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Bird and Dizz

 

Mémoire pour le DEM (UV DEM de Projet) de Julien-Aymeric GUILLOUX (2nde TMD), Conservatoire de Musique de BESANCON


 

 

PRESENTATION :

 

En tant que tromboniste jouant du jazz depuis des années, j’ai souhaité choisir comme sujet une branche de cette musique qui a profondément marqué le rythme, les mélodies, l’harmonie et l’esprit du jazz actuel : le « BEBOP » ; j’essaierai de montrer qu’il s’agit d’une musique de contestation étroitement liée à la ségrégation raciale aux Etats-Unis.

 

Il faut le placer dans le contexte sociopolitique et historique des années 40, afin de voir comment il exprime le sentiment de frustration revendicatrice éprouvé par une grande partie des Noirs américains.

 

Voici mon plan :

 

Introduction : où se situe le BEBOP dans l’arbre généalogique du jazz ?

Définition : qu’est-ce que le BEBOP ?

La naissance du BEBOP

Le rejet de la tradition du « Mainstream »

Les caractéristiques et les apports du BEBOP

La double prise de conscience des musiciens noirs américains : retrouver une identité culturelle propre et créer un langage nouveau.

La transition vers le « Jazz Cool » et le « Hard Bop »

Biographie et portraits des principaux musiciens créateurs du BEBOP

Conclusion personnelle

 

INTRODUCTION : Où se situe le BEBOP dans l’arbre généalogique du jazz ? 

 

Le jazz est, par essence, une musique de révolte, celle que créèrent les esclaves noirs déportés d’Afrique en Amérique et considérés comme de la marchandise par les Blancs, entassés comme du bétail, contraints de servir de main-d’œuvre non payée, maltraités et battus sans espoir de retourner à leur Terre natale, sans espoir de justice. Ce n’est que par la musique, le chant dans les plantations ou lors des évangélisations, quand ils apprenaient des cantiques ou des psaumes dont ils déformaient les paroles religieuses pour exprimer leur sentiment de détresse, ou en tapant sur des instruments rudimentaires, qu’ils pouvaient trouver un dérivatif à leur malheur. Telles sont les racines du Jazz. Les esclaves créèrent un chant triste, le BLUES, au début du XXème siècle, qui se structurera sur une carrure harmonique de 12 mesures.  Puis apparurent progressivement toutes les autres branches du Jazz et de ses dérivés, comme nous l’expose Albert Raisner, à partir d’un tronc dont les racines sont occidentales d’un côté et africaines de l’autre. Le BEBOP est la 5ème branche de cet arbre. Il émerge dans les années 40, jusque dans les années 50 où il devient HARD BOP, puis il ouvre la voie au JAZZ COOL et au FREE JAZZ. Avec son lot de créateurs de tout premier plan, il est l’une des parties les plus importantes de  l’évolution du jazz.

 

DEFINITION : On appelle « BEBOP » ou « BOP » le style de jazz issu d’un mouvement qui a vu le jour au début des années 40 sous l’impulsion de musiciens noirs de très grand talent, nés dans les années 20, notamment le guitariste Charlie CHRISTIAN, le pianiste Thelonious MONK, le batteur Kenny CLARKE, le trompettiste Dizzy GILLESPIE, le tromboniste Jay Jay JOHNSON, etc. et celui qui allait devenir un des géants de l’Histoire du jazz, le saxophoniste alto Charlie PARKER . L’émergence de ce style nouveau fit l’effet d’une bombe qui dérangea énormément les musiciens du jazz classique traditionnel appartenant au « mainstream », ainsi que la critique musicale. Fatigués de jouer toujours un peu la même chose, ces novateurs vont contester le répertoire habituel, tout en imposant une conception rythmique plus complexe et un système harmonique très élaboré. C’est ce mouvement que l’on appelle la Révolution BEBOP. Le jazz contemporain lui doit presque tout.

 

NAISSANCE : Le BEBOP est né à New-York, au sud de Harlem, dans un cabaret de la 118ème rue Est (selon certains auteurs, dans la 52ème rue) qui s’appelait le « Minton’s Play-House »), à l’abri, pourrait-on dire, des oreilles indiscrètes car l’auditoire était composé en partie de musiciens amis et de connaisseurs. Il s’agissait d’une petite boîte de jazz ouverte sur l’initiative d’un certain Henry MINTON, ancien saxophoniste et chef d’orchestre qui venait d’être élu délégué de Harlem auprès du « Local 802 », le syndicat des musiciens. Il fut le premier noir à être élevé à ce poste. Il y installa comme gérant un autre chef d’orchestre, Teddy HILL, qui engagea un quartet formé du pianiste Thelonius MONK, du batteur Kenny KLARKE et du trompettiste Joe GUY (1920-1962), ayant travaillé avec Fats WALLER, Coleman HAWKINS, Charlie BARNET, etc. Ils encourageaient les musiciens à venir boire, se restaurer et jouer en « Jam sessions », c’est-à-dire « faire le bœuf » (le terme « bœuf » viendrait du nom du cabaret de Saint-Germain des Prés, à Paris, le « Bœuf sur le toit » où on jouait les musiques nouvelles entre les deux guerres). Voici comment Lucien MALSON, coauteur du « Que Sais-je ? » sur le jazz, décrit l’ambiance qui régnait dans ce cabaret : « Le Minton’s Play-House » était assez exigu, mais de ce fait très intime. L’une des deux salles, celle du fond, aux murs chargés de tableaux, devait devenir le rendez-vous de tous les artistes chercheurs, de tous ceux qui, lassés d’exécuter de la musique sur commande, au goût des « squares » ou orchestres blancs, désiraient inventer à leur gré selon des normes qu’eux seuls s’imposaient. Chaque nuit, les « Cats » montaient sur le petit podium du Minton’s et se bousculaient pour s’y maintenir. Le public n’avait aucun droit. Les musiciens jouaient pour les musiciens et chacun à sa fantaisie. La majorité des spectateurs, au demeurant, se composait de confrères. On y pouvait tout tenter, tout entreprendre. En ce séminaire, ce haut lieu d’un autre jazz, les idées nouvelles, dont la valeur s’éprouvait dans l’exercice, se trouvaient soumises à la critique spontanée d’un auditoire averti et passionné. »

 

De cette époque il ne reste qu’un seul témoignage capital, l’enregistrement en direct par un amateur, Jerry NEWMANN, d’une de ces « Jam Sessions » ; il nous fait entendre un long solo de guitare électrique, encore aujourd’hui très impressionnant, « Stomping at the Savoy », dont la structure est de 32 mesures AABA. C’est Charly Christian qui fit ce solo, en alignant 6 chorus à la suite dans la partie B ou « Bridge » (Pont). Basée sur des enchaînements harmoniques sophistiqués pour l’époque, elle lui permit de montrer une stupéfiante maîtrise harmonique, ainsi qu’une fraîcheur d’invention mélodique toute nouvelle.

 

Charly CHRISTIAN peut être considéré comme un important musicien de transition entre le SWING et le BOP. Face à la guerre et à la ségrégation raciale, tous les musiciens de jazz n’ont pas réagi de la même façon. La guerre, avec son climat de violence et de barbarie, répercutait ses grondements dans la musique de ce temps. Certains jazzmen enregistrent les « V discs » (« disques de la Victoire »), destinés à soutenir le moral des combattants. Selon la thèse Philippe HUCHER, dans « Le Jazz » (Flammarion), et malgré la guerre « le jazz résonne plus que jamais dans les cabarets new-yorkais. Un jazz ultra expressionniste, violent, se développe alors et connaît le succès : celui des saxophonistes hurleurs, des orchestres de rhythm and blues qui préfigure le rock and roll. C’est contre ce jazz hurleur et facile que les Boppers vont s’insurger, car ils ne se reconnaissent pas dans une expression aussi caricaturale. De plus, il y a une déferlante de variété médiocre sur les ondes de radio que les Boppers refusent.

 

LE REJET DE LA TRADITION DU MAINSTREAM : A l’époque où Charlie CHRISTIAN joue ses magnifiques chorus de guitare, les contrebassistes Jimmy BLANTON, Oscar PETTIFORD et Charlie MINGUS (cf. biographies et portraits dans les illustrations en fin de dossier), s’affranchissent de la section rythmique pour devenir des solistes à part entière, ce qui est un pas important vers la conquête de l’autonomie et de l’identité de l’artiste noir. Charlie PARKER bouscule le jazz et annonce le jazz à venir, entouré par d’autres musiciens illustres : le pianiste Thelonius MONK, le batteur Kenny CLARKE, déjà cité, qui, s’écartant parfois de la tradition du 4/4 régulier, introduit des rythmes plus complexes, plus tortueux ; cette nouvelle esthétique séduit le trompettiste Fats NAVARRO et le pianiste Bud POWELL. En 1944, Charlie PARKER enregistre « Red Cross » et inaugure ainsi les débuts d’une musique pleine de délire et d’angoisses : c’est le BOP. Cette nouvelle conquête de la liberté musicale représente une prise de risque importante. Elle a été sujette à polémique ; certains se sont même demandé si le BEBOP était du Jazz, car dès qu’un musicien manifeste le désir de se démarquer, de créer et d’évoluer hors du cadre préétabli (le jazz classique ayant fixé des structures très définies dans les années 40, illustrées par le « mainstream »), il cesse d’être compris.

 

Le 26 novembre 45, Charlie PARKER, Dizzy GILLESPIE, le batteur Max ROACH et le bassiste Curley RUSSELL enregistrent « Koko », version novatrice de « Cherokee » qui fut un succès de Count BASIE. Le bouleversement de la mélodie, les déséquilibres incessants d’une rythmique déchaînée, le discours presque atonal de PARKER, tout est nouveau dans cet enregistrement. On assiste là, toujours selon Philippe HUCHER, à un rejet systématique de la tradition.

 
1) Apports sur le plan rythmique : le Jazz classique avait progressivement affiné une pulsation que les sections

C’est de ce rejet que naissent les principales caractéristiques du BEBOP : liberté de la rythmique (on l’a vu chez PARKER), avec un tempo marqué par la basse et la cymbale, tandis que le piano, la guitare et les autres éléments de la batterie ponctuent en toute liberté. Les mélodistes, de leur côté, s’ingénient à refuser systématiquement les conventions imposées jusque là dans la musique de variété (beaucoup moins savante), ce qui entraîne une nouvelle approche du son, une réharmonisation des thèmes, empruntés à divers répertoires. Cette attitude incite de plus en plus les BOPPERS à créer leurs propres morceaux, souvent très marqués par le BLUES.

 

CARACTERISTIQUES ET APPORTS DU BEBOP : Ce qui diffère du jazz classique, à côté de la réorganisation harmonique et des nouveautés rythmiques, c’est le type d’articulation qui rompt avec le mainstream et qui le change en quelque chose de vraiment nouveau.

 

Par exemple : dans « Jumpin’ the Blues » de Jay M. CHANN (1942), on rencontre certaines formules rythmiques en triolet et des types de début d’anacrouse en double croche qui deviendront courants dans le BOP.

 

 

             1) Apports sur le plan rythmique : le jazz classique avait progressivement affiné une pulsation que les sections d’instruments rythmiques rendaient à la perfection, ce qui dégageait un swing basé sur les 4 temps, très marqués par la guitare et la contrebasse, et parfois par la « pompe » du piano, ainsi que par la batterie, ce qui avait eu pour avantage de faire disparaître la lourdeur rythmique militaire du jazz New Orleans. Le BOP vient changer tout cela, au grand désarroi du jazz classique et de beaucoup de danseurs en majorité noirs.

 

Les BOPPERS aiment les tempi très rapides qui se prêtent mal à la danse.

Au contraire, ils aiment jouer les ballades sur un tempo très lent : ils improvisent alors en double croche, ou en valeurs démultipliées.

La répartition des rôles au sein de la section rythmique n’est plus la même : plus du tout de pompe au piano, mais des accords plaqués du fait de l’irrégularité des thèmes, du phrasé heurté des improvisations et de la complication harmonique.

Pour la 1ère fois, la pédale de la grosse caisse marque systématiquement de forts accents syncopés (les « bombs »), la caisse claire soulignant les accentuations du discours du soliste, orientant ou modifiant le cours de l’improvisation. C’est la grande cymbale (la ride) du batteur, et le contrebassiste qui assurent la continuité de la pulsation exprimée, ce qui est une lourde responsabilité, surtout pour le contrebassiste.

 

 2) Apports sur le plan mélodique :

 

On notera que le BEBOP de l’époque historique s’est surtout joué en petite formation (surtout en quintet : deux vents, piano, contrebasse et batterie), qu’on appelle

« combos », diminutif de « small combination ». On a l’enchaînement suivant : exposition du thème (une fois pour 32 mesures), puis « bridge », pont improvisé par un des solistes, deux fois s’il s’agit d’un blues de 12 mesures, puis les solistes à vent prennent chacun un ou plusieurs chorus, suivis par le pianiste. Vient alors souvent un échange par série de 4 mesures entre les vents et la batterie et on « go home » (« rentre à la maison ») en réexposant le thème initial.

 

Remarques stylistiques : les thèmes en tempo moyen ou rapide ne cherchent plus à être mélodieux ou chantants. Sauf exception, ils sont heurtés, découpés de façon si soudaine, qu’il faut à l’auditeur qui n’y connaît rien en jazz deux ou trois auditions pour y retrouver une continuité mélodique. Ce refus de ce qui pourrait être « rassurant et joli » traduit l’hostilité des boppers vis-à-vis de la récupération du jazz par la variété.

En revanche, des mélodies fades et insipides peuvent devenir des mélodies très élaborées sous les doigts des boppers, comme « Whispering », une bluette de 1920, qui va devenir en 44 « Groovin’ high », ce qui pourrait vouloir dire en jargon de jazz : « très défoncé » 


   3) Apports sur le plan harmonique :


Il y a principalement trois innovations harmoniques crées par le BEBOP :

        Les accords de passage

L’extension des superstructures

Les accords de substitution

 

a) Les accords de passage :


Dès la fin des années 30, les jazzmen sont lassés du passage de l’accord de tonique à la 7ème de dominante qui leur semble « corny » (bouseux, ringard). On va donc utiliser des accords de passage qui enrichissent l’harmonie. Exemple : en partant de la grille du blues archaïque, on enrichit les accords qui mènent à la dominante en usant du chromatisme.

 

              b) L’extension des superstructures :

 

Les BOPPERS utilisent des accords de 11ème ou 11ème augmenté et fréquemment des accords de 13ème, ce qui amène de la polytonalité. Pourtant, tous ne connaissaient pas la musique de Ravel et de Debussy.

 

 

            c) Les accords de substitution :


Les accords de substitution remplacent un accord principal par l’utilisation de l’enharmonie.

 

 

 

DOUBLE PRISE DE CONSCIENCE DES MUSICIENS NOIRS AMERICAINS :

 

Retrouver une identité culturelle propre et créer un langage nouveau :

 

L’émergence du style BEBOP est liée au contexte des années 40, au moment de l’éclatement de la Deuxième Guerre Mondiale (7/12/41 : attaque japonaise sur Pearl Harbour). Les Etats-Unis entrent dans une économie de guerre et d’armement, ce qui oblige les Noirs du Sud à rejoindre les villes industrielles du Nord (lorsqu’ils ne sont pas mobilisés ou tués) ; les Noirs vont alors trouver du travail un peu mieux payé qu’avant, mais ils s’aperçoivent vite que ce semblant d’amélioration de leur statut économique ne leur permet pas de sortir de leurs ghettos. Jacques B. Hess insiste beaucoup sur ce point dans son analyse sur « l’ancrage socio-historique du BEBOP ». Conséquence de tout cela : des émeutes éclatent à Detroit, à Newark, et surtout à Harlem en 1943. Les Noirs attaquent et pillent des magasins tenus par des Blancs et s’opposent aux policiers blancs. Cette révolte vient d’une prise de conscience fondamentale et déterminante dans l’émergence du style BEBOP des Noirs qui comprennent que leur contribution à l’effort de guerre et au sang versé n’a rien changé à leur situation. C’est toujours la même chanson :

 

“If you’r white, you’r all right !” : si tu es blanc, ça va !

“If you’r brown, stick around !” : si tu es café au lait, attends !

« If you’r black, don’t come back ! » : si tu es noir, inutile de revenir !


Cette prise de conscience affecte la génération des jazzmen née dans les années 20 qui se sent profondément différente de la précédente. Le terrain de cette prise de conscience avait déjà été préparé par les grands du jazz classique comme Duke ELLINGTON. Le 23/01/1943, il donne à Carnegy Hall un concert d’un orchestre composé uniquement de musiciens noirs avec une suite de morceaux intitulée « Black, Brown and beige », sorte de manifeste d’intégration raciale. Voici ce qu’il dit au public à la fin du troisième morceau : « Aujourd’hui notre pays est en guerre, (…) et comme toujours les « black, brown et beige » (gens de couleurs) sont là pour défendre les « white, red and blue » (couleurs du drapeau américain, le « Star Spangled Banner »)

 

Dizzy GILLESPIE va encore plus loin dans la provocation : convoqué au conseil de révision, il est tout nu en serrant sous son bras sa trompette enveloppée dans du papier. On le conduit alors vers la commission psychiatrique et on lui demande ce qu’il pense de la guerre. Dizzy répond : « Ecoutez, qui est-ce qui m’a fait chier, qui m’a emmerdé jusqu’au cou dans ce pays depuis toujours, hein ? Les Blancs, personne d’autre ! Vous venez me parler des ennemis, les Allemands, moi, je veux bien, mais je n’en ai jamais rencontré un seul. Alors si vous m’envoyez au front avec un fusil entre les mains et l’ordre de tirer sur l’ennemi, je suis bien capable de faire un transfert d’identité en ce qui concerne la cible. »

 

La prise de position des Noirs, violente dans les émeutes, mais légitime dans son expression de révolte et de contestation, nous montre qu’ils ne sont pas d’accord avec une intégration qui serait fondée sur l’acceptation des codes sociaux des Blancs en échange d’une sorte de reconnaissance par les Blancs de leur dignité de Noirs. Vingt ans après, dans les années 60, le racisme et la discrimination étaient encore et toujours présents. Les musiciens noirs créateurs du BEBOP, en voulant retrouver leur identité perdue, ont ouvert la voie et contribué à la reconnaissance de leur identité et de leur valeur.

 

Voici dans quelle situation morale se trouvaient les Noirs, en particulier les musiciens de talent conscients, comme Dizzy, de leur valeur et de leur supériorité sur les jazzmen des autres régions des Etats-Unis. Toujours tout nu devant le conseil de révision, il poursuit ainsi : « Je joue avec des orchestres new-yorkais, et mettez-vous bien dans la tête que sur le plan musical, c’est un autre niveau que la côte ouest ! Jamais je ne jouerai avec les orchestres de là-bas. »

 

En 1944, c’est l’explosion du BEBOP et Dizzy avec Charlie Parker en sont les maîtres incontestés et les chefs de file. Ce nouveau style déroute totalement le public et la critique. Parmi les premiers enregistrements, il faut citer « Salt Peanuts », de caractère brillant et « Hot House », de caractère inquiétant. Dizzy enrichit son orchestre de percussions et de rythmes afro-cubains, grâce à un percussionniste havanais, Chano Fozo y Gonzales et c’est la venue en France, salle Pleyel, en 48, d’un Big Band qui enthousiasma le public parisien d’après-guerre par ses audaces harmoniques et rythmiques. Dizzy, appelé aussi « Dingo », qui a écrit une autobiographie intitulée « To be or not to bop », avait une réputation d’excentrique et des qualités de show man, tandis que PARKER, dit « Yard Bird », était plus solitaire et introverti, marqué par le « génie et la malédiction » (Jean Wagner, Guide du Jazz), car sa musique était totalement incomprise. Il souffrit beaucoup de l’indifférence de certains de ses confrères. Il se dégage de l’œuvre de PARKER un lyrisme heurté où la mélodie est faite de phrases brisées.

 

Dans l’aboutissement de son art, Dizzy abandonne la tradition musicale noire pour utiliser une technique musicale savante et des intervalles harmoniques puisés dans l’étude de la musique européenne. Il aboutit ainsi sur un tempo rapide, à un style de variations complexes et acrobatiques, d’où le swing était généralement absent et, dans les tempi lents, son jeu était déclamatoire et dépouillé. Dizzy illustre donc bien le nouveau style BEBOP. Dizzy connaît PARKER depuis 1941, car ils se sont rencontrés à l’occasion d’improvisations musicales ; ils sont réunis dans le célèbre enregistrement « Bird and Diz »

 

Tous deux avaient fait du « vrai Jazz » avant de participer à la création du BEBOP. Il en fut de même pour Bud POWELL et Fats NAVARRO. Miles DAVIS marque vraiment la rupture avec le « vrai Jazz » et resta jusqu’à la fin fidèle à lui-même et à une esthétique unique, troublante et mystérieuse. Il mettra des années à s’affranchir de l’emprise du BEBOP. « Il fut une sorte de prince ou d’aristocrate solitaire » (Jean Wagner, Guide du Jazz) qui chantait sa solitude et refusait toute concession, la musique ayant été la seule protection qu’il s’était trouvée, par laquelle il a créé des accents déchirants, d’autant plus émouvants qu’ils étaient fondés sur une économie de moyens, ce qui est déjà sensible dans « Don’t blame me » (1947).  Quant aux pianistes de BEBOP, à la suite de Duke ELLINGTON et d’Art TATUM, Thelonius MONK et Bud POWELL, ont affranchi le jazz de toutes les conventions pianistiques qui pouvaient encore limiter son horizon et improvisent des pièces dont la complexité et la densité rivalisent avec celles du répertoire pianistique européen.

 

Au début des années 50, le mouvement BEBOP est irréversible : les musiciens de Jazz ont intégré les sonorités de Charlie PARKER et ils ont maintenant conscience de faire une œuvre d’art, de créer un nouveau langage. Le jazz est alors l’un des rares domaines où les Noirs pouvaient réussir. Mais le simple divertissement ne correspondait plus à leurs aspirations.

 

L’important n’est plus de faire danser et de divertir, mais de s’exprimer avec son identité propre.

La volonté des musiciens noirs est de faire de la musique, non du spectacle, donc on ne fait pas cas d’une relative indifférence du public.

Sociologiquement, l’heure est à la déception et à la colère : à l’issu de la Guerre de 40, les Noirs, complètement désillusionnés, éprouvent une immense déception. Comme l’explique Jean Wagner dans « Le Guide du Jazz », la situation des Noirs après la guerre est à peu près la même qu’avant la guerre. Ceux qui avaient donné leur sang pour les Etats-Unis espéraient, en compensation de leurs sacrifices, la reconnaissance d’une américanité à part entière. Or, ils se sont aperçus que, débarrassés de leur uniforme, ils redevenaient des citoyens de seconde zone, qu’on payait moins que les Blancs pour faire les travaux les plus rebutants.

 

Le désespoir éprouvé par le peuple noir avait été précédé par un mouvement historique et un courant d’énergie vitale, le BEBOP, où, pour la première fois, derrière un appétit de vivre farouche, planait l’ombre de la mort.

 

TRANSITION VERS LE HARD BOP ET LE JAZZ COOL :

 

Le style vers lequel tend le BEBOP est le « COOL », puis peut-être, en réaction le « HARD BOP ». C’est ainsi qu’en 1949, un groupe de musiciens, noirs et blancs mélangés, enregistre, à l’initiative de Miles DAVIS, un disque « Birth of the cool », exprimant une désespérance sans révolte, une sorte de résignation qui rappelle un peu le Blues.

 

Au début des années 50, de nouveaux espoirs d’amélioration de la condition des Noirs américains se profilent à l’horizon : une bourgeoisie noire commence à émerger et à exercer une certaine influence ; en 54, la Cour suprême rend deux arrêts interdisant la ségrégation dans le domaine des transports et de l’enseignement. C’est à cette époque que correspond le COOL JAZZ. Cependant, il va y avoir une réaction au COOL due à la flambée de violence des années 60 qui conduira la musique des Noirs vers le Hard BOP (« hard » = violent). En effet, les musiciens qui avaient fait leur apprentissage en plein épanouissement du style BEBOP avaient pris conscience de leur négritude et avaient décidé de s’affirmer. Ils ressentaient amèrement le triomphe commercial des musiciens de la Côte Ouest et décidèrent d’employer l’agressivité jusqu’alors interdite comme mode d’expression. Le plus célèbre orchestre de HARD BOP avait dans son intitulé le mot « message » : il s’agissait des « Jazz messengers » qui croyaient au message que seuls les Noirs américains pouvaient apporter au monde. Il s’agit d’un retour aux sources de la négritude américaine avec les moyens musicaux de l’époque. Il en résulte donc un nouveau courant ambivalent, fait d’une simplicité dans l’inspiration, propre au Blues et au Negro Spirituals d’une part, et d’autre part d’une complexité dans la forme, hérité du BEBOP, ce qui produira des Jazzmen d’un niveau technique exceptionnel (exemple : le quintet de Max ROACH et Clifford BROWN, voir leur portrait en fin de dossier), qui représente ce que l’on peut appeler un HARD BOP « pur et dur ». Ce courant est illustré par John COLTRANE, tandis qu’Archie SHEPP illustre le courant parallèle au HARD BOP, le FREE-JAZZ.

 

CONCLUSION : le BEBOP n’est pas seulement un courant important dans l’Histoire du Jazz, mais une Révolution qui a profondément marqué le Jazz actuel en établissant de nouveaux codes et un nouveau langage que les jazzmen utilisent encore aujourd’hui.  Par sa dimension politique, sociale et identitaire, il déborde largement du cadre strictement musical.


 

Bibliographie :

 

- Jazz Hot encyclopédie : "Le BEBOP" de Jacques B. HESS, (Jazz Hot/L'Instant)

 

- Guide du Jazz : "Initiation à l'Histoire et l'esthétique du jazz" de Jean Wagner, (Syros)

 

- "Le Jazz" de Lucien Malson et Christian Bellest, (PUF,Que sais-je ?")

 

- "Le Jazz" de Philippe Hucher (Flammarion)


- "Le Jazz dans tous ses états" de Franck BERGEROT (Larousse)

 

- "L'aventure POP" d'Albert RAISNER (Robert Laffont)

 

- Il faut signaler également le film de Clint Eastwood "Bird" (Golden Globe du meilleur réalisateur) qui trace un portrait complexe de Charlie Parker, explorant  le génie musical de l'incarnation du BE-BOP et ses excès destructeurs.

 

 

Remerciements :


Mes parents, pour leur aide, Monsieur Dominique SOULAT, sans qui je n'aurais pas fait de Jazz, ainsi que les spécialistes qui ont écrit les ouvrages sur lesquels je me suis appuyé pour rédiger mon Mémoire.

 

 

 

 

 

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