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Antonietta et Gérard Haddad, Freud en Italie
Antonietta et Gérard Haddad, Freud en Italie

Antonietta et Gérard Haddad, Freud en Italie, Psychanalyse du voyage, Editions Albin Michel, 1995

Table : L'énoncé acéphale. Amar Italia - Première partie. Homo viator : l'homme qui marche - Roma Amor - Clinique de l'homo viator - Deuxième partie. La lettre italienne de Freud : les voyages de Freud en Italie - Ce que Freud aima en Italie - Troisième partie. Le judaïsme devant l'Art ou le signifiant absent : La découverte de la psychanalyse et celle de l'Art - l'art juif et l'apparition d'un nouveau signifiant - Du Midrash au Bauhaus - Raisons d'un refus - Une saveur italienne

Quatrième de couverture :

"Il est donné à certains lieux de révéler l'homme à lui-même. L'Italie est ce lieu au sein de l'Europe où, depuis la Renaissance, tout "honnête homme" a accompli son voyage.

Freud n'échappera pas  à ce tropisme italien. "Ce qu'il me faut, c'est l'Italie", dira-t-il à chaque étape importante de sa vie. De Venise à Florence, Naples et Rome, le pays de la beauté et de la culture se dévoilera à lui en même temps qu'il découvrira l'inconscient ; le paysage italien, tout en lui offrant l'alphabet de sa théorie, deviendra le lieu privilégié de sa transmission. Mais les énigmatiques pèlerinages freudiens auront une autre incidence : celle d'ouvrir l'expérience analytique à la dimension de l'altérité et du manque à travers la découverte de l'Art, grand signifiant absent de la tradition juive dont Freud est issu. 

Ce poids symbolique de l'Italie sur la personnalité et la pensée de Freud, Gérard Haddad, médecin et psychanalyste, et sa femme Antonietta, italianisante, l'ont déchiffré au prix d'une enquête minutieuse. Resituant ainsi la naissance de la psychanalyse au cœur de l'Europe, ils rappellent qu'elle est l'héritière de la civilisation latine et humaniste, héritage qu'elle se doit aujourd'hui d'assumer.

Extrait de l'énoncé acéphale :

"Pourquoi Rome - et non pas une autre grande métropole qui domine le monde d'alors, Paris, Londres ou Berlin - occupe-t-elle cette place dans la subjectivité freudienne ? L'équivalence Rome = Amalia, mère de Freud, par fidélité à l'enseignement freudien lui-même, exige une démonstration plus rigoureuse. (Amalia = A(mar Ita)lia)

Pour rompre le mouvement circulaire du commentaire indéfini des mêmes annotations, il faut élargir le champ de la question. Rome fut une ville passionnément aimée, certes, mais en tant qu'élément privilégié d'un espace, d'un corps géographique plus large. Freud un jour soupira : "Ce qu'il me faut c'est l'Italie !" Pour la compréhension du processus qui conduisit à la naissance de la psychanalyse, peut-être faut-il, en effet, considérer l'Italie tout entière, cet Amar Italia, code d'un vaste programme, et poser la question : pourquoi ce pays fut-il indispensable à la créativité de Freud, voire à sa part de bonheur en ce monde ?

La question dépasse la limite d'une apparente monographie et touche peut-être aux enjeux les plus importants de l'heure. Tout autant qu'à Freud, l'Italie paraît indispensable à l'élaboration de leur œuvre pour nombre d'hommes illustres, de Montaigne à Goethe. A lire leurs récits de voyages, le séjour en ce pays fut pour chacun un moment de dévoilement : dévoilement d'inconscient. En d'autres termes, un pan essentiel de la culture européenne, dans lequel la psychanalyse s'inscrit, se forma dans ce lien nourricier à l'Italie. De quel trésor symbolique quasi sacré ce pays reste-t-il dépositaire ? Trésor si troublant que certains esprits hésitent et titubent au moment de la rencontre, en proie à un vertige semblable à celui des pèlerins qui visitent d'autres lieux originaires de l'humanité, de Jérusalem à Bénarès.

Est-ce à la suite d'un relâchement de cette osmose, de l'effritement de ce ciment qui relie les parties du corps morcelé appelé Europe, que notre Europe, que notre culture s'essouffle et s'assèche devant sa mort auto-annoncée ?

Interroger le rapport de Freud à l'Italie c'est, pour un psychanalyste, interroger le malaise qui frappe sa propre discipline. Elle-même a largué un temps cette amarre latine initiale au bénéfice d'une inspiration anglo-saxonne dominante. A quelques exceptions près - celle, dit-on, qui renforcent les règles -, la merveilleuse langue anglaise a peu de talent naturel, aussi bien pour les jeux de l'inconscient que pour ceux de la peinture. Pour Lacan, le retour à Freud sous-entendrait revenir à une certaine latinité, à une "romanité" d'inspiration ; et il choisit à son tour Rome pour y énoncer son Manifeste.

La tradition philosophique la plus prestigieuse enseigne que la pensée ne se déploie jamais mieux que dans le va-et-vient d'une promenade. C'est à remettre nos pas dans ceux des voyages italiens de Freud que certains paysages essentiels de notre propre condition nous seront plus lisibles." (p.14-15)

 

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