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Baccalauréat

 

 

 

 

 

 

 

Objet d'étude : La question de l'Homme dans les genres de l'argumentation du XVlème siècle à nos jours.
Corpus : 
Document A : D'Alembert, Discours préliminaire, in L'Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 1751.
Document B : Jules Verne, Vngt mil
le lieues sous les mers, Première partie, chapitre XII « Tout par l'électricité »,1871.
Document C : Albert Robida, Le Vingtième Siècle, 1883.
Document D : Michel Serres, Petite Poucette, 2012.

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 Document A : D'Alembert, Discours préliminaire, in Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 1751.

 [Coordonnée et dirigée par Diderot et d'Alembert, l'Encyclopédie est un ouvrage emblématique du siècle des Lumières, qui cherche à établir la somme des connaissances scientifiques, des progrès techniques et des idées philosophiques du 18ème siècle. Le Discours préliminaire propose au lecteur un tableau synthétique des connaissances, qui réhabilite la place des arts mécaniques et des métiers.]

  Le mépris qu'on a pour les arts mécaniques1 semble avoir influé2 jusqu'à un certain point sur leurs inventeurs mêmes. Les noms de ces bienfaiteurs du genre humain sont presque tous inconnus, tandis que l'histoire de ses destructeurs, c'est-à­-dire des conquérants, n'est ignorée de personne. Cependant c'est peut-être chez les artisans qu'il faut aller chercher les preuves les plus admirables de la sagacité3 de l'esprit, de sa patience et de ses ressources. J'avoue que la plupart des arts n'ont été inventés que peu à peu, et qu'il a fallu une assez longue suite de siècles pour porter les montres, par exemple, au point de perfection où nous les voyons. Mais n'en est-il pas de même des sciences ? Combien de découvertes qui ont immortalisé leurs auteurs, avaient été préparées par les travaux des siècles précédents, souvent même amenées à leur maturité, au point de ne demander plus qu'un pas à faire ? Et pour ne point sortir de l'horlogerie, pourquoi ceux à qui nous devons la fusée4 des montres, l'échappement5 et la répétition, ne sont-ils pas aussi estimés que ceux qui ont travaillé successivement à perfectionner l'algèbre6 ? D'ailleurs, si j'en crois quelques philosophes que le mépris de la multitude pour les arts n'a point empêchés de les étudier, il est certaines machines si compliquées, et dont toutes les parties dépendent tellement l'une de l'autre, qu'il est difficile que l'invention en soit due à plus d'un seul homme. Ce génie rare dont le nom est enseveli dans l'oubli, n'eût-il pas été bien digne d'être placé à côté du petit nombre d'esprits créateurs, qui nous ont ouvert dans les sciences des routes nouvelles ?

1. Arts mécaniques : sciences de la construction et du fonctionnement des machines.
2. Avoir influé : avoir eu un impact.
3. Sagacité : finesse et vivacité d'esprit.
4. Fusée de montre : pièce mécanique en forme de petite toupie allongée.
5. Échappement : mécanisme d'horlogerie qui règle le mouvement.
6. Algèbre : domaine des Mathématiques.

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Document B : Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, 1871.

[Dans son ouvrage de science-fiction, Jules Verne imagine un fabuleux sous­-marin, le Nautilus, conçu et commandé par un étrange personnage, le Capitaine Nemo. Dans cet extrait, ce dernier fait visiter au narrateur, le scientifique Aronnax, les différents espaces de son sous-marin.]

  Je suivis le capitaine Nemo, à travers les coursives1 situées en abord, et j'arrivai au centre du navire. Là, se trouvait une sorte de puits qui s'ouvrait entre deux cloisons étanches. Une échelle de fer, cramponnée à la paroi, conduisait à son extrémité supérieure. Je demandai au capitaine à quel usage servait cette échelle.
  « Elle aboutit au canot, répondit-il.
– Quoi ! vous avez un canot ? répliquai-je, assez étonné.
– Sans doute. Une excellente embarcation, légère et insubmersible, qui sert à la promenade et à la pêche.
– Mais alors, quand vous voulez vous embarquer, vous êtes forcé de revenir à la surface de la mer ?
– Aucunement. Ce canot adhère à la partie supérieure de la coque du Nautilus, et occupe une cavité disposée pour le recevoir. Il est entièrement ponté2, absolument étanche, et retenu par de solides boulons. Cette échelle conduit à un trou d'homme percé dans la coque du Nautilus, qui correspond à un trou pareil percé dans le flanc du canot. C'est par cette double ouverture que je m'introduis dans l'embarcation. On referme l'une, celle du Nautilus ; je referme l'autre, celle du canot, au moyen de vis de pression; je largue les boulons, et l'embarcation remonte avec une prodigieuse rapidité à la surface de la mer. J'ouvre alors le panneau du pont, soigneusement clos jusque-là, je mâte3, je hisse ma voile ou je prends mes avirons, et je me promène.
– Mais comment revenez-vous à bord ?
– Je ne reviens pas, monsieur Aronnax, c'est le Nautilus qui revient.
– À vos ordres !
– À mes ordres. Un fil électrique me rattache à lui. Je lance un télégramme4, et cela suffit.
– En effet, dis-je, grisé par ces merveilles, rien n'est plus simple ! »
  Après avoir dépassé la cage de l'escalier qui aboutissait à la plate-forme, je vis une cabine longue de deux mètres, dans laquelle Conseil et Ned Land5, enchantés de leur repas, s'occupaient à le dévorer à belles dents. Puis, une porte s'ouvrit sur la cuisine longue de trois mètres, située entre les vastes cambuses6 du bord.
  Là, l'électricité, plus énergique et plus obéissante que le gaz lui-même, faisait tous les frais de la cuisson. Les fils, arrivant sous les fourneaux, communiquaient à des éponges de platine une chaleur qui se distribuait et se maintenait régulièrement. Elle chauffait également des appareils distillatoires7 qui, par la vaporisation, fournissaient une excellente eau potable. Auprès de cette cuisine s'ouvrait une salle de bains, confortablement disposée, et dont les robinets fournissaient l'eau froide ou l'eau chaude, à volonté.
  À la cuisine succédait le poste de l'équipage, long de cinq mètres. Mais la porte en était fermée, et je ne pus voir son aménagement, qui m'eût peut-être fixé sur le nombre d'hommes nécessité par la manœuvre du Nautilus.

1. Coursive : couloir étroit à l'intérieur d'un navire.
2. Ponté : qui est muni d'un pont.
3. Mâter : installer le mât d'un bateau.
4. Télégramme : message envoyé à distance par télégraphe ou téléphone.
5. Conseil et Ned Land sont deux compagnons d'expédition d'Aronnax.
6. Cambuse : pièce de stockage des réserves de nourriture sur un bateau.
7. Appareil distillatoire : appareil qui permet de purifier l'eau
.

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Document C : Albert Robida, Le Vingtième Siècle, 1883.

[Cette gravure intitulée « Station centrale des aéronefs1 à Notre-Dame2 » est extraite de l'œuvre de science-fiction Le Vingtième Siècle, réalisée par Albert Robida, dessinateur, journaliste et écrivain du 19ème siècle. Il imagine dans cet ouvrage le Paris du futur, transformé par les évolutions techniques.]

1. Aéronef : appareil capable de se diriger dans les airs
2. Notre-Dame : la cathédrale de Paris est un des monuments les plus célèbres de la capitale.

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Document D : Michel Serres, Petite Poucette, 2012.

[Michel Serres désigne sous l'expression « Petite Poucette » la nouvelle génération, dont il admire la capacité à écrire et à envoyer rapidement des messages avec les deux pouces. A la fin de son livre, il imagine une structure originale, symbole d'un nouveau rapport au savoir et de cette génération connectée et mobile.]

Michel Authier1, concepteur génial, avec moi, son assistant, projetons d'allumer un feu ou de planter un arbre face à la tour Eiffel sur la rive droite de la Seine. Dans des ordinateurs, dispersés ailleurs ou ici, chacun introduira son passeport, son Ka2, image anonyme et individuée, son identité codée, de sorte qu'une lumière laser, jaillissante et colorée, sortant du sol et reproduisant la somme innombrable de ces cartes, montrera l'image foisonnante de la collectivité, ainsi virtuellement formée. De soi-même, chacun entrera en cette équipe virtuelle et authentique qui unira, en une image unique et multiple, tous les individus appartenant au collectif disséminé, avec leurs qualités concrètes et codées. En cette icône3 haute, aussi haute que la tour, les caractéristiques communes s'assembleront en une sorte de tronc, les plus rares en des branches et les exceptionnelles en feuillages ou bourgeons. Mais comme cette somme ne cesserait de changer, que chacun avec chacun et que chacun après chacun se transformerait de jour en jour, l'arbre ainsi levé vibrerait follement, comme embrasé de flammes dansantes.

Face à la Tour4 immobile, ferreuse, portant, orgueilleuse, le nom de l'auteur et oublieuse des milliers qui ferraillèrent l'ouvrage, dont certains moururent là, face à la Tour porteuse, en haut, de l'un des émetteurs de la voix de son maître, dansera, nouvelle, variable, mobile, fluctuante, bariolée, tigrée, nuée, rnarquetée5, mosaïque, musicale, kaléidoscopique, une tour volubile en flammèches6 de lumière chromatique, représentant le collectif connecté, d'autant plus réelle, pour les données de chacun, qu'elle se présentera virtuelle, participative – décidante quand on le voudra. Volatile, vive et douce, la société d'aujourd'hui tire mille langues de feu au monstre d'hier et d'antan, dur, pyramidal et gelé. Mort.

1. Michel Authier : mathématicien, philosophe et sociologue contemporain.
2. Ka : force vitale d'un être et passeport vers l'au-delà, dans la mythologie égyptienne.
3. Icône : image sacrée; personne ou chose qui est un symbole.
4. La Tour désigne ici la tour Eiffel.
5. Marquetée: marquée de couleurs, de dessins variés.
6. Flammèches : petites flammes, étincelles.

  I - Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez aux questions suivantes, de façon organisée et synthétique (6 points).

  • Question 1 : Quelles sont les qualités reconnues aux inventions dans les documents du corpus ? (3 points)
  • Question 2 : Comment le génie créatif associe-t-il rigueur scientifique et fantaisie dans les différents documents ? (3 points)

II - Vous traiterez ensuite au choix l’un des trois travaux d’écriture suivants (14 points) :
  • Commentaire
    Vous ferez le commentaire du document B (texte de Jules Verne) en vous aidant du parcours de lecture suivant :
    — 1. Vous montrerez comment le texte valorise Nemo, l'inventeur du Nautilus ;
    — 2. Vous analyserez les éléments qui contribuent à donner du Nautilus une image extraordinaire.
  • Dissertation
    Comment, selon vous, la littérature et les arts peuvent-ils prendre appui sur les objets technologiques pour enrichir leur création ?
    Vous appuierez votre développement sur les documents du corpus, les textes étudiés pendant l'année et vos connaissances personnelles, littéraires ou artistiques.
  • Invention
    Vous découvrez au concours Lépine1 une invention dont la nouveauté, l'utilité et l'ingéniosité vous séduisent. Désireux de partager votre découverte et de communiquer votre enthousiasme, vous écrivez un article dans le journal de votre commune. Votre texte comprendra au minimum une quarantaine de lignes.


    1. Concours Lépine: concours institué en 1902 et qui récompense chaque année les inventeurs et fabricants français.

 
Question de corpus
 
Ces quatre documents ont pour point commun le génie inventif de l'esprit humain. Le premier est un extrait du Discours préliminaire  de d'Alembert à l'Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, parue en 1751 ; le second est un extrait de Vingt mille lieues sous les mers (1871), le célèbre roman de science-fiction de Jules Verne ; le troisième, une gravure intitulée « Station centrale des aéronefs à Notre-Dame » est extraite de l'œuvre de science-fiction Le Vingtième Siècle (1883) d'Albert Robida, dessinateur, journaliste et écrivain du XIXème siècle ; le quatrième est extrait d'un Essai de Michel Serres, Petite Poucette, paru en 2012.
 
Quelles sont les qualités reconnues aux inventions dans les documents du corpus ? Comment le génie créatif associe-t-il rigueur scientifique et fantaisie dans les différents documents ? 

Dans le premier document, d'Alembert explique que c'est "chez les artisans (et non chez les conquérants) qu'il faut aller chercher les preuves les plus admirables de la sagacité de l'esprit humain". Il donne l'exemple de l'horlogerie.

Jules Verne admire lui aussi les capacités d'invention de l'esprit humain, mais il ne parle pas d'une invention existante à son époque, comme la montre, mais d'une invention future, le sous-marin.

Le capitaine Nemo, fait visiter le sous-marin Le Nautilus à Aronnax et avec lui au lecteur. Ses explications montrent que son concepteur a tout pensé dans les moindres détails : l'aménagement intérieur, la salle-à-manger, la cuisine, les cambuses, la salle de bains, le poste d'équipage (que l'on ne voit pas, mais que l'on peut imaginer) ; Aaronax est particulièrement intrigué par le canot et la manière dont il est relié au bâtiment principal. Comment le canot peut-il être à la fois autonome (indépendant) et relié ? Nemo lui explique qu'ils communiquent grâce au "télégramme" qui était à cette époque-là, le moyen de communication le plus avancé.

Selon Jules Verne, l'homme du futur sera capable de se déplacer sous la mer ; selon Albert Robida, il se déplacera également dans les airs et l'aéronef sera le moyen de transport favori des Parisiens.

De même que le capitaine Nemo s'est manifestement posé des questions très concrètes (comment manger, dormir, se déplacer, communiquer...), de même Albert Robida a conçu une solution à la fois ingénieuse et amusante pour satisfaire les passagers des aéronefs : la création d'une "station centrale pour aéronefs" en haut des tours de la cathédrale gothique Notre-Dame de Paris. Pour sa "station centrale", Robida a imaginé tout un système de poutrelles metalliques qui font penser à la Tour Eiffel et d'escaliers d'accès aux engins aériens auxquels Robida a donné la forme de poissons, ainsi qu'un "café-restaurant-coffee house" sur deux étages avec vue imprenable sur la capitale.

L'idée de construire des cafés-restaurants sur les tours de la cathédrale Notre-Dame de Paris est restée du domaine de la fantaisie, mais l'existence des  avions et des sous-marins n'a plus rien de surprenant pour les hommes du XXème et du XXIème siècle.

Le texte de Michel Serres, le plus proche de nous dans le temps, est sans doute le moins soucieux d'étayer empiriquement la conception qu'elle développe. L'auteur envisage de planter, face à la Tour Eiffel et aussi haute qu'elle, une  sorte d'arbre "embrasé de flammes dansantes" qui comporterait les identités codées de tous les habitants de la planète. Le lecteur a un peu de mal à comprendre cette invention qui ne correspond pas, comme celles de Verne ou de Robida à une volonté de maîtriser les éléments (l'eau, l'air), mais relève, au-delà de la vision fantaisiste de Robida et réaliste de Verne, de l'art conceptuel.

Michel Serres se livre à une interprétation "new age" d'une notion mystique, le "Ka", force vitale d'un être et passeport vers l'au-delà dans la mythologie égyptienne, que l'idéologie positiviste aurait balayée comme incompatible avec la vérité scientifique, mais qui est désormais "soluble" dans la société post-industrielle.

Non content de peupler l'espace céleste, autrefois réservé à Dieu d'inventions humaines, Robida intègre dans son "port aérien pour aéronefs" une double horloge, l'invention tant vantée par Diderot dans le Discours introductif à l'Encyclopédie, et qui symbolise à elle seule la société industrielle et le passage du temps sacré au temps profane.

Alors que la pensée positiviste sépare le religieux du profane (la science, la technique) en évacuant le religieux (Nemo est un rebelle prométhéen, Robida ne voit pas le mal à construire un restaurant sur une cathédrale en "profanant" le bâtiment religieux), la pensée post-moderne (en tout cas Michel Serres dans ce texte) réintroduit du spirituel dans la technique, mais en prenant soin, au risque de l'anachronisme, de se référer, non à une religion encore existante, mais à des croyances ésotériques oubliées, très éloignées dans l'espace et dans le temps.

Les quatre textes du corpus n'exaltent pas seulement des objets, fantaisistes ou réalistes, présents comme la montre ou futurs (le sous-marin, la station pour aéronefs ou l'arborescence connectée), ils correspondent avant tout à des "horizons" culturels, scientifiques, technologiques, économiques et sociaux : le cadre de la société pré-industrielle chez d'Alembert, industrielle chez Jules Verne et Albert Robida, post-industrielle chez Michel Serres.

Michel Serres oppose cette "tour volubile en flammèches de lumière chromatique, représentant le collectif connectée" à la Tour Eiffel "monstre d'acier, dur, pyramidal et gelé. Mort", comme deux symboles correspondant respectivement à la société d'aujourd'hui et à celle d'hier.

Son apologie de l'arborescence connectée contient une critique implicite d'une vision "prométhéenne" et "pyramidale" du monde reposant sur une conception triomphante de la science et de la technique.

L'auteur entend rompre avec le principe de conquête et de prouesse technique qui a dominé l'occident à partir de l'époque de d'Alembert et d'affirmation du génie humain individuel (Némo, Eiffel) les inventeurs s'étant, par une ironie de l'histoire,  transformés à leur tour en "conquérants", pour reprendre le début du Discours préliminaire à l'Encyclopédie.

Il appartient, selon Michel Serres, aux mathématiciens, aux philosophes et aux sociologues, d'inventer des objets nouveaux qui correspondent aux tendances et aux désirs profonds de la société contemporaine, "post-moderne" : la participation, l'égalité, le métissage, le jeu, la mobilité, la virtualité, la volatilité, la vivacité, la douceur...

 

 

 

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