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Jean-Claude Guillebaud, La tyrannie du plaisir

Jean-Claude Guillebaud, La tyrannie du plaisir, Editions du Seuil, 1998

Table :

Note d'intention - PREMIÈRE PARTIE : Révolution dans la révolution  : 1. Au-delà du bavardage - 2. Trente ans après - 3. La muraille de caoutchouc - 4. Au vrai bonheur du capital - 5. Une corvée de plaisir - 6. DEUXIÈME PARTIE : La mémoire perdue - 6. L'Antiquité imaginaire - 7. Juifs et chrétiens devant la chair - 8. La véritable invention du puritanisme - 9. Depuis la fondation du monde - 10. Utopie et transgression - 11. Du "projet d'immortalité" à l'effroi démographique. TROISIÈME PARTIE : Une logique de la solitude : 12. Entre le juge et le médecin - Homosexuels et féministes en quête de nouveau - 14. Refaire famille - 15. Une certaine idée du temps.

L'auteur :

Écrivain, journaliste, éditeur. Prix Albert-Londres 1972. A obtenu le prix Roger-Nimier en 1988 pour Le voyage à Kéren, le prix Jean-Jacques Rousseau en 1995 pour La Trahison des Lumières et le prix Renaudot Essai en 1998 pour La tyrannie du plaisir.

Note d'intention... 

"Poser clairement et sans faux-fuyants la question de la morale sexuelle - c'est-à-dire de la place de l'interdit - dans une société moderne, telle est l'ambition de ce livre. Depuis près d'une génération, nous vivions dans l'illusion que cette question ne se posait plus. 

Aujourd'hui, l'illusion se dissipe, mais un étrange et tumultueux désarroi la remplace. Ne sachant plus très bien où elles en sont, nos sociétés cherchent douloureusement leurs repères. C'est à cette quête que l'on voudrait contribuer.

Deux intentions, assez simples dans leur principe, président à la rédaction de cet ouvrage. Je voudrais, d'abord, échapper, autant que possible, à la subjectivité frémissante et au manichéisme qui prévalent aujourd'hui dès qu'il est question de sexualité ou, pire encore, de morale sexuelle.

Nos débats, à ce sujet, s'enferment immanquablement dans une alternative que, pour ma part, je refuse : permissivité claironnante ou moralisme nostalgique. Nous n'aurions d'autres choix que celui-ci. A propos du plaisir et de sa "régulation", nous serions condamnés au noir et au blanc, à la raideur moralisante ou à l’irresponsabilité libertaire. Presque toujours, les livres traitant de la sexualité sont ainsi habités par une "intention" - avouée ou inavouée - qui en limite la portée. 

Soit ils sacrifient à la défense militante d'une "conquête" sexuelle particulière, soit ils fustigent avec emphase la prétendue immoralité des temps. Cette fatalité querelleuse explique qu'on éprouve une indéfinissable - et frustrante - impression de ressassement dès que ces sujets sont abordés.

Or cet appauvrissement de la réflexion, ces emportements à courte vue sont plus dangereux qu'on ne l'imagine. Après trente années de permissivité irréfléchie, ils favorisent paradoxalement un retour en force de la pudibonderie, comme c'est le cas dans la société américaine.

A l'erreur, on est tenté d'opposer l'image renversée de l'erreur. Faute de discernement et de recul, nos sociétés sont comme prises de court, incapables de résister aux frayeurs punisseuses qui les saisissent, tentées de basculer sans transition d'un excès à l'autre, de la licence à la chasse aux sorcières et au code pénal.

Je voudrais, pour ma part, tenter de regarder cette question en face, d'en mettre à plat - pacifiquement - les principales données, tout en rectifiant les mille contrevérités qui sont le plus souvent répandues dès qu'il est question de sexe.

La seconde intention, plus audacieuse - téméraire peu-être -, touche à la connaissance elle-même. Quiconque s'intéresse d'un peu près à ces questions est frappé, en effet, par l'extraordinaire parcellisation des savoirs en ce domaine.

Quantité de disciplines aussi différentes que l'histoire, la psychanalyse, l'anthropologie, la théologie, la philosophie politique, la démographie, l'économie, la criminologie - pour ne citer que les principales - s'intéressent à la sexualité, mais sans guère communiquer les unes avec les autres.

Entre l'ignorance abyssale dont témoignent la plupart des polémiques contemporaines et cet émiettement de la connaissance, il n'existe aucun espace véritable, aucune perspective, aucun territoire permettant d'asseoir une réflexion.

J'ai donc pris le pari - risqué - de revisiter patiemment ces différents savoirs, avec le maximum d'attention et avec le souci constant de "produire mes preuves", comme on dit. Les différents spécialistes des domaines que j'aborde trouveront sans doute que telle ou telle question - qui est de leur ressort - aurait pu être approfondie ou développée.

Si je m'en suis tenu, chaque fois, à l'essentiel, si je me suis accommodé de cette démarche "panoramique", c'est qu'elle seule permet de reconstituer le puzzle de nos connaissances au sujet du plaisir et du sexe, afin de répondre à cette question élémentaire : où en sommes-nous au juste ? Quant au titre du livre, c'est à Platon que je l'ai emprunté. Dans les Lois, Platon fait l'éloge du plaisir, mais considère néanmoins comme faible et critiquable l'homme qui laisse le "tyran Éros" s'introniser dans son âme pour en gouverner, quotidiennement, tous les mouvements." 

"On voudrait, dans ces pages, s'efforcer à la reconquête d'un espace, celui de l'humanité et de la raison ; desserrer autant que possible l'étau de la "double contrainte" ; récuser dans tous les cas un chantage trop convenu : celui de l'opposition moralisme/immoralisme qui fait couple. Tel est l'objectif. Reste à s'expliquer sur la méthode." (p.40)

Mon avis sur le livre :

J'ai été frappé par l'actualité de ce livre, notamment à propos de la question de la pédophilie (cf. p. 26 : Au temps de "l'aventure pédophile" et p.88 : "Pédophilie : un sacrifice conjuratoire")

Citation : "On ne s'effarouchait guère, dans l'opinion, qu'un écrivain reconnu (Gabriel Matzneff) se retrouvât convié à une émission littéraire de télévision pour présenter l'un de ses livres vantant l'amour physique avec "les moins de seize ans". Nul n'aurait osé braver l'admiration générale pour objecter, au sujet de Nabokov, que l'héroïne de son célèbre roman Lolita, appétissante fillette cédant aux feux d'un quinquagénaire n'avait pas encore douze ans. Plus troublant encore : personne ne s'offusquait durablement que s'exprimât, dans la grande presse, un militantisme pédophile sententieux."(p.27)

Note : il me semble que Lolita de Nabokov est bien plus profond que Les moins de seize ans de Gabriel Matzneff. On sait que le roman se termine de façon tragique et que le narrateur en rédige les dernières pages dans un hôpital psychiatrique.

Comme quelqu'un s'extasiait devant Ludwig Witgenstein de la "merveilleuse innocence" d'un enfant, l'auteur du Tractatus répliqua que, dans la mesure où la morale consiste à résister à la tentation, l'innocence n'avait pas de valeur morale.

Cette remarque de Wittgenstein nous replace au cœur du débat et peut nous éclairer sur la véritable nature (et la raison d'être) de la morale. "Un homme, c'est quelqu'un qui s'empêche" disait le père de Camus. "La vraie morale se moque de la morale" (Pascal) : On s'abstient de faire quelque chose, non parce que c'est interdit, mais parce que ça fait souffrir et c'est parce que ça fait souffrir que c'est interdit.

"Agis de telle sorte que tu traites l'humanité comme une fin, et jamais simplement comme un moyen." (Emmanuel Kant)

C'est à cette lumière qu'il faut lire, à mon avis, le témoignage de Vanessa Springora dans Le consentement, à propos de Gabriel Matzneff et regarder le film Grâce à Dieu de François Ozon. 

Jusqu'à présent, nous n'avions que le silence des institutions et la parole des pédophiles et des apologistes. Mais maintenant, nous avons celle des victimes.

Ces témoignages nous rappellent une réalité essentielle que les errances de la pensée libertaire n'aurait jamais dû nous faire oublier : l'interdit n'a pas seulement une fonction négative, il a aussi et surtout une fonction éthique qui relève d'abord de la conscience de  la vulnérabilité de l'autre, notamment du plus jeune et du plus fragile.

"Travaillons donc à bien penser, voilà le principe de la morale." (Pascal)

 

 

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