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Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique
Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique

Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique, Les mécanismes d'une subversion, Edition revue, Gallimard, collection Folio Histoire, 2017. La première édition de cet ouvrage a été publiée dans la collection Archives dirigée par Pierre Nora et Jacques Revel en 1980.

"Marc Ferro, ancien professeur au Lycée d'Oran, a été désigné par Fernand Braudel au secrétariat puis à la direction des Annales (avec Jacques Le Goff et Emmanuel Le Roy Ladurie) en 1970. Premier historien occidental à avoir eu accès aux archives soviétiques, il a renouvelé l'étude de la révolution de 1917 en montrant qu'elle était issue d'un double mouvement : par en bas celui des soviets, par en haut celui des partis et des syndicats. Né d'un double foyer, la transformation qui a suivi a ainsi vu s'opposer les valeurs socialistes, qu'incarnaient les premières mesures prises par les leaders bolcheviks, et les valeurs traditionnelles que recelaient les milieux populaires qui avaient géré le nouveau régime. Ainsi s'expliquent les traits de la période dite stalinienne. Il en a étudié les transformations en analysant les origines de la perestroïka. Ensuite, pionnier de l'étude du cinéma en tant qu'agent et source de l'histoire, Marc Ferro a collaboré à la réalisation de film historiques pour la télévision, depuis La Grande Guerre, en 1964, jusqu'à Lénine par Lénine (en collaboration avec P. Samson), Une histoire de la médecine (en collaboration avec J.-P. Aron) et Histoire parallèle . Sa biographie de Pétain a été portée à l'écran par Jean Marboeuf. Simultanément, mettant à profit l'expérience que lui apportaient l'utilisation et l'étude des images, il a élargi sa réflexion à la théorie de l'Histoire, en confrontant d'abord les différentes représentations que les sociétés se font de leur passé, puis en analysant l'écart qui sépare leur conscience de la science de l'Histoire."

Table des matières :

Avant-propos - Introduction, En finir avec trois légendes - Chapitre I. Le pouvoir révolutionnaire - Chapitre II. Les pouvoirs autonomes - Chapitre III. La greffe - Chapitre IV. Absolutisme communiste ou absolutisme des Soviets ? - Chapitre V. L'institutionnalisation du bolchévisme - Chapitre VI. Les voies et les sources du totalitarisme - L'Etat et le citoyen - Appendices

Quatrième de couverture :

"Voici l'un des rares ouvrages qui ont marqué le renouvellement de l'histoire de la Révolution russe.

En effet, à partir de l'étude des milliers de messages et télégrammes que toutes les Russies avaient envoyés au Soviet de Petrograd sitôt l'annonce de la chute du tsarisme, Ferro révèle les aspirations des paysans, soldats, ouvriers, ligues de femmes, allogènes, écrivant la première histoire à partir d'en-bas.

Ce faisant, il démontre la double bureaucratisation par en bas et par en haut des organes du pouvoir (soviets, comités de quartier ou d'usine notamment) crées spontanément dans l'élan des journées populaires de février ; rapidement colonisés par les représentants des grandes organisations ouvrières et des partis politiques qui existaient sous le tsarisme - au premier rang desquels les bolcheviks -, ils se greffèrent ensuite sur le parti bolchevik, avant Octobre et après. Restait alors à Lénine et aux siens à mettre hors la loi tous les autres partis, à dessaisir les soviets et tous les comités de leurs pouvoirs, et à éliminer les institutions jugées rivales. Tel fut le triomphe du socialisme totalitaire."

Extrait de l'introduction (En finir avec trois légendes)

"A travers l'exemple soviétique, cet ouvrage a pour but d'analyser le passage de la démocratie au communisme bureaucratique, dans une de ses variantes au moins. 

Pour l'étude d'un tel passage, l'URSS demeure le meilleur champ d'observation possible : une même génération y a connu successivement les formes les plus variées de la démocratie, son envers absolu, le régime stalinien, puis sa remise en cause, réelle ou simulée. Aujourd'hui, il est clair que les clameurs y étouffent les appels de la contestation.

En outre, spécifique ou pas, l'exemple soviétique constitue bien un modèle. Car, quoi qu'on dise, qu'il soit élargi à toute la société, qu'il s'institue en pouvoir parallèle ou qu'il demeure une contre-société, le monde des communistes présente toujours un certain air de famille. En bien des domaines, qu'il ait le pouvoir ou qu'il ne l'ait pas, ce monde fonctionne de façon identique en URSS  ou hors URSS. Après tout, il y a eu des procès de Moscou à Prague comme à Paris ; après tout, vis-à-vis des organisations et des mouvements sociaux qu'ils ne contrôlent pas, les partis communistes n'ont pas tellement changé de comportement en un demi-siècle (...)

On le pressent : le mouvement qu'analyse ce livre nous concerne tous directement. Il se situe apparemment hors de chez nous dans un passé défini ; mais il est évident que ses traits survivent et sont actuellement bien vivants. La démarche de ce livre est ainsi de rechercher l'origine et la nature de quelques uns des problèmes de notre temps.

Dans l'esprit de la collection "Archives", ce livre est constitué, pour l'essentiel, de documents. En établissant leur inventaire, on s'aperçoit que la plupart sont inédits. La raison est sans doute que je romps ici avec une tradition solidement enracinée : au lieu de donner la parole aux dirigeants politiques qui, de la sorte, se trouveraient, une fois de plus, être les seuls à écrire l'Histoire après l'avoir conduite, je la cède également à la société."

Réunis pour analyser une transformation, ces textes, ainsi confrontés, mettent fin à plusieurs légendes :

1. La plus ancienne d'abord, qui veut dater de l'époque de Staline, pas avant, la subversion de l'idéal socialiste et révolutionnaire dans la Russie des Soviets.

2. Une seconde légende associe l'existence du totalitarisme bureaucratique de type soviétique au léninisme, au parti communiste, à eux seuls.

3. Selon la vulgate, seuls les partis politiques s'expriment au nom de la population et prétendent à ce rôle, l'un d'entre eux, le parti bolchévik, l'ayant emporté sur les autres, ce qui consacre sa légitimité historique. (p.17-23)

L'Etat et le citoyen (conclusion de l'ouvrage) :

"Les textes qu'on a lus, souvent antérieurs aux débuts de la guerre civile et à l'intervention, témoignent que les circonstances  ne sauraient être seules responsables des caractères originaux du régime soviétique. Ils attestent également que le totalitarisme naquit de la lente conjonction de trois mouvements.

1. La subversion des pratiques démocratiques par les démocrates eux-mêmes, toutes tendances réunies. Avant Octobre, ils manipulent la représentation des soldats et des paysans, éliminent les sans-parti de toutes les institutions, réduisent celles qu'ils n'ont pas fondées eux-mêmes tout en niant leur légitimité. Les syndicats agissent de façon identique envers les comités d'usine (ils continuent même après Octobre, d'ailleurs associés aux mencheviks, aux SR et aux bolcheviks). Et tous accueillent au cri de "réaction" les tentatives allogènes pour voir reconnue leur identité collective. Les bureaux des partis et des syndicats s'instituent en groupe dirigeant qui défend ses prérogatives comme un monopole légal. Les partis et organisations bloquent ainsi la participation directe des citoyens à la gestion sociale et politique, à moins que ceux-ci ne passent par leur école, ne se soumettent à leur loi.

2. La pratique d'une de ces organisations, le parti communiste-bolchevik, bloque irréversiblement le fonctionnement démocratique à son avantage exclusif, condamnant le pluralisme, l'alternance et les libertés définies comme bourgeoises, au nom d'une certaine vision du développement historique ; il argue de la nécessité pour justifier sa propre violence et se fait bientôt non seulement parti unique, mais unique source de légitimation, étendant sa compétence du politique au social et à l'économique, puis à la culture, aux moeurs, aux idées et croyances.

S'identifiant au progrès, à l'avenir de l'homme, ce pouvoir définit le régime qui convient aux citoyens, jouant ainsi le contrôleur de la morale et de la santé sociales. Dans ce contexte, quiconque agit contre lui ne peut que retarder la venue de l'âge d'or ; et, pour se conduire ainsi, il faut être malveillant ou anormal ; et l'on mérite dès lors d'être traité comme tel. Ainsi, les prétentions du parti s'affirment aussi péremptoires que celles de la Science. Chez le communiste, plus porté que les autres socialistes à croire à la justesse de ses analyses, la tentation est constante, innée, de faire table rase du savoir et du jugement des autres, à nier leur légitimité. Certes, le communiste se reconnaît un droit à l'erreur, mais seule sa tribu peut statuer là-dessus : toute autocritique de l'extérieure est calomnie.

3. Ce mouvement rencontre une dynamique populaire qui, peu à peu, prend le pas sur l'idéologie socialiste, grande héritière de l'esprit bourgeois. Désormais entrées dans l'appareil d'Etat grâce à la pratique politique des bolcheviks, les classes populaires, marquées d'un long passé de malheurs, héritent d'une certitude : que leur malheur est un, qu'elles subissaient une oppression totale. Lorsqu'il était une victime, le citoyen l'était de toutes façons : "pour l'opprimer, il n'y avait pas de partage des pouvoirs ; pour l'opprimer, il n'y avait pas de constitution" (Herzen)

La révolution accomplie, le citoyen réquisitionne naturellement la totalité du pouvoir. Au reste, dans les premières circulaires sur le régime nouveau, il est bien indiqué que les soviets disposent de tous les pouvoirs : politique, économique, culturel. Pour le citoyen, il n'y avait jusque là qu'une seule justice, l'équité, qu'une seule vérité, la justice (pravda). Le pouvoir du régime lui confirme que cela était exact, l'assurant en même temps qu'il est devenu lui-même source de pouvoir, source de justice, source de savoir, puisqu'il s'identifie à l'Histoire le parti a toujours raison.

Ce discours comporte sa part de vérité puisqu'il dépend de chacun, simple citoyen, de se montrer conforme, et, par la simple adhésion au parti, de devenir ainsi membre de ce monde des élus, de participer au fonctionnement des constitutions, d'en tirer avantage. D'en être illuminé et de suivre leur incarnation, l'Etat, d'un cœur croyant." (p.309-311)

 

 

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