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Bertrand Vergely, De l'utilité de la philosophie

Bertrand Vergely, De l'utilité de la philosophie, Editions Milan, 2006

L'auteur :

Bertrand Vergely est un philosophe, théologien et essayiste français, né en 1953. Il est admis à l’École normale supérieure de Saint-Cloud où il choisit la philosophie. Il a enseigné à Sciences Po Paris. Il est professeur en classes préparatoires au lycée Pothier d'Orléans. Il est également maître de conférence en théologie morale à l'Institut Saint-Serge, la faculté orthodoxe de Paris. Il est l'auteur de très nombreux livres. Il a publié, des manuels dans la collection "Essentiels philosophie" et des ouvrages de réflexion grand public. Il travaille dans trois directions différentes, la philosophie et son histoire mises à la portée du grand public et des étudiants dans la collection des "Essentiels philosophie", une réflexion sur le mal, la maladie, la souffrance, la mort et des ouvrages sur le bonheur et la foi, le plus représentatif étant sans doute Retour à l'émerveillement paru en 2010. En 2015, à l'occasion de la sortie de son ouvrage La Tentation de l'homme-Dieu, il livre sa réflexion sur les problématiques de notre société "postmoderne". Expert auprès de l'Association progrès du management, il publie dans le journal Atlantico. (source : babelio)

L'oeuvre :

"De tout temps, la philosophie a subi les assauts de ses détracteurs. On l'accuse d'être confuse, inutile puisque n'apportant pas de solutions à nos vies ou encore morte, car pensée par et pour les Anciens. Pourtant, par ses étonnements, ses questions et ses critiques, la philosophie ne cesse d'explorer ce qui fait la richesse de la condition humaine à travers la nature, Dieu, la conscience, la liberté ou l'histoire. La philosophie n'est donc pas là pour produire un savoir ni même des savants. Elle est là, comme nous le montre l'auteur, pour que les hommes ne perdent pas leur âme à force de savoir."

Le retour du philosophe :

"Dans les années 1970 a surgi ce qu'on appelle la "nouvelle philosophie", sous l'impulsion de Maurice Clavel, André Glucksmann et Bernard-Henri Lévy. Ce phénomène s'est développé autour de trois axes : oser critiquer le marxisme en bravant la peur d'être traité de "réactionnaire" ; oser une nouvelle philosophie en parlant de morale ou de religion et non plus simplement de politique ou de science ; oser paraître dans les médias au lieu de les mépriser. On a beaucoup polémiqué contre la nouvelle philosophie en dénonçant sa critique hâtive du marxisme, son apologie tout aussi hâtive des droits de l'homme, ainsi que son goût prononcé pour le paraître médiatique. Reste que ce phénomène est loin d'être anodin.

Il y a une soif de philosophie. Bien qu'il soit attaché à la consommation, le monde contemporain recherche "autre chose". Comme l'a montré Michel Serres au début des années 70, lorsque la technique règne en maître sur les valeurs de toute une société, la fin devenant le moyen, le moyen devient sans fin, c'est-à-dire un moyen pour le moyen à l'infini. Il en résulte un phénomène de mort. La technique se met à tout écraser autour d'elle, à tout "arraisonner", pour reprendre une expression de Martin Heidegger. D'où l'urgence de repenser le problème ses fins ainsi que du sens. Car à quoi sert-il d'augmenter nos moyens à l'infini, si leur pouvoir nous asservit ?

Afin de répondre à cette interrogation, la pensée contemporaine s'est efforcée non pas de soumettre la technique à un but ou à une philosophie (ce qui serait continuer à asservir comme le fait la technique), mais à ne plus rien asservir du tout. A vivre sans que rien ne devienne le moyen de rien, même pas la technique. Ce qui a pris trois formes. La première consiste à retourner à l'art et à la poésie. Dans Le Rire, Henri Bergson fait remarquer que l'on rencontre l'existence et la liberté lorsque, comme dans l'art, on apprend à considérer celles-ci pour elles-mêmes, sans chercher à les utiliser de façon technique. C'est pourquoi Heidegger s'est tourné vers la poésie, pour que l'homme "habite le monde en poète", en le regardant pour lui-même. Par ailleurs, vivre sans but consiste à retourner à la sagesse, en entreprenant un travail rigoureux de désillusion. Spinoza a enseigné qu'il faut vivre sans espoir et sans crainte. Dans l'espoir et la crainte, on ne rencontre jamais la vie pour elle-même, tant on est obsédé par le passé et l'avenir. S'inspirant de Spinoza, mais aussi du Bouddha, d'Epicure ou de Montaigne, c'est le chemin que le philosophe André Comte-Sponville s'est efforcé d'emprunter, en tentant de redonner ses lettres de noblesse au mot "sagesse". Enfin, vivre sans but consiste à retourner à l'éthique. Sens du réel, celle-ci réside dans un oui adressé à la vie, consistant à penser que la vie a quelque chose à nous apprendre. A ce titre, elle a un "visage".

Dans les camps de concentration, les êtres humains réduits à l'état d'instruments n'avaient plus de personnalité propre, plus de visage. Rasés, privés de nom, ils étaient annihilés par  le pouvoir de la race supérieure pour qui "je" seul comptait et non plus "tu". A ce monde inhumain, Emmanuel Lévinas se propose de substituer un monde où, l'homme étant proche de l'autre, tous les hommes acquièrent un visage, en étant considérés pour eux-mêmes.

En fait, la philosophie consiste à assumer le défi du sens. Sans un sens, la vie n'a pas de sens. Elle est incohérence ou inconscience. On sort de l'inconscience ou de l'incohérence en se donnant un but. En allant au bout de la pensée du but. La vie n'est pas vide ni absurde. La fait que l'histoire soit une transformation allant de la nature à l'esprit en est une illustration. Toutefois, le sens n'est pas ce que l'on impose à soi, aux choses, au monde. Il est aussi le non-sens. La liberté, l'art, ne vont nulle part. Pour la bonne raison que c'est la vie qui va vers eux. Il faut laisser parler la vie, sa liberté, son inspiration. C'est ce qui se passe quand on ne sent rien et que l'on pratique le nonsense anglais. En riant de nous on fait surgir la liberté, l'inspiration. On débouche alors sur le sens de la vie. Nous sommes devenus ce sens. Il se lit à travers nous. Qui vit mais qui est aussi vécu est plein de vie. L'absurde que l'on assume débouche sur l'icône de la vie?

Le retour du philosophe s'exprime aujourd'hui par le désir de dépasser le sens figé des choses comme l'absurde. Il exprime une quête inconsciente de la vie et de ses icônes."

(Bertrand Vergely, De l'utilité de la philosophie, p.133-137)

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