer conseillers compétents, ce qui implique qu'ils ont l'humilité de ne pas se croire infaillibles, ont un code moral qui leur interdit d'obéir à la maxime "qui veut la fin veut les moyens".

D'autres, au contraire, qui ne sont peut-être pas les plus nombreux, mais sont souvent malheureusement les plus influents agissent sans penser aux conséquences de leur action, n'ont pas de conseillers ou ne les écoutent pas, suivent une idée fixe, à une idéologie, obéissent à des convictions personnelles. Jules César, Napoléon Bonaparte (l'ambition personnelle), Adolf Hitler (l'antisémitisme, la pureté de la race) étaient des hommes d'action. De nos jours, on peut qualifier d'hommes d'action des gens comme le président du Brésil Jair Bolsonaro, le président des Etats-Unis, Donald Trump, ou encore le président de la Turquie, Recep Erdogan.

"Le mensonge ne s'est pas introduit dans la politique à la suite d'un accident dû à l'humanité pécheresse" : Hannah Arendt refuse de donner au mensonge en politique une explication théologique.

Selon certains théologiens, le mensonge est lié au péché originel et à la chute de nos premiers ancêtres, Adam et Eve qui ont désobéi à Dieu en mangeant de l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal. Avec la mort, la souffrance de l'enfantement, la domination de l'homme sur la femme et le dur travail, le mensonge est entré dans le monde. Le tentateur, le diable est appelé dans la Torah et dans les Evangiles "le père du mensonge" ("Vous serez comme des dieux"). Hannah Arendt refuse de faire du mensonge une essence métaphysique. Elle se montre ici fidèle à Machiavel et à la tradition humaniste : le mal ne vient pas du diable, mais des hommes et si une part vient du diable (de forces surnaturelles), nous ne pouvons en saisir que les effets humains et faire la part de la responsabilité humaine.

L'indignation morale n'est pas susceptible de faire disparaître le mensonge parce qu'elle intervient après coup (et souvent trop tard) quand le processus déclenché par le mensonge est déjà entamé. On peut dire aussi que l'indignation morale est le fait d'individus isolés, par exemple les lanceurs d'alerte comme Julian Assange, et fragiles par rapport aux puissants intérêts auxquels ils s'attaquent. L'indignation morale relève de l'éthique, parfois du droit, mais, comme l'a remarqué Pascal dans les Pensées, la justice et la vérité sont sans force, alors que le mensonge a la force de son côte.

Note :

Selon Julian Assange, "les populations n'aiment pas la guerre", ce sont les médias (presse écrite, radio, télévision, Internet...) qui, en diffusant la propagande officielle et "en entretenant l'ignorance", sont les principaux responsables des guerres. Selon Noam Chomsky, spécialiste du langage et fondateur de la "linguistique générative", les médias constituent l'instrument d'endoctrinement permanent des régimes totalitaires, mais aussi, de façon plus cachée, des régimes dits "démocratiques".

"Une des choses que j'ai découvertes est que presque chaque guerre qui a débuté au cours des 50 dernières années a été le résultat de mensonges médiatisés. Les médias auraient pu les arrêter s'ils avaient fait assez de recherches au lieu de relayer la propagande du gouvernement. Qu'est-ce-que cela signifie fondamentalement ? Ca veut dire que les populations n'aiment pas les guerres. Les populations doivent être manipulées pour accepter les guerres. Les populations n'acceptent pas aveuglément d'aller en guerre. Donc, si nous avions un bon environnement médiatique, nous aurions un environnement pacifique. L'ennemi n°1 est l'ignorance et je crois que c'est l'ennemi de tout le monde. C'est de ne pas comprendre ce qui se passe réellement. C'est seulement quand vous commencez à comprendre que vous pouvez agir. La question n°1 est l'ignorance. La question n°1 est : "Qui fait la promotion de l'ignorance ?" Ce sont les organisations qui essayent de garder des secrets et ces organisations déforment l'information réelle... C'est vraiment mon opinion que les médias en général sont tellement mauvais que l'on doit se demander si le monde ne serait pas meilleur sans eux." (Julian Assange)

"Contingente" est le contraire de "nécessaire". Une réalité contingente est une réalité qui aurait pu ne pas être". Certains pensent que les événements qui se déroulent dans la vie des nations et des individus sont nécessaires, qu'ils n'auraient pas pu ne pas se produire et tendent vers une fin (Hegel par exemple), d'autres qu'ils sont "contingents", qu'ils auraient pu ne pas se produire ou se produire autrement.

Duns Scott, théologien du Moyen-Âge qu'Hanna Arendt connaissait bien explique que nous avons tendance à croire que les événements historiques sont nécessaires parce que nous nous situons après leur réalisation et non avant. Prenons par exemple l'attaque terroriste sur les tours jumelles à Manhattan (New-York). Les uns prétendent que cette attaque était contingente, qu'elle aurait pu ne pas se produire, mais d'autres prétendent qu'elle s'est produite nécessairement, en vertu d'un enchaînement de causes et d'effets soumis à un strict déterminisme.

Nous disons que les événements historiques sont "contingents" parce que nous ne connaissons pas toutes les causes de ces événements et que nous ne prenons pas en considération la "fatalité" de leur enchaînement.

Cependant, pour Hannah Arendt, comme pour Duns Scott, dire que les événements se produisent nécessairement revient à décharger les individus et les peuples de leurs responsabilités.

Note : Dans La Vie de l'Esprit, Hannah Arendt consacre un chapitre entier, le chapitre 12, à Duns Scot "le philosophe de la contingence", auquel elle rend un hommage appuyé. L'enjeu pour Duns Scot est de "sauvegarder la liberté" et l'on sent bien qu'elle partage le souci du "docteur subtil". A propos des deux dernières guerres, elle s'étonne par exemple que la plupart des historiens évoquent ces événements comme s'ils n'eussent pas pu ne pas se produire, "chaque théorie sélectionnant une cause unique". Or, remarque Hannah Arendt "rien n'est plus plausible que la coïncidence de plusieurs causes, auxquelles une dernière est venue s'ajouter ; dans la "cause contingente" des deux explosions." (p. 446)

L'illusion de la nécessité vient du fait que nous considérons les événements une fois qu'ils se sont produits et nous avons du mal à nous débarrasser de l'idée qu'ils eussent pu ne pas se produire ou se produire autrement. "Tout ce qui est passé est absolument nécessaire." affirme Duns Scot, mais ce n'est pas pour autant que tout ce qui s'est passé s'est produit nécessairement : "Tout ce qu'on peut dire de l'actuel c'est que, de toute évidence, il n'était pas impossible ; on ne pourra jamais prouver qu'il était nécessaire, pour la seule raison qu'il se révèle maintenant infaisable d'envisager un état de fait dans lequel il ne s'était pas produit." (p. 447)

Exemple de vérité intrinsèque et "intangible" : les vérités mathématiques, comme 2 + 2 font 4 (exemple donné par Hannah Arendt) et peut-être, dans une certaine mesure, les vérités scientifiques établies, bien qu'elles puissent être remises en cause à l'avenir.

La trame des réalités dans lesquelles nous vivons notre existence quotidienne est vulnérable parce qu'il y a, comme disaient les stoïciens une quantité de choses qui ne dépendent pas de nous, par exemple la guerre et la paix, les traités commerciaux, les armes de destruction massives, les intérêts économiques (pétrole, industrie d'armement, etc.) les décisions de ceux qui nous gouvernent, etc.

L'historien est particulièrement bien placé pour le savoir parce qu'il vit à deux niveaux différents : celui de l'homme ordinaire qui existe dans le présent. Ses regrets, ses espoirs et ses soucis portent habituellement sur des réalités personnelles et concrètes et son métier d'historien, qui l'oblige à considérer l'universel et à insérer le particulier dans l'universel et donc à dépasser le particulier. Ayant étudié par exemple les causes de la Première Guerre mondiale, il est bien placé pour constater la vulnérabilité des réalités dans lesquelles les hommes vivent leur existence quotidienne. L'homme de la rue qui vaquait à ses occupations ordinaires, le futur poilu, la future ouvrière d'une usine d'armement n'avaient aucune prise sur le déroulement des événements (les système d'alliance, l'attentat de Sarajevo, etc.)

Les différentes formes de mensonges sont :

a) Les mensonges isolés : Donald Trump, affirmant dans un tweet du 6 novembre 2012 que le réchauffement climatique est une invention des Chinois dans le but de rendre le secteur manufacturier américain non compétitif. Cet exemple montre d'ailleurs qu'il est difficile de distinguer entre le mensonge comme volonté délibérée de tromper, l'erreur (confondre le vrai et le faux) et l'illusion (prendre ses désirs pour la réalité).

b) Les propagandes organisées et mensongères. Hannah Arendt fait allusion aux deux grands phénomènes totalitaires qui ont marqué le XXème siècle : le nazisme et le communisme, mais aussi à la propagande américaine pendant la guerre du Vietnam.

c) l'oubli, la négation des faits, le négationnisme, par exemple l'effacement sur une photographie de Léon Trotski, à côté de Lénine durant la révolution d'octobre par les services de propagande de Staline ou l'affirmation selon laquelle "les chambres à gaz n'ont pas existé".

Selon Hanna Arendt, les deux conditions pour que les faits soient assurés de trouver durablement place dans le domaine de la vie publique sont : a) le témoignage du souvenir ; b) la justification de témoins digne de foi. Ces deux conditions sont elles-mêmes vulnérables, par exemple le souvenir peut s'estomper, les témoins des événements disparaissent progressivement, d'où la nécessité de ce que l'on appelle le "devoir de mémoire". Les faits ne sont pas assurés de trouver durablement place dans le domaine de la vie publique ; risquent de sombrer dans l'oubli si les "hommes  d'action" le souhaitent et si nous ne faisons pas l'effort de nous souvenir. L'enjeu n'est pas seulement le souvenir des événements passés, mais d'éviter que certains phénomènes ne se reproduisent plus dans l'avenir, comme le totalitarisme, les persécutions antisémites, etc.

La relation entre le mensonge et la violence a été particulièrement mise en évidence par René Girard à travers l'étude des textes de persécution antisémites au Moyen-Âge et la notion de "bouc émissaire". Des allégations mensongères : les Juifs empoisonnent les puits, ils sacrifient des enfants, ils fomentent des complots, etc. ont servi de prétextes et de justification, tout au long des siècles, au déclenchement des persécutions et des pogroms. Selon René Girard, c'est la Révélation judéo-chrétienne, en affirmant l'innocence de la victime, celle d'Abel, des prophètes, Joseph et celle de Jésus, qui nous permet de reconnaître le caractère mensonger des textes de persécution.

Aucune déclaration portant sur des faits ne peut être à l'abri du doute parce que nous n'avons pas la possibilité de vérifier l'authenticité des faits ; nous sommes souvent obligés de croire les hommes politiques sur parole et nous ne sommes pas toujours capables de discerner entre les vraies déclarations et les fausses.

Si, avec Thomas d'Aquin, l'on définit la vérité comme l'adéquation entre le jugement et le réel (adequatio rei et intellectus), nous n'avons pas toujours prise sur le réel. Nous sommes quotidiennement bombardées d'informations souvent contradictoires dont n'avons pas la possibilité de vérifier l'authenticité. Ce phénomène est amplifié par les moyens modernes de communication comme Internet et les réseau sociaux (Facebook, Tweeter).

L'exemple que donne l'auteur de déclarations invulnérables à toute forme d'attaque sont les énoncés mathématiques. Mais le problème est que les énoncés mathématiques sont formellement vrais, mais ne correspondant à rien de réel (quand je dis 2+2=4, il peut s'agir indifféremment de 2 hommes ou de deux fourmis).

Les mathématiques sont sans doute des modèles de rigueur, mais il n'est pas sûr qu'ils puissent nous servir à nous orienter dans le monde des faits. Le monde des nombres est en effet "invulnérable à toutes forme d'attaque, du moins à certaines conditions (adhérer aux vérités mathématiques), mais le monde de la nature (la physique) l'est déjà un peu moins et les événements historiques encore moins.

L'assertion : "Neil Armstrong a posé le pied sur la lune le 21 juillet 1969" n'est pas du même ordre que "2+2=4" et elle a d'ailleurs été contestée, comme l'attaque du 11 septembre sur les tours jumelles et sur le Pentagone et bien d'autres "faits" historiques. La raison en est que nous ne pouvons pas être personnellement témoins des événements qui sont "médiatisés" par les livres d'Histoire et les documents d'archives et que nous sommes obligés de croire les témoins sur parole.

C'est la raison pour laquelle il est si facile et si tentant de tromper. Il est facile de tromper parce que nous n'avons pas toujours la possibilité de vérifier l'exactitude, l'authenticité, la réalité des faits et il est tentant de le faire parce que la manipulation des faits peut permettre aux "hommes d'action" d'assoir leur pouvoir.

La tromperie n'entre jamais en conflit avec la raison parce que les faits allégués sont souvent vraisemblables et argumentés. Les menteurs prennent soin de donner des "preuves" de ce qu'ils avancent et de ne pas avancer des faits et des arguments qui paraitraient  totalement aberrants pour la majorité des gens dotés d'un minimum de bon sens.

On peut donner comme exemple les allégations de Staline selon lesquelles le massacre des officiers polonais dans la forêt de Katyn avait été perpétré par les nazis. Ces allégations étaient fausses (le massacre fut perpétré par les soviétiques), mais vraisemblables (les armes étaient allemandes).

Plus près de nous, les allégations du gouvernement américain, à la veille de la deuxième guerre du Golf et pour justifier l'intervention en Irak, selon lesquelles l'Irak était doté d'armes de destruction massives. Les Américains ont fourni de prétendues  "preuves" qui ont convaincu de nombreux Américains et d'Européens de la vérité de ces allégation parce que, à défaut d'être vraies, elles étaient vraisemblables.

En réalité, le président des USA, Georges W. Bush savait parfaitement que l'Irak ne disposait pas d'armes de destruction massive, mais il avait besoin du soutien de l'opinion publique pour envahir l'Irak et abattre le régime de Saddam Hussein. On voit bien ici comment le mensonge sert à légitimer l'usage de la violence et l'idée de "guerre juste".

Hannah Arendt affirme que le mensonge est souvent plus plausible, plus tentant pour la raison, que la réalité. Le mensonge est souvent plus plausible que la réalité parce que "la réalité dépasse (souvent) la fiction", elle n'est pas toujours vraisemblable. Par exemple, la plupart des hommes du début du XIXème siècle aurait jugé invraisemblable qu'un homme marche un jour sur la Lune. Un homme de notre époque dont la raison et l'expérience seraient restées semblable à celle d'un homme du début du XIXème siècle pourrait effectivement être tenté de nier qu'un homme ait posé le pied sur la Lune.

C'est pourquoi aussi la réalité, selon l'auteur est moins plausible que le mensonge. Selon elle, "la réalité a cette habitude déconcertante de mettre en présence l'inattendu, auquel nous n'étions nullement préparés". Nos parents, nos grands-parents, nos arrière grands-parents n'étaient pas préparés à l'attentat de Sarajevo, à la rupture des accords de Munich, à la "Blitz Krieg", pas plus que nous n'étions préparés aux attentats du 11 septembre 2001.

"Le mensonge est souvent plus plausible, plus tentant pour la raison que la réalité. L'avantage du menteur est qu'il connaît les désirs du public et sait ce qu'il souhaite entendre. Sigmund Freud distingue entre l'erreur et l'illusion. L'erreur vient de l'entendement, de la raison, on peut la dissiper par des arguments rationnels (2+2=4), mais l'illusion, vient du désir, de l'affectivité, du monde obscur des sentiments, des intérêts, des émotions. C'est pourquoi elle est beaucoup plus difficile à dissiper que l'erreur.

Les menteurs ont l'habileté de flatter les illusions du public, tout en ayant soin de rester "plausibles". Un grand nombre de gens ne croient qu'à ce qu'ils ont envie de croire, n'écoutent que ce qu'ils ont envie d'entendre. Les "hommes d'action", les démagogues, en tant qu'experts dans la manipulation des masses le savent parfaitement et ajustent leurs discours aux attentes du public.

Note : L'analyse d'Hannah Arendt est prolongée et appliquée à une époque qui se caractérise par le développement d'Internet et des réseaux sociaux par des penseurs comme Kurt Anderson (Au pays des merveilles), Ralph Keyes (The Post Truth Area), Harry Frankfurt, Myriam Revault d'Allones (Ce que la post vérité fait à notre monde commun) ou Gérard Bonner. Ce n'est pas exactement le mensonge délibéré qui caractérise notre époque, mais l'indifférence entre la vérité et le mensonge. Un mouvement comme "Qanon", venu des Etats-Unis et qui se répand dans toute l'Europe, est très révélateur à cet égard. Comme l'avait analysé Hannah Arendt, le mensonge comme indifférence à la vérité des faits (facts) débouche sur la violence et une nouvelle forme de totalitarisme. La "fake news" est devenue une  méthode pour accéder au pouvoir et pour le conserver. 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :