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Question de corpus : Molière, Beaumarchais, Rostand

Objet d'étude : Théâtre et représentation 
Textes 
A - Molière (1622 - 1673), extrait de l'acte II, scène 4, Dom Juan, 1655 
B - Beaumarchais (1732 - 1799), extrait de l'acte V, scène 7, Le Mariage de Figaro, 1781. 
C - Edmond Rostand (1866 - 1918), acte III, scène 10 (vers 1504 - 1539), Cyrano de Bergerac, 1897. 

__________ 

Texte 1 - Molière, Dom Juan 
MATHURINE 
Pour obtenir les faveurs d'une jeune paysanne, Charlotte, Dom Juan, un grand seigneur, lui a promis qu'il l'épouserait. Mais Mathurine, une autre paysanne à qui il a fait la même promesse, survient. 

MATHURINE, à Dom Juan - Monsieur, que faites-vous donc là avec Charlotte ? Est-ce que vous lui parlez d'amour aussi ? 

DOM JUAN, bas à Mathurine - Non, au contraire, c'est elle qui me témoignait une envie d'être ma femme, et je lui répondais que j'étais engagé à vous. 

CHARLOTTE, à Dom Juan - Qu'est-ce que c'est donc que vous veut Mathurine ? 

DOM JUAN, bas à Mathurine - Tout ce que vous direz sera inutile ; elle s'est mis cela dans la tête. 

CHARLOTTE - Quement (1) donc ? Mathurine... 

DOM JUAN, bas à Charlotte - C'est en vain que vous lui parlerez ; vous ne lui ôterez point cette fantaisie. 

MATHURINE - Est-ce que... ? 

DOM JUAN, bas à Mathurine - Il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison. 

CHARLOTTE - Je voudrais... 

DOM JUAN, bas à Charlotte - Elle est obstinée comme tous les diables. 

MATHURINE - Vrament... (2)

DOM JUAN, bas à Mathurine - Ne lui dites rien, c'est une folle. 

CHARLOTTE - Je pense... 

Don Juan, bas à Charlotte - Laissez-la là, c'est une extravagante. 

MATHURINE - Non, non : il faut que je lui parle. 

CHARLOTTE - Je veux voir un peu ses raisons. 

MATHURINE - Quoi ? 

DOM JUAN, bas à Mathurine - Gageons qu'elle va vous dire que je lui ai promis de l'épouser. 

(1) "Comment donc" en langage "paysan"

(2) "Vraiment" en langage "paysan"

_____________ 

Texte B - Beaumarchais, Le Mariage de Figaro 
SUZANNE, suivante de la comtesse Almaviva, va épouser le valet Figaro. Mais le comte Almaviva, qui la désire, veut obtenir ses faveurs. Suzanne avertit sa maîtresse et son fiancé. Pour ramener à elle son époux, la comtesse décide de prendre la place de Suzanne, lors d'un rendez-vous que le comte lui a fixé dans le jardin, à la tombée de la nuit. Figaro, mis au courant de la rencontre, assiste à la scène. 

LE COMTE prend la main de la femme : Mais quelle peau fine et douce, et qu'il s'en faut que la Comtesse ait la main aussi belle ! 

LE COMTESSE, à part : Oh ! la prévention ! (3)

LE COMTE : a-t-elle ce bras ferme et rondelet ? ces jolis doigts pleins de grâce et d'espièglerie ? 

LE COMTESSE, de la voix de Suzanne : Ainsi l'amour ?... 

LE COMTE : L'amour... n'est que le roman du cœur : c'est le plaisir qui en est l'histoire ; il m'amène à vos genoux. 

LE COMTESSE : Vous ne l'aimez plus ? 

LE COMTE : Je l'aime beaucoup ; mais trois ans d'union rendent l'hymen (4) si respectable ! 

LE COMTESSE : Que vouliez-vous en elle ? 

LE COMTE, la caressant : Ce que je trouve en toi, ma beauté... 

LE COMTESSE : Mais dites donc. 

LE COMTE : ... Je ne sais : moins d'uniformité peut-être, plus de piquant dans les manières ; un je ne sais quoi, qui fait le charme ; quelquefois un refus, que sais-je ? Nos femmes croient tout accomplir en nous aimant ; cela dit une fois, elles nous aiment, nous aiment ! (quand elles nous aiment. ) Et sont si complaisantes, et si constamment obligeantes, et toujours, et sans relâche, qu'on est tout surpris, un beau soir, de trouver la satiété (5), où l'on recherchait le bonheur ! 

LE COMTESSE, à part : Ah ! quelle leçon ! 

LE COMTE : En vérité, Suzon, j'ai pensé mille fois que si nous poursuivons ailleurs ce plaisir qui nous fuit chez elles, c'est qu'elles n'étudient pas assez l'art de soutenir notre goût, de se renouveler à l'amour, de ranimer, pour ainsi dire, le charme de leur possession, par celui de la variété. 

LE COMTESSE, piquée : Donc elles doivent tout ?... 

LE COMTE, riant : Et l'homme rien ? Changerons-nous la marche de la nature ? Notre tâche, à nous, fut de les obtenir : la leur... 

LE COMTESSE : La leur ? 

LE COMTE : Est de nous retenir : on l'oublie trop. 

LE COMTESSE : Ce ne sera pas moi. 

FIGARO, à part : Ni moi. 

SUZANNE, à part : Ni moi. 

LE COMTE prend la main de sa femme : il y a de l'écho ici ; parlons plus bas. 

(3) La prévention : le préjugé

(4) l'hymen : le mariage

(5) Satiété : lassitude, indifférence, voire dégoût

______________ 

Texte C - Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac 

La scène se passe à Paris, au XVIIème siècle. Cyrano, aussi célèbre pour ses prouesses militaires que pour son physique disgracieux, aime sa cousine Roxane. Mais celle-ci lui a confié qu'elle aime le beau Christian et en est aimée. Elle reproche cependant à ce dernier de ne pas savoir lui parler d'amour. Prêt à se sacrifier, Cyrano, poète à ses heures, décide d'aider Christian. Ainsi, quand celui-ci, dissimulé avec Cyrano sous le balcon de Roxane, la désespère par la maladresse de son discours amoureux, Cyrano décide-t-il de venir en aide à son rival en se faisant passer pour lui. 

ROXANE, s'avançant sur le balcon 

C'est vous ? 

Nous parlions de... de... d'un... 

CYRANO 

Baiser. Le mot est doux ! 
Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l'ose ; 
S'il la brûle déjà, que sera-ce la chose ? 
Ne vous en faites pas un épouvantement : 
N'avez-vous pas tantôt, presque insensiblement, 
Quitté le badinage et glissé sans alarmes 
Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes ! 
Glissez encore un peu d'insensible façon : 
Des larmes au baiser il n'y a qu'un frisson ! 

ROXANE 
Taisez-vous ! 

CYRANO 
Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce ? 
Un serment fait d'un peu plus près, une promesse 
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer, 
Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer ; 
C'est un secret qui prend la bouche pour oreille, 
Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille, 
Une communion ayant un goût de fleur, 
Une façon d'un peu se respirer le cœur, 
Et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme ! 

ROXANE 
Taisez-vous ! 

CYRANO 
Un baiser, c'est si noble, madame, 
Que la reine de France, au plus heureux des lords, 
En a laissé prendre un, la reine même ! 

ROXANE 
Alors ! 

CYRANO, s'exaltant. 
J'eus comme Buckingham (6) des souffrances muettes, 
J'adore comme lui la reine que vous êtes, 
Comme lui je suis triste et fidèle... 

ROXANE 
Et tu es 
Beau comme lui ! 

CYRANO, à part, dégrisé. 
C'est vrai, je suis beau, j'oubliais ! 

ROXANE 
Eh bien ! montez cueillir cette fleur sans pareille... 

CYRANO, poussant Christian vers le balcon 
Monte !

CHRISTIAN, hésitant

Mais il me semble, à présent, que c'est mal !

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