Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

EAF, série L, travail préparatoire au commentaire d'un extrait de Delphine de Germaine de Staël
EAF, série L, travail préparatoire au commentaire d'un extrait de Delphine de Germaine de Staël

L'auteure : 

Née le 22 avril 1766 à Paris où elle est morte le 14 juillet 1817. Anne-Louise-Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein, connue sous le nom de Madame de Staël, est une romancière et philosophe française.

Résumé du roman :

Dans le monde aristocratique que la Révolution s'apprête à balayer, un principe de conduite l'emporte sur tous les autres : le respect des convenances. Pour avoir voulu sauver l'honneur d'une de ses amies, Delphine commet une imprudence qui la perd de réputation auprès de Léonce, l'homme qu'elle aime et dont elle est aimée. Sous le prétexte d'intercéder en sa faveur, sa tante, Sophie de Vernon, achève de compromettre Delphine, et convainc Léonce d'épouser sa propre fille... Roman épistolaire, publié en 1802, Delphine dépeint tous les mouvements de l'âme amoureuse et préfigure le ton et la manière des Romantiques. (source : babelio)

Le thème du passage : 

Delphine écrit à Matilde, pour lui dire qu'elle accepte de renoncer à Léonce, le mari de Matilde et de sacrifier son amour au bonheur de sa rivale.

Le contexte :

"Delphine aimait Léonce et était aimée de lui, mais blessé par une fausse rumeur concernant Delphine, le jeune homme a épousé Matilde par dépit. Lorsqu'il apprend la vérité, il propose à Delphine de quitter Matilde ; cependant Matilde, enceinte, a supplié Delphine de renoncer à Léonce. Il s'agit de la réponse de Delphine à Mathilde.

Le genre du texte : 

Il s'agit d'un genre en vogue depuis Julie ou La nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau et Les liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos : le roman épistolaire.

La situation d'énonciation :

Delphine écrit à Matilde, sa rivale à Paris, le 4 décembre (la date n'est pas précisée, mais on sait que l'action se déroule avant la Révolution, sous l'Ancien Régime) pour lui dire qu'elle va quitter définitivement Paris pour se retirer dans un lieu qui sera ignoré de tous et pour lui annoncer qu'elle accepte, à sa demande, pour des raisons morales et spirituelles, de sacrifier son amour pour Léonce le mari de Matilde, au bonheur de Matilde.

Les registres :

Lyrique : Delphine exprime des sentiments à la première personne du singulier.

Argumentatif : Delphine cherche à orienter dans un sens favorable à ses intérêts affectifs la conduite de Matilde vis-à-vis de Léonce : "si celui dont je me sépare me regrette, ne blessez point son cœur par des reproches" : ""Matilde, soignez avec délicatesse le bonheur de Léonce ; vous avez éloigné de lui sa fidèle amie, chargez-vous de lui rendre tout l'amour dont vous le privez. Ne cherchez point à détruire l'estime et l'intérêt qu'il conservera pour moi, vous m'offenseriez cruellement ; il faut déjà me compter parmi ceux qui ne sont plus, et le dernier acte de ma vie ne mérite-t-il pas vos égards pour ma mémoire !" ; "jamais (...) il ne vous a été plus ordonné de ne pas être sévère envers elle !"

Didactique : Delphine explique à Matilde les raisons de sa décision, elle souligne le poids du sacrifice qu'elle lui fait : "Matilde, votre religion n'a point exigé de sacrifice qui puisse surpasser celui que je fais pour vous...", elle lui donne des éléments de compréhension qu'elle n'a pas : "Vous êtes la femme de Léonce, vous avez sur son cœur des droits que j'ai dû respecter ; mais je l'aimais, mais vous n'avez pas su peut-être qu'avant de vous épouser..." (noter la répétition de l'adversatif "mais et les points de suspension)

Pathétique : Le discours de Delphine suscite ou cherche à susciter la compassion du destinataire de la lettre, ainsi que celle du lecteur. Exemple : "... priez pour une femme malheureuse, la plus malheureuse de toutes, celle qui consent à se déchirer le cœur, afin de vous épargner une faible partie de ce qu'elle se résigne à souffrir."

Tragique : "pouvais-je résister quand il devrait m'en coûter la vie !" - "Il faut déjà me compter parmi ceux qui ne sont plus, et le dernier acte de ma vie ne mérite-t-il pas vos égards pour ma mémoire !" (noter la ponctuation expressive)

Il y a une relation de cause à effet entre le tragique et le pathétique.  La décision de Delphine est tragique en ce sens où elle relève de l'irrémédiable, mais elle échappe au tragique dans la mesure où elle a un sens (contrairement à la situation des héroïnes véritablement tragiques comme Phèdre). On peut comparer la situation de Delphine à celle de Bérénice dans la pièce éponyme de Racine, ainsi que les raisons respectives que Delphine et Bérénice ont de renoncer à l'amour. On peut dire que la résignation de Bérénice a un sens que la reine de Judée n'accepte pas, alors que celle de Delphine a un sens qu'elle accepte, bien que dans les deux cas, la souffrance irrémédiable soit la même.

Le point de vue narratif :

Focalisation interne

Types de textes :

Une lettre est un échange de paroles écrites diférées. La particularité de cette lettre est le fait qu'elle est la dernière que Delphine adresse à Matilde et qu'elle n'attend pas de réponse.

Les champs lexicaux :

La religion : "sacrifie", "sacrifice", "religion", "Dieu" (deux fois), "coeurs", "expier", "Etre suprême", "éternelle" (source éternelle), "priez" (priez pour elle)

La morale : "bonté", "effort", "fautes", "reprocher", "respecter", "morale", "devoir", "vertueuses", "estime", coupable, sévère

Le malheur : "sacrifie", "douleur" (deux fois), "blesser", "plaindre", "sensibles" "peine", "malheureuse" (deux fois), "déchirer", "souffrir"

Les sentiments : "bonheur", "cœurs", "douleur", "sentiments", "cœur", "pitié", "liens", "regretter", "blesser", "affections", "passionnées", "générosité", "douceur", "dévouement", "bonté", "amour", "sensibles", "bienveillance", "affections", "délicatesse", "bonheur", "estime", "intérêt", "cruellement", "peine", "malheureuse" (deux fois), "souffrir"

On remarque que certains mots appartiennent aux deux champs lexicaux.

Les champs lexicaux relèvent d'une isotopie du sacrifice.

Les figures de style :

Métaphores : "vous avez sur son cœur des droits que j'ai dû respecter", "laissons les morts en paix, 

Allégories : "Vous m'avez adjuré de partir, au nom de la morale, au nom de la pitié même" - "vous croyez qu'il suffit du devoir pour commander les affections du cœur"

Delphine oppose aux froides abstractions de la morale sociale (la morale, le devoir, la pitié), les mouvements des "âmes passionnées".

Métonymies : "soignez avec délicatesse le bonheur de Léonce"

Les temps et les modes :

Futur : "quitterai", "saura", "retirerai", "ignorera", "l'estime et l'intérêt qu'il conservera pour moi", "vous n'entendrez plus parler de moi"

Présent de caractérisation : "c'est votre bonheur que je sacrifie au mien", "celui que je fais pour vous"; "Dieu sait la douleur que j'éprouve, estime dans sa bonté cet effort ce qu'il vaut", "j'aime mieux mourir qu'avoir à me reprocher vos douleurs", "je me crois supérieure...", "vous êtes la femme de Léonce", "vous avez sur son cœur...", "si celui dont je me sépare me regrette", "vous croyez qu'il suffit du devoir pour commander les affections du cœur, vous êtes faite ainsi...", "tout l'amour dont vous le privez", "il faut déjà me compter parmi ceux qui ne sont plus, et le dernier acte de ma vie ne mérite-il pas vos égards pour ma mémoire ! (Delphine parle d'elle-même comme si elle était déjà morte, le présent a une valeur de futur proche), "n'existe plus pour vous ni pour personne", "celle qui consent à se déchirer le cœur, afin de vous épargner une faible partie de ce qu'elle se résigne à souffrir"

Présent d'énonciation : "J'ose vous le dire", "j'ose vous le répéter"

Présent de vérité générale (gnomique) : "Dieu qui lit dans les cœurs", "il existe des âmes passionnées...", "ils ne ressemblent point au vôtre, mais ils sont peut-être un objet de bienveillance pour l'Etre suprême, pour la source éternelle de toutes les affections du cœur"

Présent à valeur de futur proche : "vous allez être mère, de nouveaux liens vont vous attacher à Léonce"

Passé composé : "n'a point exigé", "j'ai plus qu'expié mes fautes", "des droits que j'ai dû respecter", "vous n'avez pas su", "vous m'avez adjurée de partir", "vous avez éloigné de lui sa fidèle amie", "celle qui vous a marié", "celle enfin qui n'a pu supporter votre peine", "il ne vous a été plus ordonné"

Imparfait : "je l'aimais", "pouvais-je résister", "comme si elle était coupable"

Passé simple : "jamais elle ne le fut moins"

Plus-que parfait : "si le sort ne leur avait pas fait un crime de l'amour !"

Présent du conditionnel (le conditionnel est considéré comme un temps et non comme un mode) : "celles qui n'auraient point les sentiments dont je triomphe", "quand il devrait m'en coûter la vie", "vous m'offenseriez cruellement"

Présent de l'impératif : "Laissons les morts en paix", "écoutez-moi", "ne blessez point son cœur par des reproches", "Plaignez ces destinées malheureuses, ménagez les caractères profondément sensibles", "soignez avec délicatesse le bonheur de Léonce", "chargez-vous" de lui rendre...", "Ne cherchez point", "Priez pour elle", "priez pour une femme malheureuse"

Synthèse :

Pour justifier son renoncement à l'amour, Delphine invoque des raisons morales et religieuses.

Delphine consent, bien qu'à regret, à sacrifier son bonheur à celui de Matilde. Etant la femme de Léonce, Matilde a, selon Delphine, "des droits sur son cœur", d'autant plus qu'elle attend un enfant de lui. Delphine est sensible aux arguments de Matilde qui en a appelé à la morale et à la pitié.

Outre des raisons morales, Delphine invoque des raisons spirituelles. Elle emploie le terme religieux de "sacrifice" : "J'ose vous le dire, Matilde, votre religion n'a point exigé de sacrifice qui puisse surpasser celui que je fais pour vous" et en appelle à Dieu "qui lit dans les cœurs, qui sait la douleur qu'elle éprouve et qui estime dans sa bonté cet effort ce qu'il vaut".

Delphine invoque aussi des raisons psychologiques : elle a été l'amie d'enfance de Matilde, ainsi que l'amie de sa mère. C'est elle qui l'a mariée et elle n'a pas pu supporter sa peine" : "J'aime mieux mourir qu'avoir à me reprocher vos douleurs. Elle "consent à se déchirer le cœur, afin d'épargner à Matilde une faible partie de ce qu'elle se résigne à souffrir".

Chez Delphine le "souci de l'autre" se substitue au "souci de soi". 

La raison principale de la décision de Matilde, c'est que contrairement à la "tigresse" du Bonheur dans le crime de Barbey d'Aurévilly, elle se sent incapable d'être heureuse en faisant le malheur de Matilde.

On peut faire une lecture politique, philosophique et éthique de cette histoire d'amour dont le dénouement repose sur la renonciation à la possession de l'être aimé au bénéfice d'une "rivale". Un des rares écrivains (avec Chateaubriand) à avoir élaboré un discours critique vis-à-vis de la politique impériale applique son idéal de renonciation à la vengeance privée, à la volonté de puissance  et à la guerre dans une fiction littéraire qui met en scène un double d'elle-même. 

Il serait intéressant de s'intéresser au caractère shakespearien de Delphine, version féminine et romanesque des Deux gentilshommes de Venise. Delphine et Matilde ont été élevées ensemble, ont tout partagé jusqu'à l'arrivée d'un "objet" impossible à partager qui va transformer leur amitié en rivalité (cf. les analyses de René Girard dans Shakespeare ou Les feux de l'envie)

Il faudrait également étudier les relations entre les personnages à la lumière du schéma actantiel de Greimas (axe du savoir, du pouvoir et du désir ou de la volonté)

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :