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 "Un chant de Noël" ("A Christmas Carol") est paru en 1843, dans une Angleterre "victorienne" en pleine industrialisation. L'histoire de Mr Scrooge est la première d'une série où Charles Dickens tient à montrer que Noël doit rester malgré tout un moment privilégié d'amour, de joie et de partage. Elle se déroule à Londres, alors "la capitale du monde" avec ses 2 500 000 habitants, où sévissent "la richesse la plus écrasante et la pauvreté la plus humilante." (Arthur Conte, Marx et son époque, Nathan, coll. Espaces Temps)

Ebenezer Scrooge n'a vécu que pour l'argent. Sa cupidité et son avarice l'ont mené à une telle solitude qu'il renie même la fête de Noël. Le soir du 24 décembre, le fantôme de Jacob Marley, son ancien associé mort depuis sept ans, se présente à lui pour le mettre en garde. S'il ne change pas sa vie et sa façon de penser, il ne trouvera jamais le repos, même dans la mort. Il lui annonce que trois esprits vont se succéder pour le lui faire comprendre : l'esprit du Noël présent, l'esprit des Noëls passés et l'esprit des Noëls futurs. La prédiction de Marley se réalise : l'esprit du Noël Présent lui  montre les conséquences de sa façon de vivre sur les autres, celui des Noëls futurs les conséquences sur lui-même (ce que les bouddhistes appellent le "karma"). Quant à celui des Noëls passés, j'en parlerai plus loin.

Comme aujourd'hui, Noël est l'occasion de "faire la fête" et se traduit par une surabondance de mets tous plus appétissants les uns que les autres, ce qui nous vaut de fabuleuses descriptions : "On voyait, entassés sur le plancher, pour former une sorte de trône, des dindes, des oies, du gibier de toute espèce, des volailles grasses, des viandes froides, des cochons de lait, des jambons, des chapelets de saucisses, des pâtés de hachis, des plum-puddings, des bourriches d'huître, des marrons rôtis, des pommes vermeilles, des oranges juteuses, des poires succulentes, d'immenses gâteaux des rois et des bols de punch bouillant qui obscurcissaient la chambre de leur délicieuse vapeur. Un joyeux géant, superbe à voir (l'esprit du Noël présent), s'étalait à l'aise sur ce trône ; il portait à la main une torche allumée, dont la forme se rapprochait d'une corne d'abondance, et il l'élevait au-dessus de sa tête pour que sa lumière vînt frapper Scrooge, lorsque ce dernier regarda au travers de la porte entrebaillée."

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A aucun moment Dickens ne fait l'éloge de cette surabondance pour elle-même, jamais il ne confond le besoin et le désir. La surabondance est symbole de joie. Nous sommes loin de la société de consommation.

Ceux qui se souviennent de ce conte comme d'une miévrerie sentimentale feraient bien de relire le passage dans lequel le spectre du Noël présent montre à Scrooge le visage de la société que lui et ses pareils ont engendrée : "Nul changement, nulle dégradation, nulle décomposition de l'espèce humaine, à aucun degré, dans tous les mystères les plus merveilleux de la création, n'ont produit des monstres aussi horribles et aussi effrayants.
christmas-le-spectre.jpg Scrooge recula, pâle de terreur ; ne voulant pas blesser l'esprit, leur père peut-être, il essaya de dire que c'étaient de beaux enfants, mais les mots s'arrêtèrent d'eux-mêmes dans sa gorge, pour ne pas se rendre complices d'un mensonge si énorme.

- Esprit ! est-ce que ce sont vos enfants ?

- Ce sont les enfants des hommes, dit l'Esprit laissant tomber sur eux un regard, et ils s'attachent à moi pour échapper à leurs pères. Celui-là est l'Ignorance ; celle-ci la Misère. Gardez-vous de l'un et de l'autre et de toute leur descendance, mais surtout du premier, car sur son front je vois écrit : Condamnation. Hâte-toi, dit-il en étendant sa main vers la cité ; hâte-toi d'effacer ce mot qui te condamne plus que lui ; toi à ta ruine, comme lui au malheur. Ose dire que tu n'en es pas coupable ; calomnie même ceux qui t'accusent : cela peut servir au succès de tes desseins abominables. Mais gare à la fin !
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Si le personnage principal du conte est bien Ebenezer Scrooge, le vieil avare qui manque à la foi (il refuse de croire que Noël n'est pas un jour comme les autres), à l'espérance (il refuse de se réjouir) et à la charité (il refuse de donner gratuitement), le personnage "essentiel", celui vers lequel tout converge, n'est pas "l'enfant de la crèche", mais Tiny Tim, le petit infirme, le plus jeune fils de son commis Bob Cratchit : "Il réfléchit énormément et on ne saurait croire toutes les idées qui lui passent par la tête. Il me disait, en revenant qu'il espérait avoir été remarqué dans l'église par les fidèles, parce qu'il est estropié, et que les chrétiens doivent aimer, surtout un jour de Noël, à se rappeler celui qui a fait marcher les boiteux et voir les aveugles. La voix de Bob tremblait en répétant ces mots ; elle trembla plus encore quand il ajouta que Tiny Tim devenait chaque jour plus fort et plus vigoureux."

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Dickens le dit explicitement, l'enfant infirme est une "émanation du divin", le visage de Dieu sur la terre et c'est grâce à lui que Scrooge découvrira son manque essentiel : la paternité.

Dans les trois séances de son séminaire de 1958 consacré à la métaphore paternelle, Jacques Lacan évoque ce poème de Victor Hugo extrait de La Légende des siècles (Booz endormi) et en particulier ce vers qui contient,  selon lui, la définition (métonymique et métaphorique) de la paternité :
"Sa gerbe n'était point avare ni haineuse."

L'esprit des Noëls passés joue un rôle de thérapeute vis-à-vis d'Ebenezer Scrooge. C'est lui qui l'aide à se ressouvenir de la "scène primordiale" au cours de laquelle sa fiancée lui a demandé de "choisir" entre elle et l'appât du gain. L'esprit des Noëls passés n'est ni celui qui menace, ni celui qui encourage, mais celui qui montre le premier maillon de la chaîne que Scrooge s'est forgée (le fantôme de Marley apparaît à Scrooge chargé de chaînes). L'esprit des Noëls passés est celui qui réconcilie Scrooge avec sa propre histoire et lui permet de retrouver le "point de bifurcation" à partir duquel il pourra réorienter son existence, découvrir le don, la liberté et la joie. Cette découverte s'apparente à une "renaissance" ("Christmas" est la fête de la Nativité (Nativity), "Noël" vient de "natalis"). La "renaissance" de Scrooge fait refleurir la vie au coeur de l'hiver et modifie le destin : Tiny Tim dont l'esprit des Noëls futurs lui avait prédit la mort vivra afin qu'il devienne pour lui un "second père".

Scrooge, d'une certaine façon, c'est un peu ce que Dickens lui-même, l'adolescent pauvre et humilié, aurait pu devenir s'il avait succombé à l'obsession du manque, s'il n'avait pas trouvé lui aussi, dans l'écriture, une forme de "salut".

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La fin du conte :

 

C'était une colonne de lit.  


Oui, et de son lit encore et dans sa chambre bien mieux. Le lendemain lui appartenait pour s'amender et réformer sa vie.


"Je veux vivre dans le passé; le présent et l'avenir!" répéta Scrooge en sautant à bas du lit. Les leçons des trois esprits demeureront gravées dans ma mémoire. "0 Jacob Marley! que le ciel et la fête de Noël soient bénis de leurs bienfaits! je le dis à genoux, vieux Jacob, oui, à genoux." Il était si animé, si échauffé par de bonnes résolutions, que sa voix brisée répondait à peine au sentiment qui l'inspirait. Il avait sangloté violemment dans sa lutte avec l'esprit, et son visage était inondé de larmes.


"Ils ne sont pas arrachés", s'écria Scrooge embrassant un des rideaux de son lit, "ils ne sont pas arrachés, ni les anneaux non plus. Ils sont ici, je suis ici; les images des choses qui auraient pu se réaliser peuvent s'évanouir; elles s'évanouiront, je le sais!"


Cependant ses mains étaient occupées à brouiller ses vêtements; il les mettait à l'envers, les retournait sens dessus dessous, le bas en haut et le haut en bas; dans son trouble, il les déchirait, les laissait tomber à terre, les rendait enfin complices de toutes sortes d'extravagances.


"Je ne sais pas ce que fais!" s'écria-t-il riant et pleurant à la fois, et se posant avec ses bas en copie parfaite du Laocoon antique et de ses serpents. "Je suis léger comme une plume; je suis heureux comme un ange, gai comme un écolier, étourdi comme un homme ivre. Un joyeux Noël à tout le monde! une bonne, une heureuse année à tous! Holà! hé! ho! holà!"


Il avait passé en gambadant de sa chambre dans le salon, et se trouvait là maintenant, tout hors d'haleine.


"Voilà bien la casserole où était l'eau de gruau!" s'écria-t-il en s'élançant de nouveau et recommençant ses cabrioles devant la cheminée. "Voilà la porte par laquelle est entré le spectre de Marley! voilà le coin où était assis l'esprit de Noël présent! voilà la fenêtre où j'ai vu les âmes en peine: tout est à sa place, tout est vrai, tout est arrivé... Ah! ah! ah!"


Réellement, pour un homme qui n'avait pas pratiqué depuis tant d'années, c'était un rire splendide, un des rires les plus magnifiques, le père d'une longue, longue lignée de rires éclatants !


"Je ne sais quel jour du mois nous sommes aujourd'hui!" continua Scrooge. "Je ne sais combien de temps je suis demeuré parmi les esprits. Je ne sais rien: je suis comme un petit enfant. Cela m'est bien égal. je voudrais bien l'être, un petit enfant. Hé! holà! houp! holà! hé!" 


Il fut interrompu dans ses transports par les cloches des églises qui sonnaient le carillon le plus folichon qu'il eût jamais entendu. Ding, din, dong, boum! boum, ding, din, dong! Boum! boum! boum! dong! ding, din, dong! boum!


"Oh! superbe, superbe!"


Courant à la fenêtre, il l'ouvrit et regarda dehors. Pas de brume, pas de brouillard; un froid clair, éclatant, un de ces froids qui vous égayent et vous ravigotent, un de ces froids qui sifflent à faire danser le sang dans vos veines; un soleil d'or; un ciel divin; un air frais et agréable; des cloches en gaieté. Oh! superbe, superbe !


"Quel jour sommes-nous aujourd'hui?" cria Scrooge de sa fenêtre à un petit garçon endimanché qui s'était arrêté peut-être pour le regarder.


- "Hein?" répondit l'enfant ébahi.

- "Quel jour sommes-nous aujourd'hui, mon beau garçon?" dit Scrooge.

- "Aujourd'hui!" repartit l'enfant; "mais c'est le jour de Noël."

- "Le jour de Noël!" se dit Scrooge. "Je ne l'ai donc pas manqué! Les esprits ont tout fait en une nuit. Ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent; qui en doute? certainement qu'ils le peuvent. Holà! hé! mon beau petit garçon!"

- "Holà!" répondit l'enfant.

- "Connais-tu la boutique du marchand de volailles, au coin de la seconde rue?"

- "Je crois bien!"

"Un enfant plein d'intelligence!" dit Scrooge. "Un enfant remarquable! Sais-tu si l'on a vendu la belle dinde qui était hier en montre? pas la petite; la grosse?"

- "Ah! celle qui est aussi grosse que moi?"

- "Quel enfant délicieux!" dit Scrooge. "Il y a plaisir à causer avec lui. Oui, mon chat!"

- "Elle y est encore", dit l'enfant.

- "Vraiment!" continua Scrooge. "Eh bien, va l'acheter!"

- "Farceur!" s'écria l'enfant.

- "Non", dit Scrooge, ":je parle sérieusement. Va acheter et dis qu'on me l'apporte; je leur donnerai ici l'adresse où il faut la porter. Reviens avec le garçon et je te donnerai un schelling. Tiens! si tu reviens avec lui en moins de cinq minutes, je te donnerai un écu."


L'enfant partit comme un trait. Il aurait fallu que l'archer eût une main bien ferme sur la détente pour lancer sa flèche moitié seulement aussi vite.


"Je l'enverrai chez Bob Cratchit", murmura Scrooge se frottant les mains et éclatant de rire. "Il ne saura pas d'où cela lui vient. Elle est deux fois grosse comme Tiny Tim. Je suis sûr que Bob goûtera la plaisanterie; jamais Joe Miller n'en a fait une pareille."


Il écrivit l'adresse d'une main qui n'était pas très ferme, mais il l'écrivit pourtant, tant bien que mal, et descendit ouvrir la porte de la rue pour recevoir le commis du marchand de volailles. Comme il restait là debout à l'attendre, le marteau frappa ses regards.


"Je l'aimerai toute ma vie!" s'écria-t-il en le caressant de la main. "Et moi qui, jusqu'à présent, ne le regardais jamais, je crois. Quelle honnête expression dans sa figure! Ah! le bon, l'excellent marteau! Mais voici la dinde! Holà! hé! Houp, houp! comment vous va? Un joyeux Noël !"


C'était une dinde, celle-là! Non, il n'est pas possible qu'il se soit jamais tenu sur ses jambes, ce volatile; il les aurait brisées en moins d'une minute, comme des bâtons de cire à cacheter.

 

"Mais j'y pense, vous ne pourrez pas porter cela jusqu'à Camden-Town, mon ami", dit Scrooge; "il faut prendre un cab."


Le rire avec lequel il dit cela, le rire avec lequel il paya la dinde, le rire avec lequel il paya le cab, et le rire avec lequel il récompensa le petit garçon ne fut surpassé que par le fou rire avec lequel il se rassit dans son fauteuil, essoufflé, hors d'haleine, et il continua de rire jusqu'aux larmes.


Ce ne lui fut pas chose facile que de se raser, car sa main continuait à trembler beaucoup; et cette opération exige une grande attention, même quand vous ne dansez pas en vous faisant la barbe. Mais il se serait coupé le bout du nez, qu'il aurait mis tout tranquillement sur l'entaille un morceau de taffetas d'Angleterre sans rien perdre de sa bonne humeur.


Il s'habilla, mit tout ce qu'il avait de mieux, et, sa toilette faite, sortit pour se promener dans les rues. La foule s'y précipitait en ce moment, telle qu'il l'avait vue en compagnie du spectre de Noël présent. Marchant les mains croisées derrière le dos, Scrooge regardait tout le monde avec un sourire de satisfaction. Il avait l'air si parfaitement gracieux, en un mot, que trois ou quatre joyeux gaillards ne purent s'empêcher de l'interpeller :


"Bonjour, monsieur! Un joyeux Noël, monsieur!" Et Scrooge affirma souvent plus tard que, de tous les sons agréables qu'il avait jamais entendus, ceux-là avaient été, sans contredit, les plus doux à son oreille.


Il n'avait pas fait beaucoup de chemin, lorsqu'il reconnut, se dirigeant de son côté, le monsieur à la tournure distinguée qui était venu le trouver la veille dans son comptoir, et lui disant: "Scrooge et Marley, je crois?"

 

Il sentit une douleur poignante lui traverser le coeur à la pensée du regard qu'allait jeter sur lui le vieux monsieur au moment où ils se rencontreraient; mais il comprit aussitôt ce qu'il avait à faire, et prit bien vite son parti.


"Mon cher monsieur", dit-il en pressant le pas pour lui prendre les deux mains, "comment vous portez-vous? J'espère que votre journée d'hier a été bonne. C'est une démarche qui vous fait honneur! Un joyeux Noël, monsieur!"


- "Monsieur Scrooge?"

- "Oui, c'est mon nom; je crains qu'il ne vous soit pas des plus agréables. Permettez que je vous fasse mes excuses. Voudriez-vous avoir la bonté..." (Ici Scrooge lui murmura quelques mots à l'oreille.)

- "Est-il Dieu possible!" s'écria ce dernier, comme suffoqué. "Mon cher monsieur Scrooge, parlez-vous sérieusement?"

- "S'il vous plaît", dit Scrooge; "pas un liard de moins. Je ne fais que solder l'arriéré, je vous assure. Me ferez-vous cette grâce?"

- "Mon cher monsieur, reprit l'autre en lui secouant la main cordialement, je ne sais comment louer tant de munifi..."

- "Pas un mot, je vous prie", interrompit Scrooge. "Venez me voir; voulez-vous venir me voir?"

- "Oui! sans doute", s'écria le vieux monsieur. Évidemment, c'était son intention; on ne pouvait s'y méprendre, à son air.


"Merci" dit Scrooge. "Je vous suis infiniment reconnaissant, je vous remercie mille fois. Adieu!"


Il entra à l'église; il parcourut les rues, il examina les gens qui allaient et venaient en grande hâte, donna aux enfants de petites tapes caressantes sur la tête, interrogea les mendiants sur leurs besoins, laissa tomber des regards curieux dans les cuisines des maisons, les reporta ensuite aux fenêtres; tout ce qu'il voyait lui faisait plaisir. Il ne s'était jamais imaginé qu'une promenade, que rien au monde pût lui donner tant de bonheur. L'après-midi, il dirigea ses pas du côté de la maison de son neveu.


Il passa et repassa une douzaine de fois devant la porte, avant d'avoir le courage de monter le perron et de frapper. Mais enfin il s'enhardit et laissa retomber le marteau.

"Votre maître est-il chez lui, ma chère enfant?" dit Scrooge à la servante... "Beau brin de fille, ma foi!"


- "Oui, monsieur."

- "Où est-il, mignonne?"

- "Dans la salle à manger, monsieur, avec madame. Je vais vous conduire au salon, s'il vous plaît."

- "Merci; il me connaît", reprit Scrooge, la main déjà posée sur le bouton de la porte de la salle à manger; "je vais entrer ici, mon enfant."

Il tourna le bouton tout doucement, et passa la tête de côté par la porte entrebâillée. Le jeune couple examinait alors la table (dressée comme pour un gala), car ces nouveaux mariés sont toujours excessivement pointilleux sur l'élégance du service: ils aiment à s'assurer que tout est comme il faut.


"Fred!" dit Scrooge.


Dieu du ciel! comme sa nièce par alliance tressaillit! Scrooge avait oublié, pour le moment, comment il l'avait vue assise dans son coin, un peu souffrante, sans quoi il ne serait point entré de la sorte; il n'aurait pas osé.


"Dieu me pardonne!" s'écria Fred, "qui est donc là?"

- "C'est moi, votre oncle Scrooge; je viens dîner. Voulez-vous que j'entre, Fred?"


S'il voulait qu'il entrât! Peu s'en fallut qu'il ne lui disloquât le bras pour le faire entrer. Au bout de cinq minutes, Scrooge fut à son aise comme dans sa propre maison. Rien ne pouvait être plus cordial que la réception du neveu; la nièce imita son mari; Topper en fit autant, lorsqu'il arriva, et aussi la petite soeur rondelette, quand elle vint, et tous les autres convives, à mesure qu'ils entrèrent. Quelle admirable partie, quels admirables petits jeux, quelle admirable unanimité, quel admirable bonheur!


Mais le lendemain, Scrooge se rendit de bonne heure au comptoir, oh! de très bonne heure. S'il pouvait seulement y arriver le premier et surprendre Bob Cratchit en flagrant délit de retard! C'était en ce moment sa préoccupation la plus chère.


Il y réussit; oui, il eut ce plaisir! L'horloge sonna neuf heures, point de Bob; neuf heures un quart, point de Bob. Bob se trouva en retard de dix-huit minutes et demie. Scrooge était assis, la porte toute grande ouverte, afin qu'il le pût voir se glisser dans sa citerne.


Avant d'ouvrir la porte, Bob avait ôté son chapeau, puis son cache-nez: en un clin d'oeil, il fut installé sur son tabouret et se mit à faire courir sa plume, comme pour essayer de rattraper neuf heures.


"Holà!" grommela Scrooge, imitant le mieux qu'il pouvait son ton d'autrefois; "qu'est-ce que cela veut dire de venir si tard?"

- "Je suis bien fâché, monsieur", dit Bob. "Je suis en retard."

- "En retard!" reprit Scrooge. "En effet, il me semble que vous êtes en retard. Venez un peu par ici, s'il vous plaît."


- "Ce n'est qu'une fois tous les ans, monsieur", dit Bob timidement en sortant de sa citerne; "cela ne m'arrivera plus. je me suis un peu amusé hier, monsieur."

- "Fort bien; mais je vous dirai, mon ami", ajouta Scrooge, "que je ne puis laisser plus longtemps aller les choses comme cela. Par conséquent, poursuivit-il, en sautant à bas de son tabouret et en portant à Bob une telle botte dans le flanc qu'il le fit trébucher jusque dans sa citerne; par conséquent, je vais augmenter vos appointements!"


Bob trembla et se rapprocha de la règle de son bureau. Il eut un moment la pensée d'en assener un coup à Scrooge, de le saisir au collet et d'appeler à l'aide les gens qui passaient dans la ruelle pour lui faire mettre la camisole de force.


"Un joyeux Noël, Bob!" dit Scrooge avec un air trop sérieux pour qu'on pût s'y méprendre et en lui frappant amicalement sur l'épaule. "Un plus joyeux Noël, Bob, mon brave garçon, que je ne vous l'ai souhaité depuis longues années! Je vais augmenter vos appointements et je m'efforcerai de venir en aide à votre laborieuse famille; ensuite cette après-midi nous discuterons nos affaires sur un bol de Noël rempli d'un bischoff fumant, Bob! Allumez les deux feux; mais avant de mettre un point sur un i, Bob Cratchit, allez vite acheter un seau neuf pour le charbon."

 

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Scrooge fit encore plus qu'il n'avait promis; non seulement il tint sa parole, mais il fit mieux, beaucoup mieux.


Quant à Tiny Tim, qui ne mourut pas, Scrooge fut pour lui un second père.


Il devint un aussi bon ami, un aussi bon maître, un aussi bon homme que le bourgeois de la bonne vieille Cité, ou de toute autre bonne vieille cité, ville ou bourg, dans le bon vieux monde. Quelques personnes rirent de son changement; mais il les laissa rire et ne s'en soucia guère; car il en savait assez pour ne pas ignorer que, sur notre globe, il n'est jamais rien arrivé de bon qui n'ait eu la chance de commencer par faire rire certaines gens. Puisqu'il faut que ces gens-là soient aveugles, il pensait qu'après tout il vaut tout autant que leur maladie se manifeste par les grimaces, qui leur rident les yeux à force de rire, au lieu de se produire sous une forme moins attrayante. Il riait lui-même au fond du coeur; c'était toute sa vengeance.


Il n'eut plus de commerce avec les esprits; mais il en eut beaucoup plus avec les hommes, cultivant ses amis et sa famille tout le long de l'année pour bien se préparer à fêter Noël, et personne ne s'y entendait mieux que lui: tout le monde lui rendait cette justice.


Puisse-t-on en dire autant de vous, de moi, de nous tous, et alors, comme disait Tiny Tim : 

 

"Que Dieu nous bénisse, tous tant que nous sommes!"

 

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