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Est-il toujours injuste de désobéir aux lois ?

"CRÉON : Ainsi tu as osé passer outre à ma loi ? ANTIGONE : Oui, car ce n'est pas Zeus qui l'avait proclamée ! ce n'est pas la Justice, assise aux côtés des dieux infernaux ; non, ce ne sont pas là les lois qu'ils ont jamais fixées aux hommes, et je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre à d'autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux ! "

Introduction : 

Dans l'Antigone de Sophocle, Antigone désobéit à son oncle Créon, le roi de Thèbes et rend les hommages funèbres à son frère Polynice, malgré l'interdiction de Créon. Se conduit-elle de façon injuste ?

"Injuste" signifie qui n'est pas conforme à la justice, à l'équité ; obéir signifie se soumettre, accepter, donc obéir aux lois signifie agir en conformité avec les lois.

En droit, la loi (du latin lex, legis) est une règle juridique. La loi dans son sens le plus large correspond à une norme juridique, quelle qu'en soit la nature. 

La loi est l'ensemble de règles et de normes dans une société donnée.  Si la loi n'est pas respectée par les individus, cela peut engendrer des sanctions judiciaires (pénales ou civiles). Une loi est un acte juridique pris par une autorité précise, en général le parlement, qui est légitime et a les moyens de commander.

Est-il toujours injuste de désobéir aux Lois ? La question est paradoxale car comment ne pas agir en conformité avec les lois pourrait-il être juste puisque les lois expriment ce qui est juste. Comment pourrait-il être juste, conforme à l'équité et à la justice, de ne pas obéir à ce qui exprime l'équité et la justice ?

Remarquons la présence de l'adverbe "toujours" qui suggère qu'il ne serait pas toujours juste d'obéir aux lois.

Nous verrons dans une première partie qu'il est juste d'obéir aux lois, puis dans quels cas la désobéissance aux lois peut être considérée comme légitime et nous nous demanderons enfin à quelles conditions il peut être juste d'obéir aux lois. 

1. L'obéissance aux lois est une nécessité :

Nous sommes tenus d'obéir aux lois car elles sont censées exprimer ce qu'il convient de faire ou de ne pas faire. De plus, dans un régime démocratique, elles sont conformes à la volonté générale. La désobéissance aux lois est une source de désordres préjudiciables à la société tout entière.

Injustement condamné à mort par le tribunal d'Athènes, Socrate refuse de s'enfuir comme l'en conjurent ses amis et préfère boire la ciguë, plutôt que de désobéir aux lois de la cité. 

Pour Hobbes, la vie en société exige l'obéissance de tous à la loi ; il est juste d'obéir aux lois et il est toujours injuste de leur désobéir. Dans l'état de nature, les hommes sont exposés à la mort car "l'homme est un loup pour l'homme". Tous s'attaquent à la vie des autres et convoitent leurs biens. C'est la "loi du plus fort", mais comme l'a remarqué Pascal, nul n'est assez fort pour le demeurer toujours.

Dans l'état de nature où règne un état de guerre permanent, les hommes vivent dans la crainte perpétuelle de perdre leur vie et leurs biens. C'est pourquoi, ils renoncent à la fausse liberté de faire ce qu'ils veulent et acceptent pour assurer leur sécurité d'obéir  aux lois incarnées par le Souverain.

Ce mythe exprime la raison d'être des lois : sans les lois, chacun déciderait de ce qui est juste et de ce qui ne l'est pas et les intérêts des uns entreraient sans cesse en conflit avec ceux des autres.

Selon Jean-Jacques Rousseau : "L'obéissance au seul appétit est esclavage et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté".

Dans un régime démocratique, le vote collectif de la loi permet de résoudre le problème en donnant au critère de justice choisi pour norme une légitimité qui le rend incontestable. Chacun est dès lors obligé de respecter la loi, au risque d’être injuste. 

2. Il est parfois injuste d'obéir aux lois :

Il est injuste de désobéir aux lois quand nous avons envie de faire ce qui nous plaît et que cela nous arrange. Cependant, est-il toujours juste d'obéir aux lois n'y a-t-il pas des circonstances où il est juste au contraire de leur désobéir ? 

Aristote croyait en l'existence d'une loi naturelle qui fait connaître ce qui est juste en soi. Cette loi naturelle permet de contester le droit positif lorsqu'il nous paraît injuste. Sans elle, on ne pourrait critiquer les lois qui autorisent ce que cette loi naturelle nous interdit. Doit-on alors distinguer les lois de la justice, le droit naturel du droit positif ?

Ce n'est pas parce qu'une loi est votée par des représentants élus démocratiquement qu'elle est légitime. Une loi peut être injuste, scélérate ou ne représenter qu'une minorité de députés dans une assemblée où l'absentéisme est de règle.

D'autre part, comme l'a fait remarquer Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique, les lois sont votées à la majorité, d'où le danger d'une "dictature de la majorité" : "Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires !" Il est donc nécessaire que le principe de la majorité soit équilibré par le fait d'accorder des droits à la minorité.

Il faut distinguer ce qui est juste de ce qui est conforme à la loi. Ce n'est pas parce qu'une pratique est avalisée par les lois quelle est juste. Comme le dit Montesquieu, "Il n'y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l'on exerce à l'ombre des lois et avec les couleurs de la justice".

Selon saint Augustin, il ne suffit pas d'obéir aux lois pour être juste, mais avant tout se soucier de justice car une loi injuste n'est pas une loi. Comme Antigone, saint Augustin considère qu'il y a des lois divines et qu'elles sont supérieures aux lois humaines.

Pour Martin Luther King, leader du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, la désobéissance aux lois injustes est un devoir moral. Chacun est tenu de désobéir aux lois quand elles sont injustes, à condition de na pas attenter aux personnes et aux biens. Toutefois, d'autres activistes noirs comme Malcolm X, justifient en dernier recours l'usage de la violence lorsque les autorités restent sourdes aux exigences de la justice, ce qui pose le problème de la justification des moyens par les fins. Le problème des limites respectives de la violence et de la non-violence se pose aujourd'hui en France avec le mouvement des Gilets Jaunes.

Antigone désobéit à Créon car elle estime qu'il a promulgué une loi injuste. Elle lui reproche d'avoir érigé en loi un cas particulier : Créon autorise tous les Thébains à enterrer leurs morts, sauf les proches de Polynice. Antigone considère que la décision de Créon n'est pas une loi, n'étant ni équitable, ni universelle, mais une décision arbitraire.

L'interdiction de Créon ne peut pas être considérée comme une loi car une loi s'applique à tous et pas seulement à un seul ; elle est donc injuste et arbitraire ; il y des lois qui sont au-dessus des lois humaines : les lois divines qui interdisent de laisser les morts sans sépulture.

Quand une femme noire, Rosa Parks refusa, en 1955, de laisser sa place à un homme blanc dans un bus à Montgomery, elle désobéit aux lois ségrégationnistes qui régnaient alors en Alabama, mais elle obéissait à une loi non écrite, une loi naturelle qui proclame l'égalité et la dignité de tous les êtres humains.

Pour Henri David Thoreau, l'auteur de La désobéissance civile qui a inventé l'expression, emprisonné pour avoir refusé de payer ses impôts pour protester contre l'esclavage et la guerre contre le Mexique, il peut être juste de ne pas consentir à des lois injustes. Une société juste ne peut pas s'accommoder de l'esclavage. Les questions de Henri David Thoreau nous interpellent encore aujourd'hui : pouvons-nous, par exemple, subordonner la défense des droits de l'homme à celle du libre échange dans nos rapports commerciaux avec des régimes dictatoriaux ? 

Note : La Désobéissance civile (1849) est l'un des textes fondateurs de la contestation sociale du XIXème et du XXème siècles. En même temps, ce pamphlet s'inscrit dans toute une tradition de réflexions politiques qui court depuis l'Antiquité, de Platon à Thomas Jefferson, via le Discours de la servitude volontaire d'Etienne de la Boétie. Il tire aussi ses racines de la Révolution américaine de 1775 et 1776 et il donnera des fruits chez des "révoltés" aussi célèbres qu'éloignés dans le temps et l'espace : Tolstoï, Gandhi et Martin Luther King, tous trois non-violents.

Le précepte antique summum jus summa injuria (le comble de la loi est le comble de l'injustice) ne garde-t-il  pas toute sa valeur quand la loi prescrit l'inacceptable ?

Pendant l'Occupation, il était illégal de secourir des juifs, alors qu'aujourd'hui ceux qui ont désobéi aux lois du gouvernement de Vichy sont considérés comme "justes parmi les nations".

Une société juste peut-elle s'accommoder aujourd'hui d'injustices sociales et territoriales contraires à la Constitution qui stipule que la France est une République sociale ?

Si nous obéissons à la volonté d'un despote ou d'un régime tyrannique. Nous sommes alors réduits à l'état de servitude, or rien ne justifie ni ne vaut un tel sacrifice. Pas même la sécurité et l'ordre comme le préconisait Hobbes dans le Léviathan. Si j'obéis sans limites, de manière inconditionnelle, alors je n'ai plus ni droits, ni devoirs. Je renonce à être un être moral, pour devenir le rouage d'une machine.

3. A quelles conditions est-il juste d' obéir aux lois ?

Les lois sont le reflet des usages et des rapports de force dans une société donnée et peuvent évoluer pour devenir plus dignes qu'on leur obéisse.

La désobéissance n'est pas souhaitable inconditionnellement, mais seulement quand elle permet l'avènement d'une justice véritablement équitable, non seulement sur le plan juridique, mais également social et économique. 

Toutefois, la désobéissance est juste dans la mesure où elle se fonde sur une valeur morale objective ou une norme politique supérieure.

Notre constitution, se référant à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, reconnait comme droit imprescriptible la résistance à l’oppression.

Si une loi contrevient à la loi fondamentale, la Constitution, on peut, au nom des droits de l’homme qui l'inspire, avoir un motif valable de lui désobéir, notamment en cas d’urgence vitale, par exemple, secourir des migrants sans papier en situation de détresse.

La désobéissance aux lois est juste quand son motif est de faire évoluer une loi considérée comme injuste.

Selon John Rawls, la désobéissance est juste dans le cas où nous ne disposons pas des moyens légaux et/ou politiques de contester la loi.

Conclusion :

Il est injuste de désobéir aux lois pour obéir à mes intérêts et assouvir mes caprices en faisant ce qui me plaît au détriment de l'intérêt des autres. Cependant, on peut et on doit désobéir à la loi quand la loi s'oppose aux droits humains et viole les convictions de la conscience. Pour être dignes qu'on leur obéisse, les lois doivent devenir véritablement justes et équitables en favorisant non seulement l'égalité devant la loi, mais aussi la justice sociale et économique.

Taverne sur agoravox me fait les remarques suivantes :

Thème non abordé : la loi de Dieu qu’une majorité de jeunes musulmans considère comme supérieure aux lois de la République. Dans le passé, d’autres désobéissances se sont manifestées au nom de la loi de Dieu dans diverses religions. Pour certaines gens, la loi de dieu est supérieure à la loi de l’Etat et il est donc juste de s’y conformer.

La loi est-elle juste dans un système qui fait prévaloir l’état de droit (avec ce qu’il suppose comme dispositifs contraignants : états d’urgence, répression) sur la démocratie ?

La loi est-elle juste quand elle est préparée par des lobbys et votée par quelques-uns seulement qui sont plus animés par des intérêts particuliers que par l’intérêt général ?

La loi est-elle juste quand elle est le fait d’un seul homme ?

Cet énoncé de devoir est injuste en soi : il laisse penser de façon implicite et sournoise qu’il est toujours juste (ou presque) de se soumettre aux lois. Mais, si nous regardons ailleurs qu’en France, on voit de nombreux endroits où la résistance, voire l’insurrection, est un devoir.

La valeur du juste est indépassable. Elle transcende toutes les valeurs humaines, y compris celles du bien et du mal. Il y a une incontestable prééminence du juste sur toutes autres valeurs.

Contrairement au bien et au mal, le Juste s’inscrit dans la réalité et y demeure. Le bien et le mal ont toujours été et ne pourront toujours être que des valeurs relatives qui varient selon les mentalités, les lieux et les époques. En outre, le bien et le mal se prêtent toujours à la théorisation, ce qui a pour effet de couper ces idées de la réalité. Il en résulte tous les excès que l’on connaît : fanatisme, obscurantisme, guerres du bien contre le mal.

En revanche, le Juste ne peut pas connaître d’excès, c’est la définition même du juste que d’exclure tous les excès. Le Juste cherche à rester au contacter de la réalité, contrairement à la morale du bien et du mal.

La pensée doit donc cesser de raisonner en valeurs de bien et de mal. Spinoza et Nietzsche avaient déjà eu l’intuition qu’un tel dépassement s’imposait. Mais il restait la question de savoir : qu’est-ce qui peut s’imposer au bien et au mal et les supplanter avec succès ? La réponse ne peut être que : ce qui est juste. Le Juste.

 


 

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