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Les monstres au théâtre (Racine, Cocteau, Ionesco)

Objet d'étude : Le théâtre, textes et représentation, "Rencontre avec le monstre"

Texte A : Jean Racine, Phèdre, V,6, 1677

Texte B / Jean Cocteau, La Machine infernale, acte II, 1934

texte C : Eugène Ionesco, Rhinocéros, acte II, tableau II, 1959

Texte D : Eugène Ionesco, Notes et Contrenotes, 1966

Le théâtre, texte et représentation « Rencontre avec le monstre »

  • Question de corpus (4 points) Les trois pièces de théâtre évoquent la rencontre du héros avec le monstre : vous comparerez les mises en scène et étudierez les différents moyens utilisés pour faire vivre au spectateur cette violente confrontation. Vous pourrez vous aider des propos tenus par IONESCO dans Notes et contre-notes.
  • Commentaire (16 points) : Vous ferez le commentaire composé du texte de Jean COCTEAU. (texte B)
  • Dissertation : En quoi peut-on dire que le théâtre est le lieu de l’illusion et en même temps de la vérité ? Vous développerez votre réponse en prenant appui sur les pièces que vous connaissez et sur votre expérience de spectateur.
  • Invention : Vous êtes metteur en scène. Pour répondre à IONESCO, vous envoyez à un grand quotidien un article dans lequel vous défendez le droit des metteurs en scène à interpréter les pièces comme ils les ressentent et à prendre certaines libertés avec les indications scéniques s'ils le jugent nécessaire.

Jean RACINE, Phèdre, acte V, scène 6 (1677) Thésée a demandé à Neptune, dieu de la mer, de le venger car il croit, à tort, que son fils Hippolyte, né de son premier mariage, a tenté de séduire Phèdre, sa deuxième épouse. Théramène, précepteur d’Hippolyte, raconte à Thésée les circonstance de la mort de son fils, survenue alors que celui-ci partait en exil.

THÉRAMÈNE

Un effroyable cri, sorti du fond des flots,

Des airs en ce moment a troublé le repos

Et du sein de la terre une voix formidable

Répond en gémissant à ce cri redoutable.

Jusqu'au fond de nos cœurs notre sang s'est glacé ;

Des coursiers attentifs le crin s'est hérissé.

Cependant sur le dos de la plaine liquide,

S'élève à gros bouillons une montagne humide ;

L'onde approche, se brise, et vomit à nos yeux,

Parmi des flots d'écume, un monstre furieux.

Son front large est armé de cornes menaçantes ;

Tout son corps est couvert d'écailles jaunissantes ;

Indomptable taureau, dragon impétueux,

Sa croupe se recourbe en replis tortueux.

Ses longs mugissements font trembler le rivage.

Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage,

La terre s'en émeut, l'air en est infecté,

Le flot qui l'apporta recule épouvanté.

Tout fuit ; et sans s'armer d'un courage inutile,

Dans le temple voisin chacun cherche un asile.

Hippolyte lui seul, digne fils d'un héros,

Arrête ses coursiers, saisit ses javelots,

Pousse au monstre, et d'un dard lancé d'une main sûre,

l lui fait dans le flanc une large blessure.

De rage et de douleur le monstre bondissant

Vient au pied des chevaux tomber en mugissant,

Se roule, et leur présente une gueule enflammée,

Qui les couvre de feu, de sang et de fumée :

La frayeur les emporte, et sourds à cette fois,

Ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix.

En efforts impuissants leur maître se consume

Ils rougissent le mors d'une sanglante écume.

Texte B : Jean COCTEAU, La Machine infernale, acte II (1934) Dans cette pièce, Cocteau reprend le mythe d’Œdipe. Selon la légende mythologique, le Sphinx est un monstre ailé à visage et poitrine de femme, queue de dragon et corps de lion. Posté sur une roche, non loin de Thèbes, il dévore les voyageurs qui ne savent pas résoudre une énigme qu'il leur pose. Cocteau lui donne pour commencer l'apparence d'une jeune fille de 17 ans, immédiatement séduite par Œdipe lorsqu'elle l'aperçoit sur le chemin. Apprenant que l'unique préoccupation d’Œdipe est le Sphinx qu'il veut vaincre, elle révèle son identité en modifiant son apparence : des ailes surgissent, ses mains griffent...

LE SPHINX

- Et maintenant je vais te donner un spectacle. Je vais te montrer ce qui se passerait à cette place, Œdipe, si tu étais n'importe quel joli garçon de Thèbes et si tu n'avais eu le privilège de me plaire.

OEDIPE - Je sais ce que valent vos amabilités. Il se crispe des pieds à la tête. On voit qu'il lutte contre un charme.

LE SPHINX - Abandonne-toi. N'essaie pas de te crisper, de résister. Abandonne-toi. Si tu résistes, tu ne réussiras qu'à rendre ma tâche plus délicate, et je risque de te faire du mal.

OEDIPE - Je résisterai ! Il ferme les yeux, détourne la tête.

LE SPHINX - Inutile de fermer les yeux, de détourner la tête. Car ce n'est ni par le regard que j'opère. Mais, plus adroit qu'un aveugle, le filet des gladiateurs, plus subtil que la foudre, plus raide plus lourd qu'une vache, plus sage qu'un élève tirant la langue sur des chiffres, plus gréé, plus voilé, plus ancré, plus bercé qu'un navire, plus incorruptible qu'un juge, plus vorace que les insectes, plus sanguinaire que les oiseaux, plus nocturne que l'œuf, plus ingénieux que les bourreaux d’Asie, plus fourbe que le cœur, plus désinvolte qu'une main qui triche, plus fatal que les astres, plus attentif que le serpent qui humecte sa proie de salive ; je sécrète, je tire de moi, je lâche, je dévide, je déroule, j’enroule de telle sorte qu'il me suffira de vouloir ces nœuds pour les faire et d’y penser pour les tendre ou pour les détendre ; si mince qu'il t'échappe, si souple que tu t'imagineras être victime de quelque poison, si dur qu'une maladresse de ma part t'amputerait, si tendu qu'un archet obtiendrait entre nous une plainte céleste ; bouclé comme la mer, la colonne, la rose, musclé comme la pieuvre, machiné comme les décors du rêve, invisible surtout, invisible et majestueux comme la circulation du sang des statues, un fil qui te ligote avec la volubilité des arabesques folles du miel qui tombe sur du miel.

ŒDIPE - Lâchez-moi !

Texte C : Eugène IONESCO, Rhinocéros, acte II, tableau II (1959) Une étrange épidémie s’abat sur une petite ville : les habitants s’y transforment tous peu à peu en rhinocéros. Bérenger, en visite chez son ami Jean, assiste à la métamorphose de celui-ci. Il s'agit de la fin de l'acte II.  

BERENGER, se précipitant dans l'escalier. Concierge, concierge, vous avez un rhinocéros dans la maison, appelez la police ! Concierge ! (On voit s'ouvrir le haut de la porte de la loge de la concierge ; apparaît une tête de rhinocéros.) Encore un ! (Bérenger remonte à toute allure les marches de l'escalier. Il veut entrer dans la chambre de Jean, hésite, puis se dirige de nouveau vers la porte du Petit Vieux. À ce moment, la porte du Petit Vieux s’ouvre et apparaissent deux petites têtes de rhinocéros.) Mon Dieu ! Ciel ! (Bérenger entre dans la chambre de Jean tandis que la porte de la salle de bain continue d'être secouée. Bérenger se dirige vers la fenêtre, qui est indiquée par un simple encadrement, sur le devant de la scène, face au public. Il est à bout de force, manque de défaillir, bredouille :) Ah mon Dieu ! Ah mon Dieu ! (Il fait un grand effort, se met à enjamber la fenêtre, passe presque de l’autre côté c’est-à-dire vers la salle, et remonte vivement, car au même instant on voit apparaître, de la fosse d'orchestre, la parcourant à toute vitesse, une grande quantité de cornes de rhinocéros à la file. Bérenger remonte le plus vite qu'il peut et regarde un instant par la fenêtre.) Il y en a tout un troupeau maintenant dans la rue ! Une armée de rhinocéros, ils dévalent l'avenue en pente (Il regarde de tous les côtés.) Par où sortir, par où sortir !... Si encore ils se contentaient du milieu de la rue ! Ils débordent sur le trottoir, par où sortir, par où partir ! (Affolé, il se dirige vers toutes les portes, et vers la fenêtre, tour à tour, tandis que la porte de la salle de bains continue de s'ébranler et que l'on entend jean barrir et proférer des injures incompréhensibles. Le jeu continue quelques instants: chaque fois que dans ses tentatives désordonnées de fuite, Bérenger se trouve devant la porte des Vieux, ou sur les marches de l'escalier, il est accueilli par des têtes de rhinocéros qui barrissent et le font reculer. Il va une dernière fois vers la fenêtre, regarde.) Tout un troupeau de rhinocéros ! Et on disait que c'est un animal solitaire ! C'est faux, il faut réviser cette conception ! Ils ont démoli tous les bancs de l'avenue. (Il se tord les mains.) Comment faire ? (Il se dirige de nouveau vers les différentes sorties, mais la vue des rhinocéros l'en empêche. Lorsqu'il se trouve de nouveau devant la porte de la salle de bains, celle-ci menace de céder. Bérenger se jette contre le mur du fond qui cède ; on voit la rue dans le fond, il s enfuit en criant.) Rhinocéros ! Rhinocéros ! (Bruits, la porte de la salle de bains va céder.) RIDEAU

Texte D : Eugène IONESCO, Notes et contre-notes (1966). A proipos de Rhinocéros aux Etats-Unis

Le succès public de Rhinocéros à New York me réjouit, me surprend et m'attriste un peu, à la fois. J'ai assisté à une répétition seulement, à peu près complète, avant la générale, de ma pièce. Je dois dire que j'ai été tout à fait dérouté. J'ai cru comprendre qu'on avait fait d'un personnage dur, féroce, angoissant, un personnage comique, un faible rhinocéros : Jean, l'ami de Bérenger. Il m'a semblé également que la mise en scène avait fait d'un personnage indécis, héros malgré lui, allergique à l'épidémie rhinocérique, de Bérenger, une sorte d'intellectuel lucide, dur, une sorte d'insoumis ou de révolutionnaire sachant bien ce qu'il faisait (le sachant, peut-être, mais ne voulant pas nous expliquer les raisons de son attitude). J'ai vu aussi, sur le plateau, des matches de boxe qui n'existent pas dans le texte et que le metteur en scène y avait mis, je me demande pourquoi. J'ai souvent été en conflit avec mes metteurs en scène : ou bien ils n'osent pas assez et diminuent la portée des textes en n'allant pas jusqu’au bout des impératifs scéniques, ou bien ils « enrichissent » le texte en l'alourdissant de bijoux faux, de pacotilles sans valeur parce que inutiles. Je ne fais pas de littérature. Je fais une chose tout à fait différente ; je fais du théâtre. Je veux dire que mon texte n'est pas seulement un dialogue mais il est aussi « indications scéniques ». Ces indications scéniques sont à respecter aussi bien que le texte, elles sont nécessaires, elle sont aussi suffisantes. Si je n'ai pas indiqué que Bérenger et Jean doivent se battre sur le plateau et se tordre le nez l'un à l'autre c'est que je ne voulais pas que cela se fit.

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