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Henri Bergson, né le 18 octobre 1859  à Paris où il est mort le 4 janvier 1941, est un philosophe français. Il a publié quatre principaux ouvrages : d’abord en 1889, l’Essai sur les données immédiates de la conscience, ensuite Matière et mémoire en 1896, puis L'Évolution créatrice en 1907, et enfin Les Deux Sources de la morale et de la religion en 1932. Il a obtenu le prix Nobel de littérature en 1927. Son œuvre, entrée dans le domaine public au 1er janvier 2012, est étudiée dans différentes disciplines : cinéma, littérature, philosophie, neuro-psychologie, etc.

Aux élèves :

Je vous suggère de lire le commentaire de l'Energie spirituelle d'Henri Bergson par Serge Carfantan (Philosophie et Spiritualité)

 http://sergecar.perso.neuf.fr/oeuvre/Bergson_energie.htm

L'ouvrage de Bergson est disponible sur Internet en version pdf :

http://classiques.uqac.ca/classiques/bergson_henri/energie_spirituelle/energie_spirituelle.pdf

link

       

"Or, je crois bien que notre vie intérieure tout entière est quelque chose comme une phrase unique entamée dès le premier éveil de la conscience, phrase semée de virgu­les, mais nulle part coupée par des points. Et je crois par conséquent aussi que notre passé tout entier est là, subconscient — je veux dire présent à nous de telle manière que notre conscience, pour en avoir la révélation, n’ait pas besoin de sortir d’elle-même ni de rien s’adjoindre d’étranger : elle n’a, pour apercevoir distinctement tout ce qu’elle renferme ou plutôt tout ce qu’elle est, qu’à écarter un obstacle, à soulever un voile. Heureux obstacle, d’ailleurs ! voile infiniment précieux ! C’est le cerveau qui nous rend le service de maintenir notre attention fixée sur la vie ; et la vie, elle, regarde en avant ; elle ne se retourne en arrière que dans la mesure où le passé peut l’aider à éclairer et à préparer l’avenir. Vivre, pour l’esprit, c’est essentiellement se concentrer sur l’acte à accomplir. C’est donc s’insérer dans les choses par l’intermédiaire d’un  méca­nisme qui extraira de la conscience tout ce qui est utilisable pour l’action, quitte à obscurcir la plus grande partie du reste. Tel est le rôle du cerveau dans l’opération de la mémoire : il ne sert pas à conserver le passé, mais à le masquer d’abord, puis à en laisser transparaître ce qui est pratiquement utile. Et tel est aussi le rôle du cerveau vis-à-vis de l’esprit en général. Dégageant de l’esprit ce qui est extériorisable en mouvement, insérant l’esprit dans ce cadre moteur, il l’amène à limiter le plus souvent sa vision, mais aussi à rendre son action efficace. C’est dire que l’esprit déborde le cerveau de toutes parts, et que l’activité cérébrale ne répond qu’à une infime partie de l’activité mentale."

(Henri Bergson, L'énergie spirituelle, Félix Alcan, pp. 56-7)

Posez-vous les questions suivantes :  

1/ A quoi Bergson compare-t-il la vie intérieure ?

2/ Quel obstacle la conscience doit-elle écarter pour apercevoir directement tout ce qu'elle renferme ?

3/ Vers quoi l'esprit est-il tourné ?

4/ Quel est le rôle du cerveau dans l'opération de la mémoire ?

6/ Le cerveau sert-il à conserver le passé ?

7/ Que conserve le cerveau du passé ?

8/ L'esprit se confond-il avec le cerveau ?


citation-bergson

Dans ce texte extrait de l'Energie spirituelle, Bergson explique quelle est la fonction du cerveau et définit son rôle par rapport à l'esprit (à la vie intérieure, à la conscience). Au début du texte, Bergson compare la vie intérieure à une "phrase unique entamée dès le premier éveil de la conscience". Une phrase est un ensemble de mots qui commence par une majuscule et se termine par un signe de ponctuation fort. La vie de la conscience commence par la naissance et se termine par la mort. Nous avons l'impression qu'il y a des points dans notre vie intérieure, dans la vie de notre conscience, alors qu'en réalité, il n'y a que des virgules. La vie intérieure est un flux continu, une grande et unique phrase qui ne s'interrompt jamais. 

Si la vie intérieure est une phrase unique, sans points, sans coupure, il faut en conclure, selon Bergson, que tout notre passé est là, "subconscient", que le passé n'a pas disparu et qu'il n'est donc pas "passé", même si nous n'en avons pas conscience.

Pour avoir la révélation de tout ce qu'elle renferme, et en particulier du passé, la conscience doit écarter un obstacle. Cet obstacle qui empêche la conscience d'accéder à la vie intériéure, en particulier aux souvenirs,  c'est le cerveau. Cette affirmation peut sembler paradoxale dans la mesure où nous avons tendance à penser que la conscience est une fonction du cerveau. Bergson va nous montrer qu'il n'en est rien.

Le cerveau nous rend le service de maintenir notre attention fixée sur la vie et la vie regarde en avant ; elle ne se retourne en arrière que dans la mesure où le passé peut l'aider à préparer l'avenir. Le cerveau est un organe au service de l'action. Agir, c'est utiliser (mobiliser) les souvenirs utiles et faire l'impasse sur le reste. Par exemple, quand j'accomplis une tâche, je suis sans cesse en train d'utiliser (sans même y penser) des souvenirs utiles à la tâche que j'accomplis. Le cerveau est comme un cône dont la partie la plus étroite est étroitement fixé à l'instant présent et qui ne laisse passer du passé que ce qui est utile à l'action, c'est-à-dire au futur.

Il y a donc deux formes de mémoire : la mémoire-habitude et la mémoire-souvenir.

La mémoire-habitude est volontaire, utilitaire et fondée sur la répétition. Elle me permet d'apprendre une leçon ou de m'orienter dans le quotidien en y inscrivant des gestes familiers. C'est le passé qui, incarné dans des mécanismes acquis, rend possible l'action efficace.

La mémoire-souvenir est mémoire pure, involontaire, contemplation, indépendante des exigences de l'action. 

L'activité cérébrale n'est qu'une infime partie de l'activité mentale. Le cerveau est un organe au service de l'action ; il mobilise les facultés de l'esprit (l'intelligence, la mémoire) au service de l'action. Ce qui le montre bien, c'est le sommeil, l'état le plus éloigné de l'action. Des états de conscience totalement différents de ceux de l'état de veille (le rêve) apparaissent alors et en particuliers des souvenirs.

L'esprit est en relation avec le cerveau, mais il ne se confond pas avec le cerveau. dans un autre passage de l'Energie spirituelle, Bergson compare le cerveau à un clou et l'esprit à un vêtement. La conscience est accrochée au cerveau, comme un vêtement à un clou, mais il n'en résulte pas que le cerveau et l'esprit ne font qu'un. Le clou supporte le vêtement, il  tombe si l'on arrache le clou, mais la clou et le vêtement ne sont pas la même chose. Il en est de même de la conscience et du cerveau. Bien que la vie de la conscience soit liée à la vie du corps, la conscience n'est pas une fonction du cerveau ;  le cérébral n'est pas l'équivalent du mental.

"Vivre pour une conscience c’est dérouler dans le temps la succession de ses idées, de ses sentiments, de ses impressions. Mais cela ne signifie en aucun cas qu’il y ait en nous un défilé d’états nettement distincts. Le temps réel coule, indivisible, sans ruptures « continuité mélodique où le passé entre dans le présent et forme avec lui un tout indivise, lequel reste indivise et même indivisible ». C’est comme un arc en ciel où chaque couleur se fond dans la couleur suivante, sans que l’on puisse tracer de limite précise qui est le sujet authentique de la durée. Au niveau du moi réel, le changement existe à l’état pur, il n’est pas une abstraction commode.

Par conséquent, puisque la durée n’admet pas de coupure tranchée, de rupture radicale, cela signifie que le passé colle au présent, que l’avenir ne se sépare pas non plus du présent. Le flot du temps ne connaît pas d’arrêt. Cela veut dire que le passé doit demeurer quand le temps s’écoule. Il faut admettre qu’il demeure quand le temps s’écoule, qu’il demeure donc toujours la conscience portant avec elle la totalité de son passé.

L’hypothèse de la durée aboutit donc à l’idée d’une mémoire intégrale qui est consubstantielle à la nature de l’esprit. » Qui dit esprit dit, avant tout conscience. Mais qu’est-ce que la conscience ? Conscience signifie d’abord mémoire...

Si, à chaque instant, le passé s’anéantissait, la pensée s’anéantirait en lui. Le présent pur, c’est l’inconscience ». En effet, un présent abstrait serait dépourvu de conscience. Le véritable présent est une faible épaisseur de durée, celle d’un instant. Si tout le passé est conservé, cela tient à la naturelle temporelle de la conscience. Il suffirait pour le saisir que nous nous détournions des préoccupations du présent ; en d’autre terme, il suffit de rêver, car le rêve réalise parfaitement ces conditions. Il suffit de rêver au lieu de vouloir et aussitôt nous serons envahis par les images du passé.

D’où l’interprétation bergsonienne du rêve comme manifestation du souvenir pur. Une faible part du passé reste donc d’ordinaire disponible, celle qui nous est indispensable pour les besoins de l’action présente. Cette portion est admise à franchir les bornes de la conscience, le reste est refoulé et devient l’inconscient. Ce qui vient conditionner l’appel du passé, c’est l’attention aux choses présentes, c’est au fond l’attention à la vie. Elle resserre le champ de la mémoire jusqu’à la faire coïncider avec un présent utile. La fonction du réel œuvre à chaque instant dans la conscience et son rôle pour Bergson est avant tout pratique, attachée à l’urgence de l’action.

Si la conscience est liberté et durée, il reste qu’elle est aussi en relation avec un corps. Bergson rencontre le problème dans Matière et mémoire, et y revient dans l’énergie spirituelle. Il choisit de la prendre à partir du problème de la mémoire. Si les matérialistes ont raison, la conscience est un produit de l’activité cérébrale, ce qui signifie que le souvenir et la mémoire, qui sont liés à la conscience sont conditionnés par le cerveau.

Les faits donnent-ils raison à cette hypothèse ? Bergson va montrer que non. Seule la mémoire habitude se prête à une explication matérialiste, il en est tout autrement du souvenir. On croyait que les souvenirs étaient localisés dans une aire cérébrale particulière, et l’expérience montre que non. Il y a des cas où l’amnésique retrouve ses souvenirs oubliés, malgré la lésion cérébrale. Si vraiment ils avaient été stockés dans les cellules détruites, ils auraient été oubliés définitivement.

En réalité la question de savoir où se conservent les souvenirs n’a pas grand sens, ils sont dans l’esprit, car la conscience est durée. La conscience signifie mémoire. Le cerveau est un instrument d’expression de la conscience, mais de toute façon, dès que la conscience est donnée, les souvenirs sont aussi donnés. Tout le passé se conserve et cette conservation est la conscience ou dans la conscience.

Le cerveau est l’organe centralisateur de l’action, ce qui permet l’adaptation de l’être vivant à son milieu. Il est ce qui permet de resserrer le champ de conscience, il est l’organe de l’attention à la vie parce qu’il est notre attention fixée sur la vie ; et la vie, elle, regarde en avant ; elle ne se retourne en arrière que dans la mesure où le passé peut l'aider à s'éclairer et à préparer l'avenir. La vie mentale déborde de beaucoup la vie cérébrale. Mais en ce cas nous pouvons aussi comprendre que, puisque la conscience n'est pas dépendante du corps, du cerveau, elle existe en quelque sorte pour elle-même. Il est maintenant possible de dire que, peut être, elle est immortelle. Du moins cette possibilité n'a rien d'absurde. Elle est probable."

© Philosophie et spiritualité, 2003, Serge Carfantan. 

 

 

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